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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1662


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre II, du samedi 14 janvier 1662, « Imagée ».

-Loret qui ne se lasse pas de voir et revoir La Conquête de la Toison d’Or de Corneille, annonce que toute la famille royale s'est déplacée au théâtre du Marais pour voir la pièce le jeudi 12 janvier [GF]

Jeudi, la Majesté Royale,
Fit voir aux Reines pour régale,
La Conquête de la Toison,
Pièce admirée avec raison,
Tant pour la beauté de l’Ouvrage,
Que par le superbe étalage,
De cent spectacles précieux
Qui sont les délices des yeux.
Cette Comédie excellente
Qu’à merveilles l’on représente,
Plut fort par ses diversités
À toutes les trois Majestés ;
Et des Vers de Monsieur Corneille,
Sur cette Scène sans pareille,
Les Courtisans plus délicats
Firent un indicible cas.

Pour moi, je ne puis, qu’en liesse,
Voir cette incomparable Pièce,
J’en ai, pour plaire à mon désir,
Goûté bien des fois le plaisir ;
Je suis, pourtant, toujours avide
De voir cet appareil splendide
Qui peut les sens extasier,
Je n’en saurais rassasier :
Et quoiqu’au jeu Dame Fortune
Ait tari mon fonds de pécune,
Certes, je prétends bien encore
Retourner à la Toison d’Or,
(Dont, presque, je suis idolâtre)
Et la voir de l’Amphithéâtre.

-Annonce de la création de Policrite de Claude Boyer (dont Loret loue systématiquement les créations) [GF] :

Mardi, dans leur Hôtel, ou Salle,
Je fus chez la Troupe Royale,
Où, pour encore me contenter,
Je vis des mieux représenter
Une autre Pièce de mérite,
Qu’on appelle la Policrite,
Fille du feu sage Solon,
Dont Boyer, un autre Apollon,
A fait en langage énergique
Un Poème Tragi-comique,
Fort estimé des grands Esprits,
Et que l’on tient d’un rare prix.

Lettre V, du samedi 4 février 1662, « éclatante ».

-Suite des effets du mariage franco-espagnol : la Reine a donné un bal auquel a participé un diplomate ibérique présent à ses côtés. Ainsi :

De Janvier, le dernier Dimanche,
La Reine belle, blonde et blanche,
En son Logis donna le Bal :
Mais si splendide et si Royal,
Que, même, l’Envoyé d’Espagne,
Que la gravidad accompagne,
Un des plus Galants de Madrid,
Homme d’honneur, Homme d’esprit,
Et (dit-on) de bonne naissance,
Avoua que la Cour de France
Etait, dans ses pompeux ébats,
L’incomparable d’ici-bas.
Les quantités prodigieuses
Des riches Pierres précieuses,
Perles, Diamants et Rubis,
Dont étaient ornés les habits ;
Des Courtisans la multitude,
Leur bonne mine et lestitude ;
Du Roi, le grand port et l’aspect
Qu’on ne saurait voir sans respect
Celui de nos aimables Reines,
Qui de tant d’agréments sont pleines
Qu’on ne peut les considérer
Sans, tout soudain, les admirer ;
De Monsieur, la grâce charmante
Dont Diane serait Amante ;
L’éclat de nos Princes du Sang,
Dignes de leur illustre rang ;
Celui de nos Grandes Princesses,
Dont les appas et politesses
Ont de ravir un certain art
Que l’on ne voit point autre part,
Extasiaient sa fantaisie ;
Et nonobstant la jalousie
Qu’à de nous cette Nation,
Le comblaient d’admiration.
De plus, les grâces naturelles
Des Dames et des Demoiselles
Dont le Bal était composé,
Par qui tout était embrasé,
Les Filles d’Honneur de nos Reines
Qui pourraient, sans être trop vaines,
S’estimer des Astres d’Amour
Et les miracles de la Cour,
Lui donnèrent dans la visière,
D’une si visible manière,
Qu’il en perdit sa gravité,
Et, peut-être, sa liberté.

Mais ce qui toucha d’avantage
Ce brave Dom, venu du Tage,
Ce fut quatre Objets précieux,
Quatre Masques belles et lestes,
Quatre Objets qui semblaient célestes,
Qui survenant, illec, d’ailleurs,
Sans d’autres habits que les leurs,
Remplirent la Chambre, ou la Salle,
D’admiration générale :
Les Reines, mêmes, et le Roi,
Voyant en icelles de quoi
Jeter dans les plus froides âmes
Des torrents de feux et de flammes,
Leur faisant démonstration
De tendresse et d’affection,
Les prièrent d’ôter leurs masques ;
Elles qui n’étaient point fantasques,
Montrèrent, en obéissant,
Des visages si ravissants,
Des gorges blanches et caillées,
Si divinement bien taillées,
Des teints si frais et si polis,
Et de tant d’attraits embellis,
Avec des grâces si charmantes,
Dans les beaux pas de leurs courantes,
Où le Roi même les mena,
Que toute la Cour leur donna,
Tout de bon et sans ironie,
Des louanges presque infinies.

Les noms de ces quatre Beautés
Méritent d’être ici cotés.
L’aimable Saintot en est une,
Digne d’une heureuse fortune
Par les admirables trésors
De son esprit et de son corps,
Sœur d’un Courtisan que j’honore,
Et plus fraîche que n’est l’Aurore.
Madame Du Mesnil, aussi,
Qui doit dire à Dieu, grand merci
Pour cette grâce naturelle
Que l’on voit éclater en elle,
Et pour tout plein d’autres talents
Qui sont tout à fait excellents.
Item, la très belle Descartes,
Que j’aimerais mieux que cent tartes :
Ce que j’en dis, c’est pour rimer,
Car on ne saurait trop l’aimer,
Et, certes, cette Dame est telle
Qu’il n’est rien d’aimable comme elle.
De plus l’admirable Ricouard,
Que le bon Dieu préserve et gard
De ces maux qui font tant d’outrages,
Quelquefois, aux plus beaux visages ;
Et qui, dans un rare appareil,
Parut au Bal comme un Soleil
Orné d’attraits et de lumières,
Et de cent beautés singulières.

Ces quatre Angéliques Objets
Sont de beaux et charmants Sujets ;
Et sur lesquels (à le bien prendre)
On souhaiterait fort s’étendre,
Mais j’ai trop peu d’entendement
Pour en discourir longuement.

Lettre VI, du samedi 11 février 1662, « Charmante ».

-Loret annonce la création de l'opéra italien Ercole Amante (qu'il considère comme un "Ballet du roi mêlé d’un Poème tragique") :

Le sept du mois, Mardi passé,
Le Ballet du Roi fut dansé,
Mêlé d’un Poème tragique,
Chanté, tout du long en musique,
Par des Gens Toscans et Romains,
La plupart légers de deux grains ;
Et, même, par l’illustre Hilaire,
Qui ne saurait chanter sans plaire,
Et la Barre pareillement,
Dont la voix plaît infiniment,
Et dont la personne excellente
La Beauté même représente
(Assez convenable rôlet)
Dans ce beau Poème, ou Ballet ;
Lequel Poème s’intitule
En Français, Les Amours d’Hercule,
Et dans sa naturalité
Se nomme Ercole Amante.
L’Auteur de ce fameux Ouvrage [Bouti.]
Est un excellent Personnage,
Ayant en Cour, à ce qu’on dit,
Réputation et crédit.
Je ne dis rien dudit Poème,
D’autant qu’à mon regret extrême,
Son langage mignard et doux
Ne fut, onc, entendu de nous.

Pour le reste, c’est autre chose,
Toutefois, si parler j’en ose,
Je ne saurais faire autrement
Que jaser généralement
De ce Ballet plus qu’admirable,
Duquel la pompe incomparable
Subsiste six heures durant,
Et qu’on peut nommer dix fois grand,
Soit à l’égard des symphonies,
Qui font de rares harmonies,
Soit pour les Décorations,
Les subtiles inventions,
La dignité des Personnages,
Les Machines dans les nuages,
Les Héros, Déesses et Dieux,
L’Air, la Mer, l’Enfer et les Cieux,
Du Soleil, la Sphère brillante,
Qui parut, tout à fait, charmante,
La richesse et les ornements
Des superbes habillements ;
Bref, les dix-huit grandes Entrées,
La moindre valant vingt bourrées :
Et dont Louis, la Fleur des Rois,
Paraît à la tête de trois ;
Que dis-je, trois ? sans rien rabattre,
Il danse, pour le moins, dans quatre,
Se faisant (sans exagérer)
Dans toutes les quatre admirer.
Il représentait en sa danse,
En l’une, la Maison de France ;
Puis Pluton, Mars et le Soleil,
Le dernier dans un appareil
Assez conforme à la manière
Que l’on peint ce Dieu de lumière :
Mais, surtout, furent admirés
De son chef les cheveux dorés,
Agencés d’une main habile,
Et d’une façon si subtile,
Que jusqu’à présent nul Mortel
N’avait admiré rien de tel ;
Notre cher Porte Diadème
Le prisa fort, dit-on, lui-même,
Et tous les Gens de qualité
Etant près de Sa Majesté.

