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La vie théâtrale et musicale selon Loret en 1663


Cette page constitue une des composantes de la documentation sur LES SPECTACLES ET LA VIE DE COUR SELON LES GAZETIERS (1659-1674)

Lettre II, samedi 13 janvier 1663, « Gourde ».

-L'Ecole des Femmes déchaînerait-elle les passions ? C'est ce que semble concéder Loret derrière la description du franc succès remporté par sa représentation :

Le Roi festoya, l’autre jour,
La plus fine Fleur de sa Cour,
Savoir sa Mère, et son Épouse,
Et d’autres jusqu’à plus de douze,
Dont ce Monarque avait fait choix.
Ce fut la veille, ou jour des Rois ;
Certes, ce Festin admirable
N’eut jamais rien de comparable,
Plusieurs sont d’accord sur ce point ;
Et quoi que je n’y fusse point,
J’en puis bien tenir ce langage :
Car un solide personnage
Qui vit ce rare Soûper-là,
M’en a parlé comme cela,
Mais sans me dire chose aucune
Des noms de chacun et chacune
Qui furent du susdit repas,
Ainsi, je ne les nomme pas.

Pour ce premier et charmant Régale,
Avant cette chère Royale,
Où raisonna maint violon,
Dans une Salle, ou beau Salon,
Pour divertir Seigneurs et Dames,
On joua l’École des Femmes,
Qui fit rire Leurs Majestés
Jusqu’à s’en tenir les côtés,
Pièce, aucunement, instructive,
Et, tout à fait, récréative,
Pièce, dont Molière est Auteur,
Et, même, principal Acteur,
Pièce qu’en plusieurs lieux on fronde ;
Mais où pourtant va tant de monde,
Que, jamais, Sujet important
Pour le voir, n’en attira tant,
Quant à moi, ce que j’en puis dire,
C’est que, pour extrêmement rire,
Faut voir, avec attention,
Cette représentation,
Qui peut, dans son genre Comique,
Charmer le plus mélancolique,
Surtout, par les simplicités,
Ou plaisantes naïvetés,
D’Agnès, d’Alain, et de Georgette,
Maîtresse, Valet, et Soubrette :
Voilà dès le commencement,
Quel fut mon propre sentiment,
Sans être, pourtant, adversaire
De ceux qui sont d’avis contraire,
Soit Gens d’esprit, soit innocents,
Car chacun abonde en son sens.

-Loret regrette de n'avoir pu assister, le 8 janvier, à la représentation du Ballet des Arts au Palais-Royal. Bien que coutumier du fait, le voici fort mécontent d'avoir été refoulé :

En cette Maison noble et belle,
Que Palais Royal on appelle,
Lundi dernier, Jeudi passé,
Le Ballet du Roi fut dansé.
Je ne saurais encor que dire
De ce Ballet de notre Sire,
(Qu’on tient charmant au dernier point)
Ne l’ayant vu ni peu, ni point.
Comme j’aime les choses belles,
Pour, après, jaser un peu d’elles,
À dessein j’y portai mes pas,
Mais, toutefois, je n’entrai pas ;
D’une parole assez humaine,
» La Salle (me dit-on) est pleine
» Vous gagneriez peu de passer,
» On ne saurait vous y placer.

Quant il m’eut fait cette harangue,
Un autre déployant sa langue,
Paraissant Homme de crédit,
En s’approchant de moi me dit
D’une manière spécieuse,
» La Salle est si peu spacieuse,
» Que je puis vous faire serment
» Qu’elle ne contient seulement,
» Des places qui soient un peu bonnes.
» Que pour deux cents trente personnes,
» Et vous assure, en vérité,
» Que bien des Gens de qualités,
» Craignant d’avoir même disgrâce
» Que le sieur Baron de la Crasse,
» S’en sont froidement retournés
» Avec, du moins, un pied de nez.
Ma foi, quand il m’eut dit la chose,
Voyant toujours la porte close,
Je m’en allai sans murmurer,
Non, toutefois, sans espérer
De prendre, à toutes aventures,
Un autre jour mieux mes mesures,
Car il sera, durant ce mois,
Encor dansé quatre ou cinq fois.

Lettre III, du samedi 20 janvier 1663, « Courtisane ».

