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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1661
Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)
- Lettre II, du samedi 1er janvier 1661, « Naissante ».
- -Loret évoque la représentation du Tigrane de Boyer, signale la présence d'une nouvelle troupe à Paris, parle des préparatifs du Jason de Corneille (c'est-à-dire La Conquête de la Toison d'or) et annonce le retour des Comédiens italiens [GF] :
- Cependant que notre Musette
- Méditait sur cette Gazette,
- Ceux de l’Hôtel jouèrent, hier,
- Le Tigrane du sieur Boyer, [La Troupe Royale,]
- Pièce, non seulement nouvelle, [Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne.]
- Mais savante, touchante et belle ;
- Et (ce m’ont dit quelques Bourgeois)
- Jamais, pour la première fois,
- Pièce n’attira tant de monde
- De trois mille pas à la ronde,
- Qu’illec, en furent assemblés,
- Qui, tous, en sortirent comblés
- De contentement et d’estime,
- Pour cet Ouvrage fortissime.
- Les Acteurs, tous Gens studieux,
- Représentant, à qui mieux, mieux,
- Ce Sujet feint, ou véritable,
- Le firent trouver admirable.
- J’espérais bien, au premier jour,
- Aidant Dieu, la voir à mon tour,
- Et d’y trouver fort bonne place,
- Mais par une prompte disgrâce
- On l’a, défendue, aujourd’hui,
- Dont l’Auteur a beaucoup d’ennui.
- Une Troupe toute nouvelle,
- Qui se dit à Mademoiselle,
- Qu’on attendait, de longue main,
- Joue au Faubourg de Saint Germain.
- Celle de Monsieur se prépare
- À donner maint spectacle rare.
- Les Comédiens du Marais
- Font un inconcevable apprêt,
- Pour jouer, comme une Merveille,
- Le Jason de Monsieur Corneille.
- Ainsi, pour plaire aux beaux Esprits,
- On voit cinq Troupes dans Paris,
- Y comprise celle d’Espagne ;
- Et dans la prochaine Campagne,
- C’est-à-dire en Avril, ou Mai,
- Où le temps devient doux et gai,
- Nous aurons celle d’Italie,
- De Scaramouche et d’Aurélie,
- (Ou, si l’on veut, Aurélia)
- Avec Trivelin, tant y a
- Que voilà six Troupes Comiques ;
- Et je crois qu’aux siècles antiques,
- Paris, quoique séjour des Rois,
- N’en vit jamais tant à la fois.
- Quelque taciturne cervelle
- Nommera ceci bagatelle,
- Alléguant qu’elle ne vaut rien
- Pour en faire un long entretien ;
- Mais disant qu’une seule Ville
- (Quoique florissante entre mille)
- Contient cinq Théâtres ouverts
- À dire et déclamer des Vers,
- Pour faire valoir le Cothurne ;
- N’en déplaise à tout taciturne
- (Sans, pourtant, en manquer aucun)
- Cela, ma foi, n’est pas commun.
- Lettre III, du samedi 15 janvier 1661, « Lustrée ».
- -Loret évoque des réjouissances pour le mariage du roi.
- Par les heureux succès du Roi,
- Et les Conseils, de bon aloi,
- Du Pilote de son Navire,
- Jules, que l’Univers admire,
- Dans la France, de toutes parts,
- La Paix règne au lieu du Dieu Mars,
- Ce ne sont que réjouissances,
- Ballets, Mascarades et Danses ;
- Du seul Amour les traits vainqueurs,
- Ont déclaré la guerre aux Cœurs,
- Mais c’est une guerre charmante,
- Et qui n’est point du tout sanglante :
- Un Amant dit bien tous les jours,
- Parlant à ses chères Amours,
- « Je souffre un rigoureux martyre,
- « Je pâme, je sens que j’expire,
- « Cloris, soulagez mon tourment,
- « Où je mourrai dans un moment.
- C’est avec de telles fleurettes
- Qu’ils expriment leurs amourettes,
- Et d’un ton assez importuns :
- Mais, au Diable, s’il en meurt un.
- Lettre 4, du samedi 22 janvier 1661, « Carnavaliste ».
- -Loret évoque une réception donnée par Fouquet dans son château de Vaux-le-Vicomte.
- Samedi, Monseigneur Fouquet
- Avait, ce dit-on, le Bouquet,
- C’est-à-dire, en autre langage,
- Que cet illustre Personnage,
- Surintendant de la Toison,
- Dans son opulente Maison,
- Bien éclairée et bien musquée,
- Reçut toute la Cour masquée,
- Qui fut, lors, selon sa grandeur,
- Traitée avec tant de splendeur,
- Par ce Magistrat très habile,
- Et sa Femme belle et civile,
- Que notre Prince Omnipotent,
- En sortant, parut fort content ;
- Dont les Bouches de conséquence
- Qui ne manquent point d’éloquence,
- Leur firent, pour remerciements,
- D’assez obligeants compliments.
- Lettre V, du samedi 29 janvier 1661, « Ariste ».
- -La parution d'un ouvrage de Brébeuf. Loret l'a trouvé de qualité mais il déplore le manque de prolixité de son auteur :
- Mais à propos de cette Paix,
- Entre tant de Vers qu’on a faits
- Sur cette féconde matière,
- Savoir Segrais et Ménardière,
- Chapelain, Marcassus, Gombaud,
- Esprit , Benserade, Quinault,
- Et mainte autre excellente Lyre,
- J’en viens, présentement, de lire
- Dans certain Ouvrage tout neuf,
- De l’illustre sieur de Brébeuf,
- Si remplis d’art et de merveilles,
- De conceptions sans pareilles,
- Et d’éloges judicieux,
- Qu’on ne peut rien dire de mieux
- Sur la grandeur et l’excellence
- Des succès de Son Éminence,
- Digne que les plus beaux Esprits
- L’éternisent dans leurs Écrits.
- Je rends grâce à l’Abbé de Pure,
- Qui m’en a donné la lecture,
- Car c’est un des plus forts discours
- Que j’aie lu depuis maints jours ;
- Mais cet Auteur, du Pays nôtre,
- Quand il écrit, n’en fait point d’autre.
- -Camma du plus jeune des deux Corneille est donnée sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne :
- Un Curieux assuré m’a
- Qu’hier, la Pièce de Camma,
- Sujet, tiré des Opuscules
- De Plutarque, Auteur sans macules,
- Fut représentée à l’Hôtel, [de Bourgogne.]
- Avec un ravissement tel
- Des judicieux qui la virent,
- Qui mille et mille biens en dirent,
- Qu’on n'avait vu, depuis longtemps,
- Tant de rares Esprits contents :
- Enfin, cette Pièce Tragique
- A l’acclamation publique ;
- Et, quoique Messieurs les Acteurs
- (Admirables Déclamateurs,)
- Aient voulu faire pour elle,
- Une dépense extrême et belle,
- En superbes habillements,
- Parés de riches ornements
- Étant mieux vêtus que des Comtes,
- Ils y trouveront, prou, leurs comptes :
- Car tous les plus honnêtes Gens
- D’aller là, seront diligents.
- Tout de bon, le Cadet Corneille,
- Quoiqu’il ait fait mainte merveille,
- Et maint Ouvrage bien sensé,
- En cétuy-ci s’est surpassé.
- Ainsi cette Pièce divine,
- Qui du grand Œdipe est cousine,
- Et propre sœur de Stilicon,
- (Pièces qu’on tient sans Parangon)
- Est très digne de sa naissance,
- Et par l’agréable abondance
- De mille beaux traits différents,
- Ne fait point tort à ses parents.