L’Autrice de ce bel Ouvrage,
Femme spirituelle et sage,
S’appelle Madame Touzé,
Nom digne d’être éternisé,
Puisqu’elle est au Monde l’unique
Capable de telle fabrique ;
Et comme elle n’avait souci
De travailler, jusques ici,
Qu’à faire d’admirables tresses
Pour Prélats, Princes et Princesses,
On peut dire avec vérité
Que la rare dextérité
De cette Ouvrière inimitable,
Part un sort assez honorable
De son art plus qu’industrieux,
En sait faire aussi pour les Dieux.

En ce Ballet que nul n’égale,
Dont la dépense est si Royale,
Monsieur que Dieu conserve, amen,
Représente, en dansant, l’Hymen.
Monseigneur le Prince, Alexandre ;
Et c’était assez bien l’entendre
Que lui donner ce grand Nom-là,
Chacun approuvant fort cela.
Monsieur le Duc, son cher Ouvrage,
D’Amour, y fait le Personnage.
Monsieur de Guise, Jupiter.

Ici, je ne puis débiter
Les Noms des Danseurs de remarque
Du Ballet de notre Monarque,
Le nombre en est trop étendu,
Maint rang y serait confondu ;
Et je pourrais, par ignorance,
M’abuser sur la préséance.
Mais, pour le Sexe précieux,
Le cher paradis de nos yeux,
Comme leur nombre est beaucoup moindre,
Je veux, ici, toutes les joindre,
Chaque Nom étant exprimé
Selon l’ordre de l’Imprimé ;
Le tout avec des Vers faciles,
Et non pas des pointes subtiles :
Car quand on fait des in promptus,
Rarement les Vers sont pointus.

Au premier rang, il est bien juste
De mettre notre Reine auguste,
Dont l’agréable Majesté
Est un modèle de Beauté.

Il faut insérer après Elle
Avec raison, Mademoiselle,
Dont les illustres qualités
Ont du renom de tous côtés.

Deux charmantes Fleurs de jeunesse,
Sœurs de la précédente Altesse,
Savoir Alençon et Valois,
Extraites du Sang de nos Rois.

De Soissons, la Comtesse aimable,
Dont la grâce presque adorable
A des charmes et des appas,
Que toutes les Belles n’ont pas.

D’Armagnac, cette autre Comtesse,
Qu’on prendrait pour une Déesse,
Et qui, dès l’âge de douze ans,
Ravissait Cour et Courtisans.

Deux jeunes Sœurs belles et sages,
Qui charment tout par leurs visages,
Mesdemoiselles de Nemours,
Dignes des plus nobles amours.

L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés, quasi divines,
Font infinité d’Amoureux,
Mais ne font qu’un seul Homme heureux.
Sully, Duchesse des mieux née,
De quantité d’appas ornée,
Et dont le Père, assurément,
Fut Homme de grand jugement.

Créquy, cette belle Personne,
Qui quoique Femme est si mignonne,
Qu’en son visage triomphant
On voit encore un teint d’enfant.

La jeune Comtesse de Guiche,
Douce, agréable, belle et riche,
Ayant, par bonheur singulier,
Pour Aïeul un Grand Chancelier.

Rohan, admirable Pucelle,
Si noble, si sage et si belle,
Que quiconque l’épousera,
Un grand Trésor possédera.

Mortemar, qu’on tient sans pareille,
Jeune et ravissante à merveille,
De prudence, d’honnêteté,
D’esprit, de grâce et de beauté.

Des-Autels, Fille de la Reine,
Fort aimable, mais inhumaine,
Qui tient en Cour fort bien son rang,
Et qui vient d’un fort noble Sang.

Ces Belles, tant Femmes que Filles,
Représentaient quinze Familles
Toutes pleines d’honneurs divers,
Des plus grandes de l’Univers,
Et, certainement, leur Entrée
De tant de grâces illustrée,
Du grand nombre des spectateurs
Fit presque autant d’admirateurs.

Ô Chers Lecteurs, dans ces Vers nôtres,
Je ne saurais parler des autres,
Qui firent, toutes, grand effet ;
Mais ce ne serait jamais fait.

Celles de Diane et de l’Aurore,
Selon ce que j’en remémore,
Que dansent Giraut et Verpré,
Sont ravissantes à mon gré,
Ce sont deux aimables spectacles,
Car l’une et l’autre y font miracles.

Celle des Etoiles plût fort,
Et chacun demeura d’accord
Que ces agréables Fillettes ;
Avec tambours et castagnettes,
(Toutes quinze) ne pouvaient pas
Réussir avec plus d’appas,
Chacune étant des mieux parée ;
Et ce fut la dernière Entrée,
Qui donna grand contentement,
Et conclut admirablement.

Lecteurs, vous apprendrez le reste,
Dans le journal, ou Manifeste, ;
Que Balard en a recueilli, [Imprimeur du Roi pour la Musique.]
Où de mettre il n’a pas failli,
Comme pour première parade,
Les beaux Vers du Sieur Bensérade,
Non seulement divertissants,
Mais infiniment ravissants ;
Voilà, donc, une affaire close,
Et je vais parler d’autre chose.

-Le jeune Corneille ravit encore son monde grâce à son Maximian :

Princesse, sachez, mêmement,
Qu’avec grand applaudissement,
Depuis peu la Troupe Royale
Joue une Pièce sans égale,
Dont le titre est Maximian ;
Et l’on dit que depuis un an,
Et, même, depuis plus de seize,
(Aux autres Auteurs n’en déplaise)
Les Comédiens de l’Hôtel
N’ont représenté rien de tel.
Cette dramatique merveille
A pour Auteur Monsieur Corneille,
J’entends Corneille le puîné,
Dont certes l’esprit est orné
De toutes les grâces infuses
Que l’on peut attendre des Muses,
Etant des premiers de son Art,
Et qui (sa Poésie à part,
Dont on fait cas jusques dans Rome)
Est fort honnête et galant Homme.

- Une apostille est destinée à réparer un oubli fâcheux dans la lettre précédente relative au bal donnée par la reine :

Touchant la Mascarade illustre
Qu’avec tant d’éclat et de lustre
On vit en un Bal de la Cour
Paraître et briller l’autre jour ;
On dit qu’en ma dernière Lettre
L’ignorance me fit omettre
(Dont plusieurs furent mal contents)
Un des beaux Objets de ce temps,
Une charmante Créature,
Un Chef-d’œuvre de la Nature,
Savoir Madame du Fresnoy,
Dont je suis bien fâché, ma foi,
Et j’en fais amende honorable
A cette Personne admirable,
La conjurant, par sa beauté
De m’excuser avec bonté.

Lettre VII, du samedi 18 février 1662, « Régalante ».

-Loret évoque tour-à-tour Molière et la Toison d’or :

Pour divertir l’Altesse aimable,
Pour qui mon cœur est immuable,
Et rendre mes Lecteurs contents,
Justes Dieux ! Faut-il qu’en ce temps,
Temps de Carnaval et de Foire,
Je travaille de l’Ecritoire,
Enfermé seul dans la maison ?
N’aurais-je pas plutôt raison
D’aller à droit, d’aller à gauche ?
Non pas pour faire la débauche :
(Car, à parler sans fiction,
Le Vin n’est pas ma passion)
Mais pour exercer d’importance
Le Piquet, la Prime et la Chance ;
Mais pour voir les Momons folets,
Mais pour courir Bals et Ballets ;
Pour, au lieu de faire des carmes,
Aller voir la Cour et ses charmes,
Pour voir l’illustre Toison d’or,
Pour voir Molière et Floridor,
Pour entendre des harmonies,
Pour, dans les belles Compagnies,
Dire de tendres quolibets
Aux Manons, Fanchons et Babets,
Mon inclination me porte
A vouloir agir de la sorte,
Et la saison de maintenant,
Qu’on nomme Carême prenant,
Nous semble autoriser à suivre
Cette douce façon de vivre
Qui donne maint contentement :
Mais je ne puis présentement,
Il faut, de toutes ces délices,
Faire, aujourd’hui, des sacrifices,
Danses, Jeux, Théâtres, Concerts,
A la Princesse que je sers :
Mais, certes, si je ne m’abuse,
Je crois qu’à présent notre Muse
Fort distraite en de pareils jours,
Ne fera pas de longs discours.