-Notre gazetier fait le compte rendu du Ballet des Arts auquel il a fini par pouvoir assister :

Moi, votre très humble Valet,
Fus, Lundi dernier, au Ballet,
Au Ballet des Arts, c’est-à-dire,
Le Ballet du Roi notre Sire,
Qui sous son Règne glorieux,
Dans Paris et maints autres lieux,
Fait refleurir par excellence,
Les Arts, les Lettres, et la Science :
Mais pour parler sincèrement
De ce beau divertissement,
Il était rempli de merveilles
Pour les yeux et pour les oreilles,
Il me parut digne des Dieux,
Et jamais on ne dansa mieux ;
Outre la parfaite harmonie
D’une admirable symphonie,
Dont Baptiste, esprit transcendant,
Était Chef et Surintendant,
Quatre Filles, qui sont de celles
Qu’on admire pour Chanterelles,
Firent alternativement
Goûter un doux contentement
Par leurs voix claires et sereines,
Plutôt Angéliques qu’humaines,
Et dont, par curiosité,
Tu peux voir les noms à côté.

Je ne parlerai point du reste
De ce Ballet pompeux et leste ;
On en a fait un Imprimé,
Où tout est si bien exprimé,
Qu’aux Curieux il peut suffire,
Et qu’on doit acheter et lire :
Mais je désire, en ce moment,
Dire deux mots, tant seulement,
De cinq admirables Personnes,
De cinq adorables Mignonnes,
Qui dans cet illustre Ballet
Jouèrent si bien leur Rollet
De Bergères et d’Amazones,
Que je crois que sous les cinq Zones,
Et partout où luit le Soleil,
Il ne se voit rien de pareil

Madame en était la première,
Qui paraissait toute lumière,
Tant par ses habits précieux
Que par l’éclat de ses beaux yeux ;
On ne pouvait, sans allégresse,
Voir danser icelle Princesse,
Et rien n’égalait les appas
De sa grâce et de ses beaux pas :
C’est ce qu’on ne lui peut débattre ;
Voici les noms des autres quatre.

La Pucelle de Saint-Simon,
Fille d’un Duc, de grand renom,
Et d’une Mère fort charmante,
Fille, dont la beauté naissante,
Se rend digne, de jour en jour,
D’admiration et d’amour,
Fille, enfin, le rare modèle
D’une âme si noble et si belle,
Qu’on peut nommer l’âme et le corps,
Deux incomparables trésors.

Mortemar, cet Ange visible
Qui toucherait le moins sensible,
Qu’on ne peut voir sans soupirer,
Ni, mêmement, sans l’adorer,
À qui tout cœur doit rendre hommage,
Et dont l’angélique visage,
Fait, sans cesse, des amoureux,
Mais n’en fera qu’un seul heureux.

L’agréable de la Vallière,
Qui d’une excellente manière,
Et d’un air plus divin qu’humain,
Dansa la Houlette à la main,
Puis après, changeant de cadence,
En Amazone, avec la lance,
Ayant le port et la fierté
D’une Belle de qualité.

Cévigny, pour qui l’Assemblée
Était de merveille comblée,
Chacun paraissant enchanté
De sa danse et de sa beauté ;
Fille jeune, Fille brillante,
Fille de mine ravissante,
Et dont les jolis agréments
Charment les cœurs à tous moments.

Voilà ce que j’avais à dire
Dudit Ballet de notre Sire,
Que je prétends bien de revoir,
S’il plaît à Dieu, Lundi, le soir,
Pour lorgner encor la Personne
De ce Brave Porte-Couronne,
Dont la grâce et l’agilité,
Le port, la taille et majesté
Sont autant d’objets qui ravissent,
Et ses bons sujets réjouissent ;
Bref, qui mieux qu’on ne peut penser,
Se connaît des mieux à danser,
Soit par haut, ou soit, terre à terre,
Aussi bien qu’à faire la guerre.

-Puis évoquant le retour du Comte de Créqui, ambassadeur du roi de France à Rome, qui selon lui cache une "importante affaire" , Loret conclut :

Quittons cette importante affaire,
Que le temps nous rendra plus claire ;
Et parlons d’un célèbre Auteur
Dont je suis grand admirateur.

Cette pièce de conséquence,
Qu’avec extrême impatience
On attendait de jour en jour,
Dans tout Paris et dans la Cour,
Pièce qui peut être appelée
Sophonisbe, renouvelée,
Maintenant se joue à l’Hôtel, [De Bourgogne.]
Avec applaudissement tel,
Et si grand concours de personnes,
De hautes Dames, de Mignonnes,
D’esprit beaux en perfection,
Et de Gens de condition,
Que, de longtemps, Pièce nouvelle
Ne reçut tant d’éloges qu’elle.