- Lettre VIII, du samedi 19 février 1661, « Changeante ».
- -Le Ballet de l'impatience annoncé par notre gazetier. La répétition à laquelle il a assisté laisse présager un spectacle des plus grandioses. Ainsi :
- Dans fort peu, le Ballet du Roi,
- Fort divertissant, sur ma foi,
- Qu’on intitule (que je pense)
- Le Ballet de l’Impatience,
- Dans le Louvre se dansera,
- Et, sans doute, admiré sera :
- Car c’est chose très véritable
- Qu’il est beau, qu’il est admirable ;
- J’en vis (dont je fus ébaudi)
- La Répétition, Jeudi,
- Où, sans vanité, je puis dire
- Que j’étais placé comme un Sire ;
- Et, foi de sincère Normand,
- Le tout me parut si charmant,
- Que, du Roi, l’auguste prestance,
- Des Princes et Seigneurs la Danse,
- Et les concerts mélodieux
- Me semblèrent dignes des Dieux.
- Outre la beauté des spectacles,
- L’harmonie y fit des miracles,
- Car les divers Musiciens,
- Tant de la Cour, qu’Italiens,
- Si parfaitement réussirent,
- Qu’ils délectèrent, qu’ils ravirent.
- Ô Que l’on fut bien diverti
- Par l’aimable Bergeroty,
- Dont la voix est mignonne et claire,
- Et par Mademoiselle Hilaire,
- Lui chantant Lambertiquement,
- Nous comblait de contentement !
- Et par l’admirable La Barre,
- Sur qui peu de Filles ont barre,
- Soit pour enchanter, en l’oyant,
- Ou pour charmer en la voyant !
- Rien ne fut plus jovialiste
- Que Deauchamp, Dolivet, Baptiste.
- L’inimitable Sieur Geoffroy
- Fit, bien de fois, rire le Roi,
- Ayant un béguin sur l’oreille,
- Et faisant l’aveugle à merveille.
- Ô Que la Mignonne Vertpré
- Capriola bien à mon gré !
- Et que Giraud [Giraut] et sa Compagne, [Marge illisible]
- Qu’un air grâcieux accompagne,
- Dans de favorables instants,
- Agréèrent aux Assistants !
- Et que les Vers de Benserade
- Sur qui l’on jeta mainte œillade,
- Furent prisés, pour leurs douceurs,
- Par d’experts et bons connaisseurs !
- Le Sieur Balard qui les imprime,
- Imprimeur, que la Cour estime,
- Bientôt, dit-on, les publiera,
- Et chacun en achètera.
- Enfin, ce Ballet magnifique,
- Moitié grave, moitié comique,
- Id est pompeux et jovial,
- Se peut nommer vraiment Royal ;
- Et si l’on me fait cette grâce
- De m’y donner, encore, place,
- Il sera (je pense) à propos
- D’en dire encor deux petits mots :
- Mais si l’entrée on me refuse,
- Foi de Poète, ou foi de Muse,
- Et, même, foi d’Homme de bien,
- Je jure de n’en dire rien
- Dans mon autre futur Ouvrage,
- Ô Quel malheur ? Ô quel dommage !
- Maintenant que j’écris ceci
- (J’en ai, de deuil, le cœur transi)
- Devant le Roi, devant les Reines,
- Qui sont de retour de Vincennes,
- On s’en fait, en perfection,
- L’ultime répétition,
- Avec tous les tons harmoniques,
- Avec les habits magnifiques,
- Les Machines, et cetera.
- Las ! toute la Cour la verra,
- Et, pourtant, je n’y saurais être ;
- Ô pour moi, quel jour de bicêtre !
- -La représentation de La Conquête de la Toison d’Or, de Corneille s'est fait dans la pompe et le lustre. Loret est subjugué :
- La Conquête de la Toison
- Que fit, jadis, défunt Jason,
- Pièce infiniment excellente,
- Enfin, dit-on, se représente
- Au Jeu de Paume du Marais,
- Avec de grandissimes frais.
- Cette Pièce du Grand Corneille,
- Propre pour l’œil et pour l’oreille,
- Est maintenant, en vérité,
- La merveille de la Cité,
- Par ses Scènes toutes divines,
- Par ses surprenantes Machines,
- Par ses concerts délicieux,
- Par le brillant aspect des Dieux,
- Par des incidents mémorables,
- Par cent ornements admirables,
- Dont Sourdiac, Marquis Normand,
- Pour rendre le tout plus charmant,
- Et montrer sa magnificence,
- A fait l’excessive dépense,
- Et si splendide, sur ma foi,
- Qu’on dirait qu’elle vient d’un Roi.
- J’apprends que ce rare spectacle
- Fait à plusieurs crier miracle,
- Et je crois qu’au sortir de là
- On ne plaindra point, pour cela,
- Pistole, ni demi-pistole,
- Je vous en donne ma parole.
- Ô Corneille, charmant Auteur,
- Du Parnasse, excellent Docteur,
- Illustre Enfant de Normandie,
- N’ayant pas vu ta Comédie,
- Qui portera ton Nom bien haut,
- Je n’en parle pas comme il faut :
- C’est de quoi notre simple Muse
- Te demande, humblement, excuse ;
- J’espère bien, dans peu de jours,
- Suivant le général concours,
- Aller admirer ton Ouvrage :
- Mais point du tout je ne m’engage
- À rendre ton los immortel,
- Car c’est toi qui l’as rendu tel.
- Lettre IX, du samedi 26 février 1661, « Réciproque ».
- -Loret revient sur Le Ballet de l’Impatience. Il a assisté à sa représentation et a visiblement été charmé :
- Malgré la dur[e]té qu’accompagne,
- Un certain Breton de Bretagne,
- Officier moderne du Roi,
- Ce me semble, nommé Taloi,
- Qui par caprice, ou par grimace,
- M’obligea de changer de place,
- Et tout plein d’autres Gens d’honneur,
- Qu’il irrita, le bon Seigneur ;
- En dépit, donc, de l’incartade
- D’icelui, sujet à boutade,
- Plus ravi qu’on ne peut penser,
- Mardi dernier, je vis danser,
- Dans toute sa magnificence,
- Le Ballet de l’Impatience,
- Qui me parut, en bonne foi,
- Digne d’un illustre et Grand Roi :
- Ses seize admirables Entrées
- Par moi, de près considérées,
- (Car, nonobstant ledit Breton,
- J’étais placé comme un Caton)
- Que, sans mentir, on trouva telles
- Qu’un chacun les jugea très belles.
- Ce fut le Roi qui commença,
- Et si parfaitement dansa,
- Qu’il ravissait les yeux, sans cesse,
- Par ses pas et sa noble adresse ;
- Dont Thérèse, qui le voyait,
- Et qui ses louanges oyait,
- Donnait, par ses yeux, mainte marque
- Combien elle aimait ce Monarque.
- Plusieurs, de haute qualité,
- Dansant avec sa Majesté,
- Le plus qu’ils purent, l’imitèrent,
- Et qui plus, qui moins, excellèrent
- Avec d’autres Danseurs mêlés,
- Tous choisis et tous signalés.
- La Belle Giraud [Giraut], dont la taille
- Agrée en quelque part qu’elle aille,
- Et l’aimable De la Faveur,
- Pour qui je sens quelque ferveur,
- Firent si bien ce qu’elles firent,
- Que bien des cœurs elles ravirent.