Lettre VIII, du samedi 25 février 1662, « Merveilleuse ».

-Loret revient sur le Ballet d’Hercule Amant précédemment cité. Notre gazetier a été charmé par ses représentations :

Le Grand Ballet d’Hercule Amant,
Si magnifique et si charmant,
Fut Lundi, pour la fois dernière,
Dansé de la belle manière :
Je ne l’avais point encor vu
D’un si brillant éclat pourvu ;
Et du Dieu Mars la seule Entrée,
Digne, certes, d’être admirée,
Avec ses nobles Combattants,
Surprit fort tous les Assistants.
On n’entendait point de Musettes,
Mais des Tambours et des trompettes,
Et des timbales, mêmement,
Qui résonnaient terriblement,
Et comblaient d’ardeur martiale
Tous les moins hardis de la Salle.
Quoique ce ne fût qu’un ébat,
Il s’y fit un fort beau combat,
Avec diverses sortes d’armes,
Qui pour nous étaient de doux charmes ;
Dans ce Camp, le Roi secondé [J’ai dit ailleurs que le Roi]
De l’Altesse du Grand Condé [représentait Mars en cette Entrée]
(Un des preux Héros de la Terre) [et Mr le Prince Alexandre.]
Y parut en foudre de guerre,
En Dieu triomphant et vainqueur ;
Saint-Aignan, dont le brave cœur
Eut toujours la Valeur pour guide,
Et qui se porte en intrépide
Dans les périls et les hasards,
Faisait le premiers des Césars ;
Rassan (qui sait l’art de combattre)
L’illutre Amant de Cléopâtre,
Et quantité d’autres Humains,
De Chefs guerriers, Grecs et Romains.
Ce combat fut fait en cadence ;
Et je n’ai point de souvenance,
Moi qui depuis maint et maint jour,
Vois tous les Ballets de la Cour,
Quoi que d’eux je me remémore,
D’avoir vu nulle Entrée, encore,
(Je puis bien jurer de cela)
Si superbe que celle-là,
Ni qui pour de divers usages
Eût compris tant de personnages.

Quel discours pourrait raconter
L’entrée, aussi, de Jupiter ?
De grande et pompeuse entreprise,
Dont était Chef Monsieur de Guise,
Et qui dans ce splendide lieu,
Représentait icelui Dieu.
Illec, quatre antiques Monarques,
Dès longtemps le jouet des Parques,
Et doués de rares vertus,
Cyrus, Philipus, Augustus,
Et Hannibal, au grand courage,
Jadis, Citoyen de Carthage,
Sur de hautes chaises montés,
Etaient en triomphe portés :
Ce qui formait si beau spectacle,
Que j’en pensai crier, miracle :
Et cette Entrée, en vérité,
Par sa splendeur et majesté,
Multitude, éclat, harmonie,
Ravit toute la Compagnie.

Dans mes autres précédents Vers,
En deux ou trois endroits divers,
J’ai parlé de celle des Dames,
Qui comblaient d’amoureuses flammes,
Ainsi que des soleils ardents,
Les cœurs de tous les regardants
Y causant un désordre extrême,
N’en étant pas exempt moi-même,
Aujourd’hui, je prends le souci
De toucher encore ceci ;
Mais on pourrait cent choses dire
Dudit Ballet de notre Sire,
Passant tous les Ballets passés,
Que ce ne serait pas assez.

Outre trente actions célèbres,
On y vit des Pompes funèbres,
Avec des chants si musicaux,
Qu’on les estimait sans égaux.

Les seules Danses des Planètes
Pourraient remplir douze Gazettes
Si l’on les voulait débiter :
Mars, Apollon et Jupiter,
La Lune, Vénus et Mercure,
Dieux de différente nature,
Jouèrent chacun leur Rollet
En cet admirable Ballet,
Avec tant de magnficences,
Eux, et toutes leurs Influences
Que leur seule déduction,
(C’est-à-dire description)
Est digne qu’une belle Plume
Les consacrât dans un Volume.

Mais le passetemps le plus doux,
Selon l’opinion de tous,
Furent quinze Etoiles dansantes ;
Quinze Fillettes ravissantes,
Dont, certes, les jeunes appas,
La gaie humeur et les beaux pas,
Les grâces et les gentillesses,
Pourraient charmer Dieux et Déesses.
Ô Que par Elles, quelque jour,
Fleurira l’empire d’Amour !
Ô Que ces rares Créatures
Causeront de vives pointures !
Que la belle et chère Toussy
Remplira les cœurs de souci !
Que Bailleul, l’aimable mignonne,
Deviendra charmante personne !
Et que la divine Brancas
Par ses traits purs et délicats,
Et sa blancheur incomparable
Doit se rendre un jour adorable !
Les autres étaient Plabisson,
Qui savait des mieux leur leçon,
Vaure, Dargentier, Barnouville,
Ribera, Mousseaux, Arnouville,
Certe, Saugé, Longuet, Mignon,
Dont le visage est bien mignon ;
Et, bref, la petite L’Estrade,
Sur qui l’on jeta mainte œillade.

Certes, ces naissantes Beautés,
Ces jeunes sources de clartés,
Ou, pour le moins, plusieurs d’entre elles,
Récréèrent bien des prunelles,
Causèrent mainte émotion
D’amour et d’admiration,
Et comme elles ne sont encore
Que des images de l’Aurore,
Leurs appas seront sans pareils
Quand elles deviendront soleils :
Mais je ne les crains, ni redoute,
Car, alors, je ne verrai goutte.

Ce Ballet du plus Grand des Rois
Eût été dansé plus de fois,
Mais à la requête et prière
De la pieuse Reine-Mère,
Le Carême étant survenu,
J’ai su du discours ingénu
D’un de mes voisins nommé Jacques
Qu’on l’a salé pour après Pâques :
Mais d’autres Gens mieux éclairés
Prétendant en être assurés,
En discourent d’une autre sorte,
Et disaient Mardi, sur ma porte,
Que ce Ballet étant cassé,
Ne serait jamais plus dansé.

Lettre IX, du samedi 4 mars 1662, « Endormie ».

-Annonce de la création au théâtre du Marais de la nouvelle tragédie du grand Corneille, Sertorius [GF] :

Les bruits des lointaines Contrées
N’auront point, aujourd’hui, d’entrées
Dans cet ouvrage ou discours mien,
Car je n’en apprends, quasi rien,
Ou du moins rien de remarquable,
Et cela me rend excusable :
Mais je trouve assez à propos
De vous dire, à présent, deux mots
De l’excellente Tragédie
D’un rare Auteur de Normandie.

Depuis huit jours, les beaux Esprits
Ne s’entretiennent dans Paris,
Que de la dernière merveille
Qu’a produite le grand Corneille,
Qui, selon le commun récit,
A plus de beautés que son Cid,
A plus de forces et de grâces
Que Pompée, et que les Horaces,
A plus de charmes que n’en a
Son inimitable Cinna,
Que l’Œdipe, ni Rodogune,
Dont la gloire est si peu commune,
Ni, mêmement, qu’Héraclius ;
Savoir le Grand Sertorius,
Qu’au Marais du Temple l’on joue,
Sujet que tout le monde avoue
Être divinement traité,
Nonobstant sa stérilité ;
Et c’est en un semblable Ouvrage,
Ce qu’on admire davantage.
On ne voit, en cette action,
Tendresse, amour, ni passion,
Ni d’extraordinaire spectacle,
Et passe, pourtant, pour miracle.

Certes, cet illutre Normand
Qui n’écrit rien que de charmant,
De merveilleux et d’énergique,
Passe, en qualité de Tragique,
Les Poètes les plus hardis
Du temps présent, et de jadis :
Il fait mieux, dit-on, qu’Euripide,
Buveur de l’Onde Aganipide,
Mieux que Sénèque le Romain,
Prisé de tout le Genre Humain,
Et, bref, mieux que défunt Sophocle,
Qui n’a de rime qu’Empédocle,
Mais dont les Esprits mieux sensés
Disent encor du bien assez
Depuis deux mille ans que cet Homme
Est mort, bien loin, par delà Rome.