Je ne m’embarrasserai point
À déduire, de point en point,
Ses plus importantes matières,
Ni ses plus brillantes lumières :
Pour dignement les concevoir,
Il faut les ouïr et les voir ;
Je veux, pourtant, dans notre Histoire,
Prouver son mérite et sa gloire
Par un invincible argument,
Car en disant, tant seulement,
Que cette Pièce nompareille
Est l’Ouvrage du grand Corneille,
C’est pousser sa louange à bout,
Et qui dit Corneille, dit tout.

Lettre IV, du samedi 27 janvier 1663, « Militante ».

-Une fête donnée au Palais-Royal s'est vue honorée de la présence de l’ambassadrice du Danemark :

Chez Monsieur, du Roi, Frère unique,
Un second Bal, fort magnifique,
Et des plus beaux qu’on puisse voir,
Se tint, encor, Dimanche au soir ;
Où Madame, la Principale
De cette allégresse Royale,
Parut comme un Astre des Cieux,
C’est-à-dire, parut des mieux,
Dansant (cela s’en va sans dire)
À la main droite de notre Sire,
Qui dans tout balle et tout Bal,
En Majesté, n’a point d’égal.
Quantité de jeunes Merveilles,
En divins attraits sans pareilles,
Illec, jetaient de leurs regards
Feux et flammes de toutes parts.
De Danemark, l’Ambassadrice,
Belle, fraîche, et que, par indice,
On juge être, certainement,
Femme de grand entendement,
Et, mêmes, son aimable Fille,
En qui toute honnêteté brille,
Fille d’un charmant entretien,
Fille d’un noble et beau maintien,
Et de gloire et d’honneur comblée,
Étaient aussi de l’Assemblée,
Ayant sur leurs riches habits
Des diamants et des rubis,
Et des perles en abondance,
Le tout de leur appartenance,
Nonobstant cette quantité,
N’ayant rien du tout emprunté.

Je n’entrai point dedans la Salle
Où se faisait ce beau Régal,
Je craignais trop d’être poussé,
Ou de n’être pas bien placé ;
Ainsi, je n’en puis davantage
Discourir sans ce mien ouvrage.

Ce fut, donc, au Palais Royal,
Que Dimanche on tint ce grand Bal,
Et ce sera demain, au Louvre,
Où j’espère entre, si l’on m’ouvre.

Lettre V, du samedi 3 février 1663, « Baladine ».

-Les grandeurs de la Muse font la servitude du gazetier : qui écrit tout le jour, ne goût pas aux divertissements. Ainsi :

Durant la Saison Bacchanale,
Des Saisons la plus joviale,
Où l’on voit, en Gens travestis,
Se trémousser, Grands et petits,
J’aimerais mieux jouer et rire
Que de rimer et que d’écrire :
J’aimerais mieux courir partout,
En carrosse, en chaise, ou debout,
Que d’être, toute une journée,
À rêver sous ma cheminée :
Mais, Ô Duchesse de Nemours,
Puisqu’à vous faire des discours,
Il y va de votre service,
Il faut que je vous divertisse
Tout le moins mal que je pourrai ;
Oyez, donc, ce que je dirai :
Ou, pour mieux exprimer mon dire,
Lisez ce que je vais écrire.

-Puis notre gazetier revient sur le bal évoqué à la lettre précédente pour corriger une erreur de date :

Par une bévue assez franche,
J’avais allégué que Dimanche,
(Et j’avais allégué fort mal)
Serait au Louvre le grand Bal,
Le grand Bal du Roi notre Sire,
Un bruit commun me le fit dire,
Mais je parlais en étourdi,
Car ce ne fut que Mercredi.

Quand je pourrai mettre en pratique
Les fines fleurs de Rhétorique
Des Écrivains les mieux sensés,
Tant modernes que trépassés,
Je n’oserais pas rendre compte
(Ou bien ce serait à ma honte)
De tout l’éclat et le brillant
De ce bal pompeux et galant,
Tant il était, je vous proteste,
Du dernier beau, du dernier leste ;
Mais dut-on, avec équité,
M’accuser de témérité,
Il faut que tant soit peu je cause
De ce Bal Royal, et pour cause.