- Des Danseurs, quoique la plupart
- Dans mon cœur aient quelque part,
- Par prudence, ou philosophie,
- Aucun d’eux je ne spécifie,
- Les oubliés seraient jaloux,
- Et je ne puis les nommer tous :
- Car leur nombre (que je ne mente)
- Passe quarante, ou, du moins, trente ;
- Cela fait que je m’en tairai,
- Et d’eux, seulement, je dirai
- Que tous ces Danseurs d’importance
- Sont la Fleur des Danseurs de France ;
- Et jusques au petit Dupin,
- Pas guères plus grand qu’un Lapin,
- Il contrefit (foi de Poète)
- Si naïvement la Chouette,
- En battant de l’aile et dansant,
- Qu’on peut de lui, dire en passant,
- Qu’il fit presque pâmer de rire
- Toute la Cour de notre Sire.
- Si les Danseurs firent des mieux
- Pour plaire à tout plein de beaux yeux,
- Les instruments pour les oreilles
- Ne firent pas moins de merveilles ;
- Les huit Récits furent fort beaux,
- Animés par des airs nouveaux,
- Et par des voix incomparables
- De divers Chantres admirables
- Qui firent d’excellents débuts,
- Tant les barbus, que non barbus.
- Mais, surtout, les trois Chanteresses,
- Ou, plutôt, trois Enchanteresses,
- Charmèrent par leurs doux accords
- Tous ceux qui les oyaient, alors.
- Anna, l’agréable Segnore, [Mlle Bergeroti.]
- Qu’en secret, dans mon coeur, j’honore,
- Joua dans ce Royal Ballet
- Excellemment bien son Rollet.
- La Barre, qui comble de joie,
- Soit qu’on l’écoute, ou qu’on la voie,
- Avait un air noble et touchant
- Dans son visage et dans son chant.
- Et cette inimitable Hilaire,
- Qu’autre part on nomme Élisaire,
- Fit bien voir là, que son talent
- En cet Art, est très excellent.
- Bouti, dont l’âme est si polie,
- Originaire d’Italie,
- Dudit Ballet est l’inventeur.
- Hesselin en est Conducteur,
- Hesselin, Homme de remarque,
- Et qui des plaisirs du Monarque,
- Qu’il sert avec un cœur ardent,
- Est l’unique Surintendant :
- Et le renommé Sieur Baptiste,
- Qu’on dit n’être plus grand juriste,
- A, sur tout plein de tons divers,
- Composé presque tous les airs :
- Toutefois, je me persuade,
- Sans que d’honneur, je le dégrade,
- Que Beauchamp, Danseur sans égal,
- Et Dolivet, le jovial,
- En leur méthode, inimitables,
- Estimés tels des plus capables,
- Bref, Gens qui ne sont pas communs,
- En ont, aussi, fait quelques-uns.
- Mais trêve de Ballets, de Danses,
- Et d’autres telles circonstances,
- Dont je ne dirai bien, ni mal,
- Jusques en l’autre Carnaval,
- Où Taloi, cet Homme si rogue,
- N’aura peut-être, plus de vogue.
- Lettre X, du samedi 5 mars 1661, « Affligeante ».
- -Loret est retourné voir le Ballet et ce, en dépit d'obstacles "militaires" :
- Pour plaire à quatre Demoiselles,
- Que je crois, toutes, fort pucelles,
- Le Lundi gras, jour jovial,
- Je revis le Ballet Royal,
- Ayant honorable séance
- Près de Gens de haute importance,
- Où par pure bonté d’esprit,
- Monsieur de Taloi me souffrit, [Lieutenant des Gardes du Corps.]
- Quoique, pourtant, quelques personnes,
- En mon endroit, un peu félonnes,
- Eussent animé contre moi
- Cet ardent Officier du Roi ;
- Je m’étais (outré de colère)
- Plaint de son procédé sévère,
- Mais j’aurais été bien fâché
- D’avoir à son honneur touché ;
- Et depuis icelle boutade,
- Charnassé, son cher Camarade,
- M’a conté tant de bien de lui,
- Qu’il se peut vanter, aujourd’hui,
- Que je l’honore et je l’estime,
- Aussi bien en prose, qu’en Rime.
- Ledit Ballet je revis, donc,
- Agréable s’il en fut, onc,
- Où, du Roi, la belle prestance,
- L’air noble, la taille et la danse,
- Comblèrent, en ce temps de Paix,
- Les cœurs, d’amour, plus que jamais.
- Dans mon autre dernière Lettre
- L’Imprimeur oublia de mettre
- (Dont je lui sus fort mauvais gré)
- Des Vers pour la jeune Verpré,
- Et dont, sans flatter, on peut dire
- Qu’elle capriola des mieux,
- Et qu’elle charma bien des yeux.
- Lettre XII, du samedi 20 mars 1661, « Endormie ».
- -Loret évoque l’envoi à la Bastille d’Imprimeurs ayant publié des ouvrages sans ordre.
- Quelques Imprimeurs et Libraires,
- Outrecuidés et téméraires,
- Violents, comme scélérats,
- Les défenses des Magistrats,
- Et publiant, sans aucun ordre,
- Des cahiers, pour avoir à mordre,
- Ont été, par le Sieur Picard,
- Dans la Bastille mis à part,
- Attendant qu’on les réprimande
- Par châtiment, ou par amende.
- Lettre XIV, du samedi 2 avril 1661, « Indulgente ».
- -Loret évoque un Service qui fut donné aux Théatins en l’honneur du récent défunt Mazarin et dont il fut empêché d’assister par un Suisse.
- Le lendemain, au même lieu,
- En l’honneur et gloire de Dieu,
- Et pour exciter sa clémence
- Touchant la susdite Éminence,
- (Car les plus justes des Mortels
- Ont, tous, besoin d’offices tels)
- On fit un solennel Service,
- Où par la dureté d’un Suisse,
- Qui me rebuta sur ce point,
- Je n’assistai ni peu, ni point :
- Mais j’allais dans d’autres Églises,
- Dire les Prières requises
- Pour obtenir le Paradis
- De mon Bienfaiteur de jadis.
- Lettre XVII, du samedi 30 avril 1661, « Equivoquante ».
- -L'un des fils de Corneille est page chez la protectrice de Loret, qui au détour de ce sujet, compare sa prolixité et celle de l'auteur du Cid :
- Princesse, vous faites la grâce
- Aux Sieurs Courtisans du Parnasse
- D’avoir de l’estime pour eux,
- Témoin cet instinct généreux
- Qui vous a fait prendre pour Page
- Un Jouvenceau de Rotomage, [Rouen.]
- Parce qu’il est le noble Enfant
- De Corneille, Esprit triomphant,
- Qui par les beaux Vers de sa veine,
- A surpassé, sur notre Scène,
- Les Poètes les mieux sensés,
- Tant les présents, que les passés :
- Je n’entre point en compétence
- Avec sa sublime Science ;
- Mais sans faire, ici, l’important,
- Je vous ai présenté, pourtant,
- En vous dédiant mes Ouvrages,
- Mille fois plus que lui des pages,
- Depuis, pour le moins, douze hivers,
- Mais c’étaient des pages de Vers :
- Si l’équivoque est un peu plate,
- Et non pas fine et délicate,
- Excusez le peu qu’elle vaut,
- Et lisez ceci, bas, ou haut.