Les Comédiens du Marais
Poussés de leur propre intérêt,
Et qui dans des choses pareilles,
Ne font leur métier qu’à merveilles,
S’efforcent à si bien jouer,
Qu’on ne les en peut trop louer :
Et, pour ne pas paraître chiches,
On leur voit des habits si riches,
Si brillants de loin et de près,
Et, pour le sujet, faits exprès,
Que chaque Spectateur proteste
Qu’on ne peut rien voir de plus leste.

Lettre X, du samedi 11 mars 1662, « Obligeante ».

-Le Musicien Raisin trouve grâce aux yeux de Loret qui rend hommage au spectacle qu'il a donné face à la cour quelques jours auparavant :

Cet Homme qui met en pratique
Quand il lui plaît, l’Art de Musique,
Ce Raizin, habile Troyen,
Qui, l’an passé, trouva moyen
De donner au Roi le régale
D’une Epinette machinale,
Qui, d’elle-même, en tons bien clairs,
Exprimait toutes sortes d’Airs,
Et tels, que de sa symphonie,
Les désirait la Compagnie,
(Et, ce qui paraissait plus qu’humain)
Sans que personne y mît la main,
Le tout par des ressorts internes,
Qui plairaient à des Holophernes,
Et dont je fis, lors, quelque écrit :
Ce Raizin, donc, Homme d’esprit,
En a fait une autre excellente,
De la première différente,
Qui, certes, vaut son pesant d’or,
Et surprend cent fois mieux encor ;
L’autre jour, autant qu’on peut dire,
Il en charma notre-dit Sire,
En ayant, presque, à tous moments,
Cent et cent applaudissements ;
Berthod, dont la voix est si belle,
Pour cabinet et pour Chapelle,
Mais, à parler sincèrement,
Qui ne fait rien de l’Instrument,
N’est pas Auteur de la Machine,
(Si je mens, je veux qu’on m’échine)
Mais c’est lui qui, de bonne foi,
En donna connaissance au Roi,
Qui par les yeux et les oreilles
Y prit du plaisir, à merveilles,
Samedi, vers la fin du jour,
Et plusieurs des Grands de la Cour,
Qui (toutefois, sans complaisance)
En dirent du bien, d’importance,
Et de trois beaux Enfants aussi
(Dudit Raizin le cher souci)
Qui dansaient avec castagnettes,
Bien mieux que des Marionnettes,
Eux étant presque aussi petits :
Oui, oui, les ayant vus gratis,
Je puis avec peu d’hyperbole,
Vous l’assurer sur ma parole.

Pour moi, qui ne refuse aux sens
Aucun des plaisirs innocents,
J’ai vu dans l’air des incendies,
Des Ballets et des Comédies,
Des Concerts de Luths et de voix,
Marches, Carrousels et Tournois,
Mais jamais en jour de ma vie,
Je n’eus l’âme si bien ravie
Qu’elle le fut dernièrement
Par ce cher divertissement ?

Certes, tous les Grands et les Grandes,
Dont les oreilles sont friandes
De doux et de justes accords,
Doivent voir ces trois petits corps,
Et leur Epinette enchantée,
Digne d’être à jamais vantée.

Lettre 11, du samedi 18 mars 1662, « Venteuse »

-Loret annonce ce qui ne sera rien d'autre que le Carrousel de Monseigneur le Dauphin :

Attendant la pompeuse Fête
À quoi toute la Cour s’apprête,
Qui pour Carrousel passera,
Et dont, mêmes, le Roi sera,
Suivi d’un éclatant Cortège,
On fait dans le Royal Manège
De belles Courses tous les jours,
Un peu devant l’heure du Cours ;
Et Jeudi, qui fut le jour même
Qu’on célébrait la mi-Carême,
Notre Roi, qui, comme l’on sait,
Est en toutes choses parfait,
Ayant pour concurrents illustres
Des Gens de Dais et de Balustres,
À savoir des Princes du Sang,
Et d’autres d’un sublime Rang,
Gagna le prix, par son adresse,
Duquel Prix avait fait largesse [un Diamant.]
Cette Reine de grand renom,
Dont Anne d’Autriche est le Nom,
Princesse bonne entre les bonnes
Et digne de mille Couronnes.

Auparavant, au même endroit,
Saint-Aignan, Comte fort adroit,
(On me l’a dit dans une Auberge)
Gagna, pour Prix, une Flamberge,
De la main du Roi son Seigneur ;
Villequier, autre Homme d’honneur,
En eut une autre encor [sic] fort riche,
Que donna Thérèse d’Autriche ;
Et le Fils du Comte d’Harcourt, [M. le Comte d’Armagnac.]
Un des plus beaux Princes de la Cour,
Eut, au lieu d’Épée, ou de Lame,
Une Émeraude de Madame,
Qui fut un aimable Présent ;
Et j’ai su cela d’un Exempt.

Lettre XIV, du samedi 8 avril 1662, « Desorientée ».

-Boisrobert est allé ad Patres. Notre gazetier compose son épitaphe :

Bois-Robert, Homme assez notable,
Assez libre, assez accostable,
Ecrivain assez ingénu,
Sur le Parnasse assez connu,
N’est plus que poussière et que cendre,
La Parque l’ayant fait descendre
Depuis dix jours, dans le cercueil,
Dont Apollon mena grand deuil.

Il joua divers Personnages,
Il fit de différents Ouvrages,
Il était, tantôt, Inventeur,
Il était, tantôt, Traducteur,
Il était de Cour et d’Eglise ;
Et pour parler avec franchise
De ce Poète signalé,
C’était un vrai Marchand mêlé.
Comment, pauvre Historiographe,
Ferai-je donc son Epitaphe ?
En semblables cas, selon l’Art,
Il faut être peu babillard ;
Assez rarement on excuse
Un Epitaphe trop diffuse
Fût-elle d’un Homme important,
Mais voicy la sienne, pourtant.

EPITAPHE

De feu Monsieur de Boisrobert.

Ci-gît un Monsieur de Chapitre,
Ci-gît un Abbé portant Mître,
Ci-gît un Courtisan expert,
Ci-gît le fameux Boisrobert,
Ci-gît un Homme Académique,
Ci-gît un Poète Comique,
Et, toutefois, ce monument
N’enferme qu’un corps seulement.

Ceci soit dit à sa mémoire ;
Or comme il possédait la gloire
D’être du Corps des beaux Esprits,
Qui, des Livres, jugent le prix,
C’est aux Favoris du Parnasse,
Dignes d’une semblable place,
À se trémousser et briguer,
Et leur suffisance alléguer,
Pour, en cette grande occurrence,
Tâcher d’avoir la préférence.

Lettre XV, du samedi 22 avril 1662, « Bien reçue ».

-Loret cite une autre représentation du Ballet d’Hercule Amant. Ne pouvant y assister, le voici gagné par la tristesse :

Mardi, le grand Ballet d’Hercule,
Commençant par un Préambule,
Où quatorze Fleuves divers
Font de mélodieux Concerts,
Fut redansé dans cette Salle,
Qui pour Ballets n’a point d’égale ;
Lequel Ballet, je vous promets,
Fut plus admiré que jamais,
Etant abondant en miracles,
Et l’un des plus pompeux spectacles,
Qui dans mille effets éclatants,
Ait paru depuis cinquante ans.

Maintenant, l’on le danse encore,
Durant qu’un chagrin me dévore
De n’y pouvoir me transporter
Pour ce rare plaisir goûter,
Par ce qu’à présent je travaille,
Et si je ne fais rien qui vaille
Dans mon Epître, d’aujourd’hui,
Lecteur, prends-t’en à mon ennui
À ce mien labeur fort contraire,
Et qui ne fait que me distraire.

Lettre XVI, du samedi 29 avril 1662, « Souhaitée ».