Dieux ! que mon esprit fut ravi
Des belles choses que j’y vis !
Nos Reines, de tous révérées,
Admirablement bien parées,
Ajoutant cent beaux ornements
À leurs naturels agréments,
Honorèrent par leur présence
Cette illustre magnificence ;
L’Épouse de Sa Majesté,
Cette auguste et rare Beauté,
La Noble et charmante Thérèse,
(Dont j’approchai, tout ravi d’aise)
Pour faire honneur au Bal susdit,
Portait sur elle, à ce qu’on dit,
Outre sa brillante jeunesse,
Pour six millions de richesse.
Le Roi n’avait sur ses habits,
Diamants, Perles, ni Rubis,
Et ne tirait d’autre avantage
Que de sa taille et son visage,
Valant mieux que tous les Trésors
Dont on peut ajuster les corps.
Mais je vous jure, sur mon âme,
Que les seuls Monsieur et Madame,
Outre leurs appas gracieux,
Qui charmaient les cœurs et les yeux,
Avaient, en riches Pierreries,
La valeur de vingt Seigneuries :
Mais comme des Bijoux d’un Bal
Il ne font pas leur capital,
Il est vrai que plusieurs Personnes,
Tant jeunes Seigneurs, que Mignonnes,
Plus qu’eux, encore, étaient couverts
D’ornements et Bijoux divers :
Mais ce qui plaisait davantage
Que tout ce superbe étalage,
C’étaient les teints frais et polis,
C’étaient les roses et les lis
De plus de quatre ou cinq cent Belles,
Tant pucelles, que non pucelles,
Qui dansaient admirablement,
Ou qui regardaient seulement.
Je crois que jamais Assemblée
De tant d’attraits ne fut comblée ;
Je n’en vis qu’un échantillon,
Mais je jure par Apollon,
Que jamais en jour de ma vie,
Mon âme ne fut si ravie.

Je ferai peu de mention
De la belle Collation
Toute grande et toute parfaite,
Car quand je vins elle était faite :
Mais, ainsi qu’on m’en a parlé,
Chacun en fut émerveillé,
Et l’on dit qu’à ce beau spectacle
Plusieurs Gens crièrent miracle.

Dans dix-huit Bassins spacieux
Qui paraissaient, dit-on, aux yeux,
(Le prenant au pied de la lettre)
De deux bons pieds de diamètre ;
Et qui, pour mieux charmer la Cour,
Étaient garnis, tout alentour,
(Sans mensonges, sans hyperboles)
De rubans pour six-vingt pistoles,
D’or, d’argent, de vert et d’azur.
Le tout de Perdrigeon tout pur,
Que dessus de hautes machines
Portaient sur leurs fortes échines,
En bonne couche et noble aroi,
Trente-et-six Officiers du Roi.

Dans ces dix-huit Bassins, vous dis-je,
Selon qu’un Quidam le colige,
Étaient, à n’en rabattre rien,
Cinq cents poires de bon chrétien,
Citrons doux, quatre cents quarante,
Grenades, quatre cent cinquante,
Des oranges de Portugal,
Qui sont fruits propres pour le Bal,
Et qu’on sert dans les porcelaines,
Environ quatre-vingt douzaines,
Deux mille six cents pomme d’Api ;
Et, ce qui n’était pas le pis,
Plus de douze cent limes douces,
Chacune ayant, de tour, dix pouces :
Et, d’ailleurs, tant de massepains
Que l’on grippait à belles mains,
Tant d’autres exquises pâtures,
Et d’admirables confitures,
Tant de fruits secs, que de fruit verts,
De goûts différents, ou divers,
Que la plus fine arithmétique,
Qui de bien calculer se pique,
Sans s’ennuyer et se cabrer,
Ne pourrait jamais les nombrer.

Si des yeux, et non des oreilles,
J’eusse vu toutes ces merveilles,
J’en aurais, sans difficulté,
Le tableau mieux représenté :
Mais en ayant eu trop de fiance
En un Mien Ami d’importance,
(Que Dieu toutefois sauve et gard [sic])
Je ne le vis que sur le tard,
Dont j’en pensai mourir de honte :
Mais écoutez un autre conte.

Lettre VI, du samedi 10 février 1663, « Mortifiée ».