- Lettre XVIII, du samedi 7 mai 1661, « Complimenteuse ».
- -Une fête de cour est donnée à Fontainebleau, à laquelle participent les Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne :
- On se réjouit bien et beau,
- Maintenant dans Fontainebleau,
- À tout chagrin on fait la moue,
- On court, on rit, on danse, on joue,
- On cause au bord des claires eaux,
- On y fait concerts et cadeaux,
- L’on s’y promène, l’on y chasse,
- Bref, si bien le temps on y passe,
- Qu’on dirait qu’il n’est rien de tel :
- Les Comédiens de l’Hôtel,
- Qu’on sait être de rares Hommes,
- Ayant touché de grosses sommes,
- Partent d’ici, l’autre jour,
- Pour mieux divertir cette Cour,
- Attendant qu’en icelle, vienne
- La neuve Troupe Italienne,
- Dont les facétieux Zannis
- Causeront des ris infinis.
- Lettre XIX, du samedi 14 mai 1661, « Maigre ».
- -La vie est toujours festive à Fontainebleau. Loret explique qu’avant de partir pour Florence, la cousine du roi :
- Avant qu’elle s’en soit allée,
- Toute la Cour l’a régalée
- À toute heure, soirs et matins,
- De Comédie et de Festins,
- De Bals, Compliments, Promenades,
- De Musiques, de Sérénades,
- D’amitié, de tendres adieux,
- Capables d’émouvoir les Dieux :
- Et, certes, à toutes ces choses,
- Cet Amas de Lys et de Roses,
- A, par grâce et par jugement,
- Correspondu si sagement,
- Qu’elle a, dans une Cour si belle,
- Laissé beaucoup d’estime d’Elle,
- Et bien des Cœurs à son départ,
- Furent percés de part en part.
- Lettre XXVIII, du samedi 17 juillet 1661, « Historiée ».
- -A Vaux-le-Vicomte, la fête donnée par Fouquet a été l'occasion de la représentation de L’École des Maris :
- Fouquet, dont l’illustre mémoire,
- Vivra toujours dans notre Histoire ;
- Fouquet, l’amour des beaux Esprits,
- Et dont un Roman de grand prix,
- Dépeint le mérite sublime
- Sous le nom du Grand Cléonime :
- Ce Sage, donc, ce Libéral,
- Du Roi, Procureur Général,
- Et plein de hautes connaissances
- Touchant l’État et les Finances,
- Lundi dernier, traita la Cour
- En son délicieux séjour,
- Qui la Maison de Vaux s’appelle,
- A mis (je ne le flatte point)
- La Peinture en son plus haut point,
- Soit par les traits incomparables,
- Les inventions admirables,
- Et les desseins miraculeux
- Dont cet Ouvrier merveilleux
- Délicatement représente
- L’inclination excellente
- De ce sage Seigneur de Vaux,
- Qui par ses soins et ses travaux,
- Ses nobles instincts, ses lumières,
- Et cent qualités singulières,
- Se fait aimer en ce bas lieu,
- Presque à l’égal d’un demi-Dieu.
- J’en pourrais dire davantage ;
- Mais à ce charmant Personnage
- Les Éloges ne plaisant pas,
- Les siens sont, pour lui, sans appas,
- Il aime peu que l’on le loue ;
- Et, touchant ce sujet, j’avoue
- Que l’excellent sieur Pélisson
- M’a fait plusieurs fois ma leçon :
- Mais comme son rare mérite
- Tout mon cœur puissamment excite,
- Et que ce sujet m’est très cher,
- J’aurais peine à m’en empêcher.
- Ici, je passe sous silence
- La multitude et l’excellence,
- Et, même, la diversité
- Des jets d’eau, dont la quantité
- Sont des choses toutes charmantes,
- Sont des merveilles surprenantes,
- Qui passent tout humain discours ;
- Et le Soleil faisant son cours
- Dessus et dessous l’Antarctique,
- Ne voit rien de si magnifique :
- C’est ainsi que me l’ont conté
- Diverses Gens de qualité.
- Mais pour dire un mot des Régales
- Qu’il fit aux Personnes Royales [la Reine d’Angleterre, Monsieur, Madame]
- Dans cette superbe Maison
- Admirable en toute saison ;
- Après qu’on eut de plusieurs Tables
- Desservi cents mets délectables
- Tous confits en friands appas,
- Qu’ici ne je ne dénombre pas :
- Outre concerts et mélodie,
- Il leur donna la Comédie ;
- Savoir l’École des Maris,
- Charme (à présent) de tout Paris,
- Pièce nouvelle et fort prisée,
- Que sieur Molière [Molier] a composée,
- Sujet si riant et si beau,
- Qu’il fallut qu’à Fontainebleau,
- Cette Troupe ayant la pratique
- Du sérieux et du comique,
- Pour Reines et Roi contenter,
- L’allât, encor, représenter :
- Mais c’est assez sur ce chapitre
- Je m’en vais parler d’une Mître.
- Lettre XXX, du samedi 31 juillet 1661, « Abondante ».
- -Louis XIV, roi-danseur, a fait montre de son talent dans un ballet mémorable :
- Ce fut le soir de ce Jour-là
- Qu’icelle Cour on régala
- De plusieurs splendeurs nonpareilles
- Et des surprenantes merveilles,
- D’un Ballet si rare et si beau,
- Et dont le genre est si nouveau,
- Que Spectateurs et Spectatrices
- Admirèrent ses artifices.
- Un Théâtre des mieux orné
- Que mon œil ait jamais lorgnés,
- Roulant sur les fortes échines
- De plus de cent douze Machines,
- Lesquelles on ne voyait pas,
- S’étant avancé de cent pas,
- On ouït, soudain, l’harmonie
- D’une Angélique symphonie
- De douces Voix et d’instruments ;
- Et durant ces divins moments,
- On admirait sur des montagnes
- Diane et ses chastes Compagnes,
- (Avec des arcs, flèches, ou traits)
- Ayant d’adorables attraits,
- Et dont, tout de bon, quelques-unes,
- Tant blondines, que claires-brunes,
- Charmaient cent cœurs, en moins de rien,
- Sans, même, en excepter le mien.
- Diane, non pas la première,
- Mais, des Cieux seconde lumière,
- Ayant sur son front ravissant
- Un riche et lumineux croissant,
- Était, illec, représentée
- Par Madame, alors, escortée
- De dix des Belles de la Cour,
- Qui sont autant d’Astres d’amour.
- Si tôt que les Récits cessèrent,
- Ces Aimables Nymphes dansèrent
- Avec des habits précieux,
- Qui donnaient bien moins dans les yeux
- Que mille grâces naturelles
- Qu’on voyait éclater en elles.
- Le Roi parut, soudain après,
- Sous la figure de Cerès ;
- Puis il fit, sous autre visage,
- D’un beau Printemps le Personnage,
- Et dans l’une et l’autre action,
- Sa belle disposition
- Parut, non seulement Royale,
- Mais, certainement, sans égale.
- Monsieur, d’habits d’or éclatants,
- Un Vendangeur représentant,
- D’un bel air, suivant la cadence,
- Fit admirer aussi sa danse.
- Monsieur le Duc, pareillement, [d’Anguyen.]
- Fit paraître tant d’agrément,
- Qu’on prisa fort de Son Altesse,
- Les pas, l’adresse et la justesse.
- On demeura, même, d’accord,
- Que Monsieur le Duc de Beaufort,
- Compris dans ce Royal spectacle,
- Faisant l’Apollon à miracle,
- Et dansant avec les neufs Sœurs,
- Parut un des meilleurs Danseurs.