-Le poète Jean Magnon, auteur parmi d'autres du Grand Bajazet et Tamerlan et d'Artaxerce, a été assassiné en plein coeur de Paris :

Lundi, jour tranquille et serein,
Louis, notre cher Souverain,
Autant aimé pour son adresse,
Que révéré pour sa sagesse,
Ayant au Palais Cardinal
Fait plusieurs courses à cheval,
Avec cette grâce ordinaire
Dont toute chose on lui voit faire
S’alla promener quelques tours
À six heures du soir au Cours,
(Où l’on courut comme à des noces)
Suivi de sept de ses Carrosses,
Chacun riche, pompeux, doré,
Chacun par huit chevaux tiré,
Qui (quoique sous le frein esclaves)
Etaient si rares et si braves,
Que ledit Cours, qui borde l’eau,
Ne vit jamais rien de si beau.
La plupart des Grands et des Belles,
Quittant Cabinets et Ruelles,
Et tous autres lieux pleins d’appâts,
S’y transportèrent à grands pas,
Et si beau Cortége formèrent,
Que cent fois ils s’entr’admirèrent :
Et, certes, l’unique Paris,
Vrai séjour des jeux et des ris,
Est de cent splendeurs sans pareilles
Pour exhiber tant de merveilles.

Mais aussi bien plus là qu’aux champs
Se rencontrent des Gens méchants,
Des filous, des brigands, des pestes,
À plusieurs Gens de bien funestes ;
Et, pour appuyer mon discours,
Un des forts Auteurs de nos jours,
Un des Favoris du Parnasse,
Qui pouvait égaler un Tasse,
Magnon, Esprit tout plein de feu,
Fut assassiné depuis peu,
C’est-à-dire, l’autre semaine,
Vers, dit-on, la Samaritaine.

Princesse, j’en suis si transi,
Que j’en quitte l’Ouvrage, ici,
Et le sachant dessous la Tombe,
De la main la plume me tombe.

Lettre XVII, du samedi 6 mai 1662, « Régalante ».

-Le mariage du marquis de Rochefort a vu la présence d'une demoiselle Molière remarquable de par ses nombreux attraits physiques :

Rochefort, Marquis Noble et sage,
Bien fait de taille et de visage,
Et fort bel Homme de cheval,
Epousa la jeune Laval,
Un des jours de cette semaine,
Pucelle de grâces si pleine,
De tant d’attraits et de beautés,
Et d’autres rares qualités,
Que sans flatter cette Mignonne,
On peut dire que sa Personne
Aimable comme un doux Printemps,
Est un des miracles du temps.

Monsieur le Chancelier de France,
Parent de notable importance,
Propre Aïeul de cette Beauté,
Par grande libéralité,
En faveur de ce neuf Ménage,
Fit le Banquet du Mariage,
Où, pour ses bontés témoigner,
Il ne voulut rien épargner,
Car, outre qu’il fut magnifique,
Une merveilleuse Musique
(Après, ce dit-on, le dessert)
Y fit un excellent Concert.

Comme dans cet Hôtel illustre,
Où la splendeur est en son lustre,
Rarement j’adresse mes pas,
D'autant qu’on ne m’y connaît pas,
Je n’y vis point icelle Fête :
Mais une Fille fort honnête, [Mademoiselle de Molière.]
Aimable d’esprit et de corps,
Et qui contient plusieurs trésors
En sa belle et prime jeunesse,
De douceur, grâce et gentillesse,
Dont diverses Gens sont ravis,
Envoya chez-moi cet avis ;
Et je n’eusse rien su sans elle
De cet Alliance nouvelle,
Pour avoir-là peu de crédit,
Ainsi que ci-devant j’ai dit.

-Loret fait une dernière mention de ce qu'il appelle "le grand Ballet du Roi" (en marge), c'est-à-dire Ercole Amante :

Ce Ballet, qui par le passé
A tant de fois été dansé,
En noble et pompeuse cadence,
Encore aujourd’hui se redanse :
Mais j’ai su de deux, ou de trois,
Que c’est pour la dernière fois.
Et comme la belle Thérèse
Ne va plus à présent qu’en chaise,
Pour conserver le Fruit second
Formé dans son ventre fécond,
Madame y parait en sa place ;
Mais qui danse avec tant de grâce,
Que tel qui l’a bien des fois vu
De tout son grand éclat pourvu,
Quelque longtemps qu’on y séjourne,
Volontiers encore y retourne
Pour l’agréable nouveauté
D’y voir danser cette Beauté.

-Une apostille fait état du succès du Manlius Torquatus de Mademoiselle Desjardins :

APOSTILLE.
Manlius Torquatus, Poème,
Que l’on tient d’un mérite extrême,
Sujet grave, sujet Romain,
Qui vient d’une agréable main,
D’une Fille, étant la besogne,
Se joue en l’Hôtel de Bourgogne,
Oui, s’y joue, et certainement
Avec grand aplaudissement.
Desjardins, jeune Demoiselle,
À fait cette Pièce nouvelle,
Où très bien des Gens sont d’accord
Qu’on y voit du tendre et du fort,
Une judicieuse suite,
Du génie et de la conduite ;
Et, le tout si beau, si touchant,
Qu’à moins d’avoir l’esprit méchant,
Envieux, jaloux et sauvage,
Il faut admirer cet Ouvrage,
Que plusieurs nomment merveilleux,
D’autres disent miraculeux,
Et la Troupe qui le récite,
Loin de rabaisser son mérite,
Y mêle un certain agrément
Qui l’embellit extrêmement.

Déjà plusieurs beaux Ecrits d’elle
Couraient de Ruelle en Ruelle ;
On trouvait fort doux et fort nets,
Ses Quatrains, Sizains et Sonnets,
Elle avait fait mainte Élégie
Pleine d’esprit et d’énergie ;
Ses In promptus et Madrigaux,
Aux plus rares étaient égaux,
On idolâtrait ses Eglogues,
Quoique, pourtant, sans Dialogues :
Mais des Gens d’assez bon gustus,
Disent que dans son Torquatus
Cette Ame belle et bien sensée,
S’est infiniment surpassée.

J’irai demain, s’il plaît à Dieu,
En ce délectable et beau lieu,
Où cette Pièce si vantée
Est dignement représentée,
Nullement pour l’examiner :
Mais pour le plaisir m’en donner,
Et, selon les bons desseins nôtres,
Battre des mains comme les autres.

Lettre XVIII, du samedi 13 mai 1662, « Énumérante ».

-Monsieur, toujours prompt à régaler ses hôtes, n'a pas failli à sa réputation. Au cours de laquelle de nombreux divertissements, parmi lesquels la comédie, ont été donnés :

Monsieur, Prince de grand mérite,
A régalé la Cour susdite
Mercredi dernier, à saint Cloud,
Palais pompeux et charmant, où
L’on voit, à plaisir, des centaines
De canaux, de jets, de fontaines,
Et mille autres diversités
Par qui les yeux sont enchantés.
La Régale fut magnifique,
On n’y manqua pas de musique,
Ni de Violons, ni de Bal,
Ni de spectacle Théâtral :
Car Monsieur, en choses pareilles,
Agit, d'ordinaire, à merveilles:
Mais, entre tant d’instincts si bons
Qu’en ce troisième des Bourbons
Le juste Ciel a voulu joindre,
On peut dire que c’est le moindre.

-Puis Loret revient sur la fortune du Torquatus :

Altesse, pour qui je compose
Lettres en Vers, et non en prose,
Princesse estimant les vertus,
Si vous n’avez vu Torquatus,
Illustre Tragi-comédie
D’une Fille de Normandie,
D’une Fille de grand renom,
Dont Desjardins est le surnom,
D’Alençon et non de Valognes,
Courez à l’Hôtel de Bourgogne,
Pour, en cinq cents endroits divers,
Admirer les plus charmants Vers,
Dont Paris, sur un beau Théâtre,
Ait été jamais idolâtre ;
Tous Auditeurs en sont ravis :
Allez donc, suivez mon avis,
Allez, courez à ce spectacle,
Et ne manquez pas ce miracle,
Dont tous les Gens qualifiés
Sont hautement édifiés,
Lui donnant d’infinis éloges
Sur le Théâtre et dans les Loges.

Lettre XX, du samedi 27 mai 1662, « Supliante ».

-La pièce de Mademoiselle Desjardins fait toujours des heureux :

Cependant que de jour en jour
Tous les plus Galants de la Cour
Apprêtent tous leurs équipages
D’habits, Chevaux, Valets et Pages,
Pour paraître en pompeux arroi
Au Carrousel de notre Roi ;
La jeune Autrice de Torquate, [Mlle des Jardins.]
Pièce charmante et délicate,
A fait, en style net et fin,
Un Carrousel pour le Dauphin,
Partie en Vers, partie en Prose,
Qu’on tient une aussi rare chose
Que depuis longtemps par écrit
Ait produite un sublime Esprit.
L’invention en est si belle,
Et l'économie en est telle,
Que, certainement, tous Lecteurs
Deviendront les admirateurs
De cette Pièce singulière,
Quand on l’aura mise en lumière.

Ces jours passés, foi de Normand
Cette Fille, d’esprit charmant,
Faisant admirer son génie
En une illustre Compagnie,
Chez un Magistrat renommé [M. le Procureur du Roi.]
Des honnêtes gens fort aimé,
Après une splendide chère
Que l’on fait, illec, d’ordinaire,
Ledit Carrousel récita,
Qui, de tous, la joie augmenta ;
On loua sa Plume diserte,
Et tous criaient, à gorge ouverte,
(Autant les bruns que les blondins)
Vive l’aimable Desjardins.

Lettre XXI, du samedi 3 juin 1662, « Courageuse ».

-Le Carrousel précédemment annoncé est attendu avec impatience :

En attendant le Carrousel,
Lequel, ce dit-on, sera tel,
Que maint vieil Courtisan proteste
Qu’on ne vit jamais rien si leste ;
Monsieur, dans son Palais-Royal,
Ces jours passés donna le Bal,
Qui fut (ainsi qu’il se pratique)
Suivi d’un Banquet magnifique :
Mais comme c’est la vérité
Que je ne fus pas invité
D’aller en cette fête auguste,
Je ne saurais en parler juste.

-Scaramouche a quitté Paris pour Florence, au risque de plonger dans l'affliction le coeur de ses fidèles spectateurs français :

Scaramouche, ce Galant Homme
Qui passe dans Paris et Rome,
Et dans les plus célèbres lieux,
Pour la Fleur des Facétieux,
Ne trouvant nul qui se pique
De l’égaler dans le Comique ;
Ayant reçu des Majestés
Tout plein de liberalités,
Et d’autres Gens de conséquence,
Est parti d’ici pour Florence,
Belle et magnifique Cité,
Et lieu de sa nativité :
Mais, ô Gens de Cour et de Ville,
Quoique Scaramouche ait fait gille [Marge illisible]
Pour aller en icelui lieu,
Et que, même, il m’ait dit adieu,
N’entrez pas en désespérade [sic]
Pour cette sienne promenade :
Car le jour de son partement
Il promit, dit-on, par serment,
Tant au Roi, qu’à mainte Personne
D’être de retour dans l’Automne,
Ce que chacun souhaite fort,
Car il faut demeurer d’accord
Que par tout il est en estime
D’un Comédien rarissime.

Lettre XXII, du samedi 10 juin 1662, « Illustre ».

-Le Carrousel de Monseigneur le Dauphin se donne enfin à voir :

Cet espèce de Carrousel,
Digne d’un lot universel,
Et qui causait, comme je pense,
Dans Paris, grande impatience,
Les jours (vrai comme je le dis)
Tant de Lundi, que de Mardi,
Se fit avec ses cinq Quadrilles,
Non d’Argoulets, ny de Sondrilles,
Mais de Cavaliers fort Galants,
Couverts d’habits étincelants,
Ayants pour Chefs, non des Gens minces,
Mais un Monarque et quatre Princes,
Dont, certainement, la Grandeur
Parut avec tant de splendeur,
Tant d’extrêmes magnificences,
Tant de frais et tant de dépences,
Tant d’or (tant mélangé, que pur)
Tant de brun, de blanc et d’azur,
Tant de couleur de vin de Beaune,
Tant de gris-de-lin et de jaune,
Tant de grands pennaches divers,
Flamboyans, incarnats et verts,
Tant de perles, la plupart fines,
Tant de brodequins, ou bottines,
Tant de diamants et rubis,
Et sur housses et sur habits ;
Tant de turbans, bonnets et vestes,
Et bref, tant d’ornements si lestes,
Que dix Poètes, vingt Docteurs,
Et quarante-et-quatre Orateurs,
N’en feraient dans leurs Ecritures,
Que d’imparfaites portraitures.
Toutefois, sans aucuns avis,
(Sur ce sujet, onc, je n’en vis)
Je vais mettre dans notre Histoire
Les choses dont j’aurai mémoire :
Mais avec si peu d’ornement,
Si simplement, si faiblement,
Que je m’imagine, à ma honte,
Qu’on n’en fera guère de conte.

Primò, Monseigneur de Grammont [Duc et Maréchal de France.]
Non pas fier comme un Rodomont,
Mais d’humeur civile et Française,
C’est-à-dire brave et courtoise,
D’un assez beau Train escorté,
Bien emplumé, bien clinquanté,
Au son des timbales plaisantes,
Et des trompettes résonantes,
Entra dans le Camp, à cheval,
Comme Maréchal Général,
Et fit d’une belle manière
Le large tour de la Carrière.

En suite, en très pompeux arroi,
Parut la Quadrille du Roi,
A toutes autres préférable ;
Et cette Quadrille admirable
Du plus illustre des Humains,
Etaient Personnages Romains,
Dont la nombreuse multitude,
Et l’éclatante lestitude,
Qu’on ne peut bien représenter,
Semblait comme ressusciter,
Dans cette Démarche Romaine ;
Et le Roi, dont le haut aspect
Comblait tous les coeurs de respect,
Dans une comparaison juste,
En paraissait l’heureux Auguste ;
Je crois que jamais le Soleil
Ne vit un si riche Appareil.

Monsieur le Comte de Noüaille,
Homme d’esprit et de bataille,
Et mieux vêtu que le Grand-Kam,
En était Maréchal de Camp,
Sans, toutefois, qu’on puisse dire
Qu’il abandonnât notre Sire ;
C’était son unique souci,
S’il courait, il courait aussi,
A côté, devant et derrière,
Quand il parfaisait sa carrière :
Et chacun voyait bien alors,
Que ce Chef des Gardes du Corps
Etait, pour ce Roi plein de gloire,
Un Corps-de-garde ambulatoire.

Si je suis assez informé
Par certain nouvel Imprimé
Que sur le Pont-neuf on débite,
Voici les Gens de grand mérite,
Qualifiés et signalés,
Dans cette Quadrille enrôlés,
Sans observer ni rang, ni grade ;
Savigny, Navailles, Feüillade,
Armagnac, Saint-Aignan, Duras,
Ayants tous bons coeurs et bons bras ;
Du Lude, Villequier, Vivonne,
Tous Gens bien faits de leur personne ;
Et le sieur Duc de Richelieu,
Lequel n’étant point sur le lieu,
Un autre en entreprit la course,
Et de Villequier aussi, pour ce
(Et du sieur de Duras, aussi)
Qu’ils n’étoient point alors ici.
Il me reste encore à vous dire
Que les Couleurs de notre Sire
(Si je m’en souviens tant soit peu)
Etaient noir et couleur-de-feu.

Le plus Galant Prince du Monde,
Monsieur, fut Chef de la seconde,
Lequel, tant lui, que tous les siens,
Imitant l’air des Persiens,
Dans la façon la plus jolie
De cette Nation polie,
Furent des plus considérés,
Et, même, des plus admirés ;
Monsieur, n’inspirant sur sa voie,
Que douceur, qu’amour et que joie.
Ses Couleurs (je le dis tout franc)
Etaient l’incarnat et le blanc ;
Et tous les Seigneurs qui coururent
Sous ce Chef, ce me semble, furent
Le sieur Marquis de Villeroy,
Un des plus charmants du Tournoi ;
Excellente et haute Personne,
Le sieur Comte de Lilebonne,
Rohan, Foix, Vaillac, Du-Plessis,
(Cela fait le nombre de six)
Marcillac, d’Illiers et de Claire,
Gens de mérite extr’ordinaire,
Et le Marquis de Bellefont,
Dont je prétends parler à fond.

Condé, dont par tout le Nom brille,
Etait le Chef de la Quadrille
De ce Gens qui riment en urcs,
Vulgairement appelés Turcs,
Gens redoutés en Paix, ou Guerre
De plusieurs Climats de la Terre ;
Mais comme ce Prince, ainsi qu’eux,
Est hardi, vaillant, belliqueux,
On eût dit, voyant sa Personne,
Que c’était, ou Mars, ou Bellonne.
Je crois que jamais Ottoman,
(Sans en excepter Soliman)
Ne fit paraître en son visage
Tant de fierté, ni de courage.
Sa grande Escorte de Spahis,
D’Agas et de Berligbeys,
De Bassas et de Janissaires,
Du Turc, les Gardes ordinaires,
(A n’en mentir, ni peu, ni point)
Parut magnifique à tel point,
Qu’on disait, voyant leur Richesse,
Que, même, sa propre Hautesse,
Dans Byzance, ou dans d’autres lieux,
Ne pourrait pas éclater mieux.