- Bref, les autres Seigneurs de marque
- Qu’avait choisis notre Monarque,
- Et ceux de moindre qualité,
- Sans que pas un d’eux soit flatté,
- Comme on les tient, en cas de danse,
- Des mieux entendus de la France,
- Chacun d’eux, en ce beau Talent,
- Parut, tout à fait, excellent.
- Enfin, les neufs Muses célestes,
- Mignonnes, gracieuses, lestes,
- Ravissants les cœurs et les yeux, [le Fils de M. Du Pin, Aide des Cérémonies,]
- Par leurs pas concertés des mieux, [âgé de 6 ou 7 ans.]
- Et Jules Du Pin avec Elle,
- Qui de l’Amour portait les ailes,
- Finirent agréablement
- Ce rare Divertissement,
- Que Saint-Aignan, illustre Comte,
- Dont la France cent biens raconte,
- A très agréablement inventé
- Par ordre de Sa Majesté.
- De toutes les choses susdites,
- Par moi trop faiblement écrites,
- Je vis le fond et le tréfond,
- Grâces au généreux Beaumont,
- Écuyer de la Reine-Mère,
- Gentilhomme brave et sincère,
- Qui, vers moi, débonnaire et franc,
- Me plaça sur son propre banc,
- Parmi de fort nobles Personnes,
- Et, même, assez près des Couronnes.
- Du susdit Ballet que je vis,
- On saura, par forme d’avis,
- Que les Airs sont du Sieur Baptiste,
- Qui d’Orphée est un vrai copiste ;
- Que Benserade a fait les Vers,
- Auteur prisé dans l’Univers ;
- Et que Mademoiselle Hilaire
- Dont la voix a le ton de plaire,
- Et le sieur Le Gros, mêmement,
- Y chantèrent divinement :
- Mais pour en savoir davantage
- Que je n’en dis dans cet Ouvrage
- Écrit à la hâte et sans art,
- Voyez l’Imprimé de Balard,
- Qui n’a rien que de véritable
- Et qu’on vend à prix raisonnable.
- Outre le plaisir du Ballet,
- Où me fit entrer, sans billet,
- Le Sieur Bontemps, que Dieu bénisse
- J’eus celui d’un Feu d’artifice
- Durant un soir serein et brun,
- Aux frais du Marquis de Montbrun,
- Et qui par ses belles lumières
- Divertit en plusieurs manières ;
- C’était, d’un Étang, sur les bords,
- Et j’étais au logis, alors,
- D’un Adolescent de mérite, [Marge illisible]
- Dont la bonté n’est pas petite,
- Et qui pendant tout le séjour
- Que je fis en icelle Cour,
- Me donna son lit et sa chambre,
- Me donna des pastilles d’ambre,
- Me fit ouïr quelques accords,
- Et me traita cinq fois le corps.
- Puis rétrogradant mon voyage
- Dans un carrosse de louage,
- Hâlé, las, et presque étourdi,
- Je revins à Paris, Jeudi.
- Lettre XXXIII, du samedi 20 août 1661, « Unie ».
- -Loret évoque la fête donnée à Vaux-le-Vicomte le mercredi 17 août 1661 au cours de laquelle furent représentés Les Fâcheux :
- Loin, donc, Nouvelles étrangères,
- Véritables, ou mensongères,
- Aujourd’hui mes soins et travaux
- N’iront qu’à discourir de Vaux,
- Maison, Résidence, ou Retraite,
- Qui n’est pas encore parfaite,
- Mais qui sera, sans doute, un jour,
- Le plus admirable séjour
- De toute la Machine ronde,
- C’est-à-dire de tout le Monde.
- Mercredi dernier, étant, donc,
- En ce Lieu beau, s’il en fut onc,
- Le Roi, l’Illustre Reine-Mère,
- Monseigneur d’Orléans, son Frère,
- Et Madame, pareillement,
- Y vinrent par ébattement.
- Suivis d’une Cour si brillante,
- Ou (pour dire mieux) si galante,
- Que Phébus, au chef radieux,
- Phébus le plus charmant des Dieux,
- Avec ses clartés immortelles,
- N’en éclaira jamais de telles.
- Là, cent Objets miraculeux,
- Des Grands Princes, des Cordons bleus,
- Tous Gens choisis et d’importance,
- Bref, la fleur de toute la France,
- Arrivèrent en bel arroi,
- Avec notre cher et Grand Roi,
- Que ce fameux et beau Génie,
- De sagesse presque infinie,
- Monsieur Fouquet Surintendant,
- En bon sens, toujours, abondant,
- Ainsi qu’en toute politesse,
- Reçut avec grande allégresse,
- Et son aimable Épouse aussi,
- Dame, où l’on ne trouve aucun si,
- Que le Ciel bénisse et conserve,
- Et qui, comme une autre Minerve,
- A des vertus et des appas
- Que bien des Déesses n’ont pas.
- Le Monarque, ensuite, et le reste
- De sa Cour ravissante et leste,
- Ayant traversé la Maison,
- De tous biens garnie à foison,
- Pour y faire chère plénière,
- Adressa sa marche première
- Dans l’incomparable Jardin,
- Où l’on ne voit rien de gredin,
- Mais dont les très larges allées,
- Dignes d’être des Dieux foulées
- Les Marbres extrêmement beaux,
- Les Fontaines, [et] les Canaux,
- Les Parterres, les Balustrades,
- Les Rigoles, jets d’eau, Cascades,
- Au nombre de plus d’onze cents,
- Charment et ravissent les sens.
- Le Soleil Père de lumière,
- Roulant dans sa ronde carrière,
- Quoiqu’il modérât son ardeur,
- Semblait augmenter sa splendeur,
- Pour donner plus de lustre aux choses
- En ce vaste Jardin encloses.
- Durant cet agréable jour,
- Ha que je vis de Gens de Cour,
- Et de la plus haute Naissance,
- Admirer ce Lieu de Plaisance !
- Qui se pouvait vanter, alors,
- De voir mille rares Trésors
- De beautés, d'appas et de grâces,
- Dans ses délicieux Espaces.
- Que de Princes et de Seigneurs !
- Dignes d’encens, dignes d’honneurs !
- De cette Promenade furent ;
- Et dans ce beau Lieu comparurent !
- Que pour le peu de temps que j’ai,
- (Dont, certes, je suis affligé)
- Quand ce serait pour un Empire,
- Je ne saurais nommer, ni dire.
- Touchant le Sexe féminin,
- Pour qui je fus toujours bénin,
- Que de Dames ! que de Mignonnes !
- Et que d’adorables Personnes !
- Que (m’en dût-on crucifier)
- Je ne puis pas spécifier
- À cause de leur multitude,
- Dont j’ai bien de l’inquiétude :
- Car ces délectables Objets
- Seraient autant de beaux sujets
- Dont les perfections sublimes
- Feraient bien mieux valoir mes Rimes.
- Enfin, le temps se faisant noir,
- On prit congé du Promenoir ;
- Et passant dans d’autres Régales,
- On fut dans de fort riches Sales,
- Remplir intestins et boyaux,
- Non de jambons, ni d’aloyaux,
- Mais d’infinité de viandes
- Si délicates, si friandes ;
- Y compris mille fruits divers,
- Les uns sucrés, les autres verts,
- Que cela (chose très certaine)
- Passe toute croyance humaine.