Voici, suivant qu’on le rapporte
Quels étaient ceux de cette Escorte,
Monsieur le Comte de Sery,
Pour lequel j’eusse fait pari ;
Le sieur Chevalier de Béthune,
Digne d'une bonne fortune ;
Le sieur Marquis de Chalmazel,
Qui parut fort au Carrousel ;
De Saut, aimable et jeune Comte,
Dont je vous rendrai tantôt compte,
En disant deux mots de l’honneur,
Que s’est acquis ledit Seigneur ;
Coaslin, Gamaches, Bouteville,
De Boüillon, illustre entre mille,
Lauzun, Péguilain et Soy’cour,
Tous Gens de coeur et Gens de Cour,
Tous Gens de très-noble naissance
Et qui tiennent rang dans la France,
Bref, leurs Couleurs, belles à voir,
Etaient le bleu, le blanc, le noir.

Monsieur le Duc, dont la jeunesse
Joint le courage à la Noblesse,
Un de nos illustres Bourbons,
Dont les destins sont beaux et bons,
Ayant, maintenant, vent en poupe,
Primait dans la quatrième Troupe,
Qui, certes, les coeurs ravissait
Par tout où sa Marche passait.
Les Messieurs de la Compagnie
Ressemblaient à ceux d’Arménie,
Peuples, dans le Monde, fameux,
Et, même, étaient armés comme eux ;
Le tout si riche et si superbe,
Qu’à peine un esprit de Malherbe,
De Chapelain, ou de Gombaud,
En pourraient parler comme il faut ;
Nos yeux les suivaient à la piste ;
Et je vais mettre ici la liste,
Selon la pure vérité,
Des Personnes de qualité
De cette Bande noble et belle,
Digne qu’on se souvienne d’elle ;
Canaple, Humiéres, Montpezat,
Méritants mieux qu’un Marquisat ;
Chevalier du Plessis, de Roye,
Des plus braves Seigneurs qu’on voie ;
Guitaud, et le Duc de Nevers,
Pour qui, jadis, je fis des Vers ;
De Genlis, adroit à la lance,
Aussi bien qu’adroit à la danse,
Monseigneur le Duc de Sully,
Et, même, Monsieur d’Oüailly.

Ici, mes chers Lecteurs je charge
De voir leurs Couleurs à la marge, [blanc noir et jaune]
Et d’y regarder quant-et-quant
Le nom du Maréchal de Camp. [M. le Comte d'Etrée]

Après marchait Monsieur de Guise,
Digne que l’on l’immortalise,
Etant Chef, non de Gens blondins,
Mais de Mores et Grenadins,
D’Indiens, d’Abyssins, de Nègres,
La plupart d’eux assez allègres,
Conduisants, avec gravité,
Des Ours en bonne quantité,
Des Singes, Guenons et Guenuches,
Et, je crois, mêmes, des Autruches,
Dont tout Paris était ravi,
Et, moi-même, quand je les vis.

Si j’avais du temps davantage
Je dépeindrais cet Equipage,
(Et, voire, avec de plus beaux traits)
Plus amplement que je ne fais.
D’ailleurs, ma veine est moins fluide,
Je sens qu’elle devient aride,
Et je suis si las de jaser,
Que je devrais me reposer :
Mais, en dûssai-je être malade,
Il faut que de cette Brigade
Je nomme ici les Cavaliers,
Comme étants tous Gens singuliers,
Qui, dans le Monde, ont de la vogue,
En voici, donc, le catalogue.

Monsieur le Chevalier d’Harcourt,
Un des Princes de nôtre Cour ;
Rochefort, Plumartin, La Chatre,
(En voila, ce me semble, quatre ;)
Ragny, Vervins et Mirepois,
(Ces Messieurs en font encor trois) [Leurs couleurs étaient blanc et vert.]
Beuvron, Thury, Brissac, trois autres ;
Et je puis dire, en ces Vers nôtres, [Le Comte d’Etrée Maréchal de Camp.]
Qu’on ne peut faire trop d’honneurs
A ces dix généreux Seigneurs.

Enfin, pour revenir aux Courses
Qui, sans mentir, furent les sources
De cent mille exclamations,
Et d’autant d’admirations,
Ces cinq Quadrilles, sans pareilles
Firent, à l’envi, des merveilles,
Les Princes, Ducs, Comtes (et) Marquis,
Bien de l’honneur s’y sont acquis ;
Et le Roi, la Fleur des Monarques,
Y donna tant de belles marques
De sa rare dextérité,
Que l’on croyoit, en vérité,
(Tant il contesta la victoire)
Que lui seul en aurait la gloire.
Mais Bellefont, Seigneur Normand, [De la Quadrille de Mr le Duc d’Orléans.]
Acquit le premier Diamant,
(D’un prix, dit-on, inestimable)
Par son adresse incomparable.
Et Monsieur le Comte de Saut,
Propre à courir, propre à l’assaut, [De la Quadrille de M. le Prince.]
Gagna, la seconde journée,
La marque d’honneur destinée,
Que ces deux trop heureux Humains
Reçurent des plus belles mains
Qu’eurent jamais des Souveraines,
Savoir de celles de nos Reines,
Dignes par leurs appas vainqueurs,
De charmer tous les nobles coeurs,
Et de régir cinquante Empires,
Aussi bien que les plus grands Sires.

Lettre XXVII, du samedi 15 juillet 1662, « Modérée ».

-Théagène de Gilbert et Le Baron de la Crasse de Poisson sont joués par la troupe du roi sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne :

Hier, qu’il était Vendredi,
A quatre heures après midi,
Monsieur, avec sa belle Epouse
Et des siens plus de deux fois douze,
Tant Domestiques, qu’autrement,
Prirent un grand contentement
A voir une Pièce nouvelle,
Fille de la docte cervelle
Du sage et renommé Gilbert,
En l’Art d’Apollon très expert,
Que Messieurs de l’Hôtel jouèrent, [La Troupe Royale.]
Et que bien des Gens admirèrent,
Tant pour l’excellence des Vers,
Que pour ses intrigues divers,
Et la conduite juste et belle
Que partout on remarque en elle.
Théagène en est le Héros,
Et plusieurs tiennent ce propos,
Qu’on n’a jamais vu sur la Scène
Rien de plus beau que Théagène.

Mais comme ce sujet nouveau
Est aussi sérieux que beau,
Il fut, avec grande efficace,
Suivi du Baron de la Crasse,
Farce, d’une rare façon,
Dont est Auteur le sieur Poisson, [Comédien.]
Qui changerait en Démocrites
Tous les plus hargneux Héraclites,
Tant on y voit à tous moments
De risibles événements.

Avant cette Pièce enjouée
Qui ne peut être assez louée,
Ni du triste, ni du rieur,
Floridor harangua Monsieur ;
Assez succinct sur son langage ;
Mais comme un Orateur sage
Il possède le beau Talent,
Ce peu qu’il dit fut excellent.

Je ne sais que par ouï dire
L’article que je viens d’êcrire,
Quand ce serait pour des Trésors,
Le Vendredi point je ne sors :
Mais, demain, sur un banc ou chaise,
Je verrai Théagène, à l’aise,
Ô Princesse, et je crois qu’aussi
Vous aurez le même souci ;
Car cette Pièce en vaut la peine,
Quand bien vous seriez une Reine.

Lettre 29, du samedi 29 juillet, « Passionnée ».

-Loret relate une fête de cour qui s'est tenu dans la belle ville de Chantilly. La Cité du Grand Condé a vu réunis son monarque et la Reine-Mère d'Angleterre dans les mêmes divertissements. Ainsi :

D’Angleterre, la Reine-Mère,
Non sans sentir douleur amère,
Ayant, avec d’humides yeux,
Reçu des millions d’adieux
De nos sages Porte-Couronnes,
Et d’infinité de Personnes,
Mardi dernier, partit d’ici,
Dont maints eurent le coeur transi.
Monsieur, et Madame, sa Fille,
Deux des Astres de sa Famille,
Qu’avant que de s’en séparer
On entendit bien soupirer,
Jusques vers Beaumont l’escortèrent,
Et dans leur retour ils passèrent
Dans Chantilly, l’un des beaux lieux
Qui soient sous la voûte des Cieux ;
Là (je ne sais pas si c’est baye,
Ou si c’est une chose vraie)
On dit que le Roi, même, exprès,
Se rendit quelque temps après,
Et dans cette Maison Royale
Le Grand Condé leur fit Régale,
Qui, selon les communs discours,
Dura, du moins, plus de deux jours ;
Et n’épargna soins, ni dépenses,
Raretés, ni magnificences,
Pour, en cette Réception,
Signaler son affection ;
La bonne chère y fut parfaite,
Et de tout ce que l’on souhaite
Dans les délicieux Repas,
Les Tables ne manquèrent pas.