- Après ce somptueux Repas,
- Pour goûter de nouveaux appas,
- On alla sous une Feuillée
- Pompeusement appareillée,
- Où, sur un Théâtre charmant,
- Dont à grand’peine un Saint Amant,
- Un feu Ronsard, un feu Malherbe,
- Figureraient l’aspect superbe.
- Sur ce Théâtre, que je dis,
- Qui paraissait un Paradis,
- Fut, avec grande mélodie,
- Récitée une Comédie,
- Que Molière [Molier], d’un esprit pointu,
- Avait composée, in promptu,
- D’une manière assez exquise,
- Et sa Troupe, en trois jours, apprise :
- Mais qui (sans flatter peu, ni point)
- Fut agréable au dernier point,
- Étant fort bien représentée,
- Quoique si peu préméditée.
- D’abord, pour le commencement
- De ce beau Divertissement,
- Sortit d’un Rocher en coquille,
- Une Naïade, ou belle Fille,
- Qui récita quarante Vers
- Au plus grand Roi de l’Univers,
- Prônant les vertus dudit Sire ;
- Et, certainement, j’ose dire
- Qu’ils ne seraient pas plus parfaits
- Quand Apollon les aurait faits ;
- Tous ceux qui bien les écoutèrent
- Jusques au Ciel les exaltèrent :
- Leur sage Auteur, c’est Pellisson,
- Des Muses le vrai Nourrisson,
- Que non seulement on estime
- Pour sa noble et savante Rime,
- Mais pour plusieurs vertus qu’en lui
- Chacun reconnaît aujourd’hui,
- Et surtout étant le modèle
- D’un Ami solide et fidèle.
- Durant la susdite Action,
- On vit par admiration
- (Quoiqu'en apparence, bien fermes)
- Mouvoir des Figures, des Termes,
- Et douze Fontaines couler
- S’élevant de dix pieds en l’air.
- Mais il ne faut pas que je die
- Le reste de la Comédie,
- Car bientôt Paris la verra,
- On n’ira pas, on y courra ;
- Et chacun prêtant les oreilles
- À tant de charmantes merveilles,
- Y prendra plaisir, à gogo,
- Et rira tout son saoul ; ergo,
- Pour ne faire, aux Acteurs, outrage
- Je n’en dirai pas davantage,
- Sinon qu’au gré des Curieux,
- Un Ballet entendu des mieux,
- Qui par intervalles succède,
- Sert à la Pièce, d’Intermède,
- Lequel Ballet fut composé
- Par Beauchamp, Danseur fort prisé,
- Et dansé de la belle sorte
- Par les Messieurs de son Escorte ;
- Et, même, où le sieur d’Olivet,
- Digne d’avoir quelque Brevet,
- Et fameux en cette Contrée,
- A fait mainte agréable Entrée.
- Après la Danse et le Récit,
- Où, des mieux, chacun réussit,
- Après ce plaisir de Théâtre,
- Dont la Cour fut presque idolâtre,
- Et qui lui sembla durer peu,
- Tout le monde courut au feu,
- C’est-à-dire Feu d’artifice,
- Élevé sur maint Édifice,
- Et qui sur l’onde et dans les airs,
- Donna mille plaisirs divers ;
- Sans mentir, toutes les fusées,
- Soit directes, ou soit croisées,
- Firent d’admirables effets,
- Et tout ce que j’en vis jamais,
- (Et j’ai vu cent Feux ce me semble)
- Quand ils seraient tous joints ensemble
- Pour entrer en comparaison,
- Ne pourraient pas, avec raison,
- Égaler celui dont je parle ;
- Et, certes, sans faire le Charles,
- Le flatteur, l’exagérateur,
- Foi d’Homme de bien et d’Auteur,
- Tous ceux qui, comme moi, le virent,
- Même, ou pareille chose dirent.
- Pendant que ce grand Feu dura,
- Que toute la Cour admira,
- Je criai trente fois, miracle,
- Ayant devant moi, pour spectacle,
- Plus de quatre cents fleurs de Lys,
- Dont les bords étaient embellis
- Avec ordre et compas formées,
- Et qui paraissant enflammées,
- Sans consumer aucunement,
- Excitaient du ravissement,
- Outre seize grandes Figures
- Qui n’étaient, pourtant, que Peintures
- De même composition,
- Mais faites en perfection ;
- Certes, jusque là, mes prunelles
- N’avaient lorgné choses si belles,
- Et je croyais, en vérité,
- Être à tous moments enchanté.
- Or comme il faut que tout finisse,
- Fini que fut cet Artifice,
- En retournant vers le Château,
- Il en parut un tout nouveau
- À l’entour d’un superbe Dôme,
- Des mieux fabriqués du Royaume,
- Contenant des clartés, ou feux,
- Plus de cinq cents quatre vingt deux
- (Si bien je me les remémore)
- Duquel Dôme sortit encore
- Un embrasement imprévu,
- Aussi beau qu’autre qu’on eût vu :
- Puis on passa, sans faute nulle,
- Au travers d’un grand Vestibule,
- Où la Cour collationna,
- Et, tout soudain, s’en retourna.
- C’est ainsi que cet Homme sage,
- Que cet Illustre Personnage,
- Capable du plus haut Emploi,
- Festoya son Maître et son Roi,
- N’épargnant ni soin, ni dépense,
- Pour montrer sa magnificence ;
- Et j’ai su de quelques amis,
- Que si le bref temps eût permis
- D’achever maint sublime ouvrage,
- Il en eût bien fait d’avantage.
- Le renommé Monsieur Le Brun,
- Qui des Rares du temps est l’un,
- Et qui dans l’Art de la Peinture,
- Imitant, de près, la Nature,
- S’élève au-dessus des Humains,
- A, dit-on, bien prêté les mains,
- Ou plutôt son sens et sa Tête,
- Aux appareils d’icelle Fête ;
- Où l’ingénieux Hensselin,
- Aux somptuosités enclin,
- Pour à ce Grand Fouquet complaire,
- Se rendit, aussi, nécessaire.
- Je ne sais par quelle raison
- Je n’entrai point dans la Maison
- Aux endroits où sont les Peintures,
- Les Ameublements, les Tentures,
- Et cinq cents autres raretés,
- Qu’on y va voir de tous côtés ;
- Cela me mit, presque, en déroute :
- J’ai là quelques amis, sans doute,
- Mais ils avaient lors sur les bras
- Trop d’affaires et d’embarras :
- Toutefois, sur les bruits de Ville
- Qui coururent de ce Domicile,
- Des plus charmant de l’Univers,
- Moi qui suis grand faiseur de Vers,
- Mais assez mince Philosophe,
- Je conclus par cette Apostrophe.
- Ô Romans, qui représentez
- Tant de beaux Palais enchantés,
- Arioste, Amadis, le Tasse,
- Hé dites-moi, tous trois, de grâce,
- Et vous aussi, Monsieur Maugis,
- Fîtes-vous, jamais, des Logis
- À celui de Vaux comparables ?
- Confond-il pas toutes vos fables ?
- Et si vous pouviez faire un jour
- Dans le Monde quelque retour,
- Diriez-vous pas, en conscience,
- » Cela passe notre science ?
- Lettre 34, du samedi 27 août 1661, « Craignante ».
- -Loret revient sur la représentation des Fâcheux à Fontainebleau.
- La Pièce, tant et tant louée, [La Comédie Les Fâcheux.]
- Qui fut dernièrement jouée
- Avec ses agréments nouveaux,
- Dans la belle Maison de Vaux,
- Divertit si bien notre Sire,
- Et fit la Cour tellement rire,
- Qu’avec les mêmes beaux apprêts,
- Et par commandement exprès,
- La Troupe Comique excellente
- Qui cette Pièce représente,
- Est allée, encor de plus beau,
- La jouer à Fontainebleau,
- Étant, illec, fort approuvée,
- Et, mêmement, enjolivée
- D’un Ballet gaillard et mignon,
- Dansé par maint bon Compagnon,
- Où cette jeune Demoiselle
- Qu’en surnom Giraud [Giraut] on appelle,
- Plût fort à tous par les appâts,
- De sa personne et de ses pas.
- Ô Citadins de cette Ville,
- En Curieux toujours fertile,
- Gens de diverses Nations,
- Gens de toutes Conditions,
- Gens du commun, Gens de science,
- Donnez-vous un peu de patience ;
- Après le Monarque et sa Cour
- Vous la verrez à votre tour,
- Et vous jugerez par icelle
- Si l’Auteur a bonne cervelle.
- Lettre XXXV, du samedi 3 septembre 1661, « Restreinte ».
- -La Mort des Enfants de Saül, tragédie latine, a été représentée dans un Collège, en présence d'hôtes de marque :
- De l’autre mois, le dernier jour,
- Je fus aux Jésuites, pour
- Y voir une Pièce Tragique, [La Mort des Enfants de Saül.]
- Composée en style énergique
- Avec des entr’Actes plaisants,
- Comme on en fait là tous les ans.
- On a pris ce Sujet plausible
- Au Livre des Rois, dans la Bible,
- (Le grand Livre des Gens de bien)
- Chapitre, je ne sais combien,
- pour titre, au frontispice,
- Le Théâtre de la Justice.
- Père Darrouy, profond Docteur,
- En est le noble et digne Auteur :
- Cette Histoire, des mieux traitée,
- Fut assez bien représentée,
- Et les Ballets entrelacés
- Fort agréablement dansés,
- Se trouvant, illec, d’assurance,
- Un des adroits Danseurs de France. [Le sieur Langlois.]
- Le Théâtre, un des mieux ornés
- Que mon œil ait jamais lorgné,
- Était superbe et magnifique ;
- Et, soit qu’il fût d’ordre Dorique,
- Où d’une autre construction,
- Il comblait d’admiration
- Tous ceux qui voyaient, je vous jure,
- Sa surprenante Architecture.
- Des Gens de haute extraction
- Furent présents à l’Action,
- J’y vis des Princes, des Princesses,
- Des Présidentes, des Comtesses,
- Quantité d’Esprits de bon sens,
- Et des Moines plus de deux cents.
- Maint Père, bon et charitable,
- M’y fit un accueil favorable,
- Le Père Bourre, en premier lieu,
- Qu’on tient grand Serviteur de Dieu,
- Celui que Briguet on appelle,
- Dont l’âme est excellente et belle :
- Et l’obligeant Père Gelé,
- À bien faire toujours zélé,
- Qui par sa bonté singulière
- Me plaça de telle manière,
- Qu’à parler, ici, sérieux,
- Je ne pouvais pas l’être mieux.
- Cette Action étant finie,
- Sans beaucoup de cérémonie,
- En disant seulement adieu,
- Je quittai ce célèbre Lieu,
- Je gagnai tout soudain la porte,
- Et ne vis, en aucune sorte,
- La Distribution du Prix :
- Mais j’ai d’un savant Homme appris
- Qu’un Enfant de haute naissance
- Fils d’un Grand Écuyer de France,
- Et, déjà, plein d’entendement,
- En eut un glorieusement ;
- Et que le premier Esprit rare
- Pour qui l’on fit grande fanfare,
- Étant tout d’abord couronné,
- Fut l’admirable Fils Aîné
- De ce vrai Miroir de prudence,
- De savoir, de jurisprudence,
- Et juste comme un Salomon,
- Savoir le Grand de La Moignon. [Premier Président]
- Ce Fils Aîné, donc, et son Frère, [Président au Parlement de Paris.]
- Tous deux dignes Fils d’un tel Père,
- Furent, tous deux, chacun deux fois,
- Tympanisés à haute voix,
- Ils eurent chacun deux couronnes,
- Et devant six mille personnes,
- Qui pour lors étaient spectateurs,
- Furent deux fois Triomphateurs.
- On ne m’a point parlé du reste :
- Ainsi, dans ce mien Manifeste,
- Je ne puis nommer que ceux-là,
- Dont certain Ami me parla.
- Lettre XXXVI, du samedi 10 septembre 1661, « Mortifiée ».
- -Loret évoque avec surprise l’arrestation de Fouquet.
- Notre Roi, qui par politique,
- Se transportait vers l’Armorique, [Bretagne.]
- Pour raisons qu’on ne savait pas,
- S’en revient, dit-on, à grands pas.
- Je n’ai su par aucun message,
- Les circonstances du voyage :
- Mais j’ai du bruit commun appris,
- C’est-à-dire de tout Paris,
- Que, par une expresse Ordonnance,
- Le Sieur Surintendant de France,
- Je ne sais pourquoi, ni comment,
- Est arrêté présentement
- (Nouvelle des plus surprenantes)
- Dans la Ville et Château de Nantes.
- Certes, j’ai toujours respecté
- Les ordres de Sa Majesté,
- Et cru que ce Monarque Auguste
- Ne commandait rien que de juste :
- Mais étant remémoratif
- Que cet infortuné Captif
- M’a toujours semblé bon et sage,
- Et que d’une obligeant langage
- Il m’a quelquefois honoré,
- J’avoue en avoir soupiré,
- Ne pouvant, sans trop me contraindre,
- Empêcher mon cœur de le plaindre.
- Si, sans préjudice du Roi,
- (Et je le dis, de bonne foi)
- Je pouvais lui rendre service,
- Et rendre son sort plus propice,
- En adoucissant sa rigueur,
- Je le ferais de tout mon cœur :
- Mais ce mien désir est frivole ;
- Et prier Dieu qu’il le console
- En l’état qu’il est aujourd’hui,
- C’est tout ce que je puis pour lui.
- Lettre XXXVIII, du 24 septembre 1661, « Assidue ».
- -Loret donne des nouvelles de Fouquet.
- Je n’entends dire chose aucune,
- Touchant la soudaine infortune,
- Maladie et captivité
- De Monsieur Fouquet arrêté :
- Tous m’en demandent des nouvelles,
- Mais je n’en ai bonnes, ni belles ;
- Et, même, quand bien j’en aurais,
- Je ne sais si je les dirais :
- Car c’est un important chapitre
- Qu’on ne doit traiter qu’à bon titre.
- Lettre XXXIX, du samedi 1er octobre 1661, « Contradictoire ».
- -Le marquis de Soycourt est à l'article de la mort — mais l'hémétique pourrait bien le sauver :
- Monsieur le Marquis de Soycour,
- Noble Courtisan de la Cour,
- Est, dans son propre domicile,
- Malade en cette grande Ville,
- Et, pour ne vous en mentir pas,
- A couru risque de trépas :
- Mais ayant pris de l’Hémétique,
- (Vrai remède Tragicomique)
- Son mal s’est senti soulager,
- Et n’est plus, dit-on, en danger,
- Dont sa belle et sage Marquise,
- Dame honorable et bien apprise,
- Est réjouie, au dernier point ;
- Et moi je dis qu’il ne faut point
- Que la Mort si tôt nous dérobe
- Un Grand Maître de Garde-robe,
- Que j’aime, j’en jure ma foi,
- Et qui sert, comme il fait, le Roi.