Outre cette chère Angélique,
Il donna Bal, Chasse et Musique,
Les grands Comédiens du Roi
Eurent, même, illec de l’emploi :
Enfin, ce Prince magnanime,
Prince, en toutes choses sublime,
Fit ce témoignage éclater,
Qu’il s’entend en l’Art de traiter,
Comme on sait par toute la Terre
Qu’il sait, des mieux, l’art de la Guerre.

Lettre XXXII, du samedi 13 août 1662, « Dolente ».

-La « Troupe comique de Monsieur » a reçu des gages pour son talent à divertir les grands :

De Monsieur, la Troupe Comique,
Qui de bien divertir se pique,
Est présentement de retour
De Saint-Germain, lieu de la Cour,
Ayant joué, quelques semaines,
Devant le Roi, devant les Reines,
Qui sont d’elle, à n’en mentir point
Satisfaites au dernier point ;
Et pour guerdon de leurs services,
Tous les Acteurs et les Actrices
Qui sont quinze, de compte fait,
(Tous Gens entendants bien leur fait
Outre d’assez douces paroles,
Ont reçu chacun cent pistoles,
Notre-dit Roi ne plaignant rien
A ceux, dit-on, qui servent bien.

Lettre XXXIII, du samedi 26 août 1662, « Malade ».

-En cette fin d'année scolaire, un épisode de l'histoire du Haut Moyen-Âge est dramatisé sur la scène du Collège des Jésuites de Clermont :

Mardi, le vingt-et-deux tout juste,
Du mois nommé du nom d’Auguste,
Dans ce Collège tant vanté
Que tu vois écrit à côté,
Les Ecoliers des Jésuites,
Dont les Personnes sont instruites
Aux Sciences, soir et matin,
Représentèrent en Latin,
Sur un Théâtre magnifique,
D’Egeric, l’Histoire tragique,
Dont les Vers, à ce que m’ont dit
Des Gens d’esprit et de crédit,
(Et me l’ont dit en conscience)
Sont pleins d’art et d’intelligence ;
Le Père Du-Bois, ce dit-on,
Sage et sensé comme un Caton
(Je n’ose dire davantage)
Est l’Auteur du susdit Ouvrage,
Tiré de Grégoire de Tours,
Et rempli de fort beaux Discours.

Des Ballets d’Entre-actes suivirent,
Qui plurent et qui réjouirent,
Ayants pour visée et pour fin
Le sort de Monsieur le Dauphin.
J’en voudrais dire davantage,
Mais le mal félon qui m’outrage
Ne me permet ni peu, ni point,
De bien approfondir ce point.

Lettre XXXV, du samedi 9 septembre 1662, « Vigoureuse ».

-Mademoiselle Baron s'en est allée rejoindre les héroïnes mythiques qu'elle avait incarnées :

Cette Actrice de grand renom,
Dont La Baronne était le nom,
Cette Merveille de Théâtre,
Dont Paris était idolâtre,
Qui par ses récits enchanteurs
Ravissait tous ses Auditeurs,
De la belle et tendre manière,
Est depuis deux jours dans la bière,
Et la mort n’a point respecté
Cette singulière Beauté,
Faisant périr en sa personne,
Une grâce toute mignonne,
Un air charmant, un teint de lys,
Mille et mille agréments jolis,
Qui des yeux étaient les délices,
Bref, une des rares Actrices
Qui pour notre félicité
Sur la Scène ait jamais monté.
Dés que l’on voyait son visage
Tous les coeurs lui rendaient hommage,
Son discours et son action,
Inspiraient de l’attention ;
Soit qu’elle fut Reine, ou Bergère,
Déesse, ou Nymphe bocagère,
Elle plaisait, à tout moment,
Et comme elle était pleinement
De cent et cent attraits pourvue,
On ne la perdait point de vue.

Sans se frotter les yeux d’oignons,
Ses Compagnes et Compagnons,
Voyant décéder tant de charmes,
Ont bien dû répandre de larmes ;
Et je crois qu’ils n’espèrent pas,
Songeant à ce qu’elle eut d’appas,
Pour charmer les yeux et l’oreille,
Recouvrer jamais sa pareille.

Approchant ses derniers moments,
Elle reçut ses Sacrements ;
Et comme durant son bel âge,
Elle joua maint Personnage,
Dans des déguisements divers,
Voyez son Epitaphe en Vers.

ÉPITAPHE
De Mademoizelle Baron, Comédienne illustre
dans la Troupe Royale.

Ici gît, qui fut Indienne,
Bohémienne, Egyptienne,
Athénienne, Arménienne,
Qui fut Turque, qui fut Païenne,
Le tout comme Comédienne,
Et, puis, mourut bonne Chrétienne.

Lettre XLV, du samedi 18 novembre 1662.

-Scaramouche, parti à Florence quelques mois plus tôt (voir plus haut) est de retour à Paris, à la plus grande joie de Loret et de tous ses adorateurs :

Ce cher Auteur qui fait tant rire,
Et qu’au Théâtre l’on admire
Comme un des plus facétieux
Qui soient sous la rondeur des Cieux,
Qui si bien la Guitare touche,
Enfin, l’unique Scaramouche,
Pour charmer Paris et la Cour,
Est présentement de retour ;
Cet avis au Public je donne,
Et que sa plaisante personne
A, pour les délicats cerveaux,
Apporté tant de traits nouveaux,
Pour dilater avecques joie,
La rate, le cœur et le foie,
Que je vous jure et vous promets
Qu’il est couru plus que jamais ;
Dont sa Troupe, Troupe excellente,
N’a pas sujet d’être dolente,
Car ses Compagnons, aujourd’hui,
S’étant concertés avec lui,
Chaque fois qu’au Théâtre on monte,
Ils y trouvent bien mieux leur compte.

Lettre LI, du samedi 30 décembre 1662, « Générale ».

-Démetrius et Persée tragédie de Thomas Corneille, est annoncée par les Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne. Loret insiste sur la longue campagne publicitaire dont elle a été l'objet. Mais ce sera un four: une semaine plus tard elle cédera sa place à la Sophonisbe de son frère Pierre Corneille. [GF]

Quiconque sera curieux
De voir d’un Auteur glorieux
La Pièce, ou bien la Tragédie,
La plus noble et la plus hardie,
Et d’un caractère immortel ;
Les Comédiens de l’Hôtel
Sous ces deux noms l’ont annoncée
De Démétrius et Persée,
Sujet en beaux discours fécond,
Traité par Corneille second,
Dont la riche et fertile veine
L’a fait paraître sur la Scène.
Je n’avais plus intention
De faire jamais mention
D’aucun œuvre grave, ou grotesque,
Dans notre Gazette Burlesque,
Je n’avais parlé bas, ni haut,
Ni de Boyer, ni de Quinault,
Qu’un feu tout différent inspire
Dans leur belle façon d’écrire,
L’un étant net, tendre et galant,
Et l’autre héroïque et brillant.
Je n’ai point parlé de Molière,
Dont admirable est la manière,
Ni de Prade, le fort esprit,
Dont on voit maint savant écrit,
Ni d’autres excellents Génies,
Exaltés dans les Compagnies ;
Ainsi m’était-il ordonné
Par un avis qu’on m’a donné :
Mais la Pièce dudit Corneille,
Qu’on peut nommer une merveille,
Est un Ouvrage si parfait,
Que pour la rareté du fait
(Qui voudra me gloser, me glose)
J’en ai dit ici quelque chose,
Sur l’état qu’on m’a rapporté,
Qu’en font des Gens de qualité,
Parmi (des) Dames et Demoiselles,
Et dans les plus fines Ruelles ;
Car, pour de moi-même en juger,
Je n’aurais garde d’y songer,
J’ai l’esprit un peu trop pécore,
Puis, je ne l’ai pas vue encore.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).




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