- -Brébeuf, que Loret regrettait de lire trop peu souvent, est passé dans l'autre monde :
- Ce Brébeuf, dont les nobles Vers [le Traducteur de la Pharsale.]
- Sont prisés de tout l’Univers,
- Ce cher Normand de Normandie,
- Dont la Plume belle et hardie
- Imitant le docte Lucain,
- (Jadis, si France Républicain)
- Renouvela les coups d’épée
- De César et du Grand Pompée :
- Enfin, cet admirable Auteur
- Qui charme si bien son Lecteur
- Par sa divine Poésie
- Plus délectable qu’Ambroisie,
- A vu trancher ses beaux destins
- Depuis environ sept matins,
- Et passé la fatale Nasse
- Qu’il faut que tout le Monde passe.
- Outre son précieux Talent
- De Poète excellent,
- Il passait pour fort honnête Homme,
- Il était, même, Gentilhomme ;
- Des vertus il fut amoureux,
- Il fut prudent et généreux,
- Fidèle ami, doux, débonnaire,
- De feu Jules, Pensionnaire
- Qui savait fort bien discerner
- Ceux auxquels il fallait donner ;
- Bref, c’était un de nos illustres,
- N’ayant encore que neufs lustres.
- Quand on me vint dire sa mort,
- Ce triste et sensible rapport
- Sut si bien exciter mon tendre,
- Que, sans pleurs, je ne pus l’apprendre :
- L’Abbé de Pure en est témoin,
- Bel esprit, connu près et loin,
- Qui fut son Ami véritable,
- Et que je tiens inconsolable,
- Ou, du moins, outré par excès
- D’un si pitoyable décès.
- Lettre XLVI, du samedi 19 novembre 1661, « Crue ».
- -Après avoir connu le succès à Fontainebleau devant la cour, Les Fâcheux sont donnés sur la scène parisiennes. Rien ne vient démentir leurs premiers succès :
- Les Fâcheux, ce nouveau Poème,
- Qui par sa gentillesse extrême
- Charma si fort, ces jours passés,
- À la Cour tous les mieux sensés,
- Dans Paris, maintenant se joue :
- Et, certes, tout le monde avoue
- Qu’entre les Pièces d’à présent,
- On ne voit rien de si plaisant ;
- Celle-ci, sans doute, est si belle,
- Que l’on dit beaucoup de bien d’elle,
- Et, selon les beaux jugements,
- Elle a quantité d’agréments :
- Elle paraît assez pudique,
- Et, pourtant, elle est si publique,
- Que bien des Gens vont sans mentir,
- Avec elle se divertir ;
- Afin de la voir avec joie,
- On ne plaint argent, ni monnaie,
- Car sans distinction d’humains,
- Elle en reçoit de toutes mains :
- Elle fait, toutefois, la grâce
- À plusieurs Messieurs du Parnasse,
- En contentant leurs appétits,
- De leur faire plaisir, gratis.
- Outre qu’elle est belle, elle est bonne,
- Car à ses Amants elle donne
- (Outre ses naturels appâts)
- Non collations, ni repas,
- Mais Ballet, Violons, Musique,
- Afin d’avoir grande pratique ;
- Et pour rendre encor plus de Gens
- À la visiter diligents,
- Comme elle est fine entre les fines,
- Elle fait jouer des machines.
- Mais pour ne plus, en ce moment
- Parler allégoriquement,
- Le sieur Molière [Molier],dont cette Pièce
- Est la Fille, et non pas la Nièce,
- A quantité d’admirateurs ;
- Ses Camarades, les Acteurs,
- Ayant des Personnages drôles,
- Y font, des mieux, valoir leurs Rôles,
- Et les Femmes, mêmement, car
- L’agréable Nymphe Béjart [Bejar]
- Quittant sa pompeuse Coquille,
- Y joue en admirable Fille.
- La Brie a des charmes vainqueurs
- Qui plaisent à très bien des cœurs.
- La Du Parc, cette belle Actrice,
- Avec son port d’Impératrice,
- Soit en récitant, ou dansant,
- N’a rien qui ne soit ravissant ;
- Et comme sa taille et sa tête
- Lui font mainte et mainte conquête,
- Mille soupirants sont témoins
- Que ses beaux pas n’en font pas moins.
- Enfin, pour abréger matière,
- Cette Pièce assez singulière,
- Et d’un air assez jovial,
- Se fait voir au Palais Royal,
- Non pas par la Troupe Royale,
- Mais par la Troupe Joviale
- De Monsieur le Duc d’Orléans,
- Qui les a colloqués céans.
- Lettre XLVIII, du samedi 3 décembre 1661, « Défiante ».
- -La Conquête de la Toison d'or de Corneille est montée sur la scène du Théâtre du Marais :
- Dans l’Hôtel des Marêts [sic] du Temple,
- Ce sujet, presque, sans exemple,
- Intitulé la Toison d’or,
- Maintenant se rejoue encor ;
- Corneille, Esprit de haut étage,
- Est Auteur de ce rare Ouvrage,
- Qui brille de tant de beautés,
- Qu’il plairait aux plus dégoûtés ;
- On y parle d’amours et d’armes,
- De Dieux, de Déesses, de charmes,
- Le Théâtre a des changements
- Qu’on prendrait pour enchantements.
- Enfin, pour un plaisir de ville,
- Il serait assez difficile
- D’en voir sous le rond du Soleil
- Un qui fût à cetuy pareil :
- Et qui veut voir un beau spectacle,
- Et passer le temps, à miracle,
- Il ne faut qu’aller là tout droit,
- Les Affiches marquent l’endroit,
- L’heure, le prix et la journée,
- Et c’est toujours l’après-dînée.
- Lettre LII, du samedi 30 décembre 1661, « Dernière ».
- -Le poète Saint-Amand est allé rejoindre ses aïeux pour l'éternité. Son oeuvre, cependant, subsiste, grâce aux presses du fameux de Sercy :
- Cet Esprit, qui de bonne grâce
- Courtisait les Sœurs du Parnasse,
- Cet illustre et fameux Normand,
- Ce bon Monsieur de Saint-Amand,
- Dont la Muse gaillarde et belle
- A rendu sa gloire immortelle,
- Passa, l’autre jour, par les mains
- De Cloton, l’horreur des Humains :
- Sa Muse était d’un noble étage,
- Ayant fait pour dernier Ouvrage,
- Sur la Naissance du Dauphin,
- Un Poème excellent et fin,
- Et de construction charmante,
- Intitulé Lune parlante,
- Que l’on vend (je crois) chez Sercy ;
- Duquel Ouvrage, jusqu’ici,
- On m’a dit que la Renommée,
- N’est pas encore beaucoup semée,
- Mais qui doit bien plaire au Lecteur,
- Puisqu’il vient de ce rare Auteur.
- C’est, donc, une Place vacante
- Parmi cette Troupe savante,
- Dont le jugement, aujourd’hui,
- Décide des œuvres d’autrui,
- Et travaille, avecque courage,
- À corriger notre langage.
- Après son lugubre trépas,
- On ne désigne encore pas
- À quel Homme de grand mérite
- On garde la Place susdite :
- Mais je jugerais bien ma foi
- Que ce ne sera pas pour moi.
(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).
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