-Du Carnaval au Palais-Royal :

Le soir de ce Mardi-là même,
Veille du langoureux Carême,
Toute la Cour se travestit,
Et tant le Grand, que le petit,
En prenant des atours fantasques,
Voulurent s’ériger en Masques,
Ayant pris le Palais-Royal
Pour leur Rendez-vous général,
Où furent plusieurs Gens illustres,
Plusieurs Personnes à balustre,
Plusieurs judicieux Barbons,
Trois, pour le moins, de nos Bourbons,
Et d’autres Têtes couronnées,
Si très finement atournées [sic],
Qu’on n’eût pu dire, en ce temps-là,
C’est celle-ci, c’est cetui-là.

Enfin, pour avoir droit d’entrée
Dans cette Royale contrée,
Il était assez mal aisé
À moins que d’être déguisé ;
Et l’on faisait, dit-on, des frasques
À ceux qui n’avaient loups, ni masques.

Cela fit que je n’y fus pas,
Et qu’ailleurs je tournai mes pas ;
Car je suis si plein de franchise,
Que jamais je ne me déguise,
Au lieu que Gens en quantité,
Tant Gens de Cour, que de Cité,
Qui mettent la feinte en usage
N’ont le cœur tel que le visage,
Et cent fois plus que de raison
Sont masqués en toute saison.
Enfin, sur icelle matière,
M’étant assez donné carrière,
Sur Pégase étant à cheval,
Ne parlons plus du Carnaval.

Lettre VII, du samedi 17 février 1663, « Bienvenue ».

-La parution des Nouvelles nouvelles de Donneau retient l'attention de notre gazetier :

Il court un Livre de Nouvelles,
Nommé les Nouvelles nouvelles,
Livre, certes, très inventif,
Fort plaisant et récréatif,
Et dont une Plume excellente,
(Mais plus critique, qu’indulgente)
Et des plus fines d’à présent,
A fait, aux curieux, présent.
Cette Plume, des plus artistes,
Entreprend fort les Nouvellistes
D’État, de Parnasse et de Cour ;
Je ne l’ai que depuis un jour,
Et n’en ai lu que trente pages :
Mais je crois qu’entre les Ouvrages
Qui depuis dix ans ont paru,
Cettui sera des mieux couru ;
Car cet Auteur-là dit, lui-même,
Que, par une manie extrême,
Le siècle aime mieux les Censeurs,
Que les Livres pleins de douceurs,
C’est-à-dire plus les Critiques,
Que les Doctes et Politiques :
Et ce qui le Livre susdit
Mettra, sans doute, en haut crédit,
C’est que dans ce peu de lecture
Que j’en ai fait à l’ouverture,
Je m’imagine et je m’attends
Qu’il doit être un Tableau du Temps.

Lettre VIII, du samedi 24 Février 1663, « Mémorative ».

-Le ballet du Carnaval a été l'occasion de grands divertissements. Relation de Loret :

Ce Ballet noble et magnifique,
Ce charmant Ballet harmonique,
Autrement Ballet musical,
Qui, durant le feu Carnaval,
Étant, en merveilles, fertile,
Divertit la Cour et la Ville
Fut rechanté, fut redansé,
Encor Jeudi, dernier passé,
Et fut, tout à fait, trouvé leste,
Par Monsieur le Cardinal d’Este,
Car c’était pour lui, seulement,
Qu’on fit ce renouvellement ;
Et pour d’autres Messieurs, encore,
Qu’au Louvre on aime et l’on honore,
A savoir Monsieur de Créqui,
Ambassadeur de France, et qui
N’avait, à cause de l’absence,
Vu ce Ballet de conséquence,
Ni Monsieur le Duc Mazarin,
Depuis peu, de retour du Rhin,
Ni sa belle et chère Compagne,
Ni même un Envoyé d’Espagne,
Venu de Madrid en ces lieux
Pour témoigner, tout de son mieux,
Le deuil qu’a son Maître, dans l’âme,
Pour le trépas de feue Madame.
Iceux, donc, maintenant en Cour,
Virent ce Ballet à leur tour :
C’est peu de dire qu’ils le virent,
De tout leur cœur ils l’applaudirent.

Louis, qui sous ses justes Lois
Gouverne les Peuples Gaulois,
Avec des grâces sans pareilles,
Y fit le Berger, à merveilles.
Plusieurs Princes et Grands Seigneurs,
Dignes, certes, de tous honneurs,
En ce Ballet galant dansèrent,
Et, des mieux, le Roi secondèrent.
Cinq jeunes et rare beautés,
Sources de feux et de clartés,
Dans leurs deux Danses différentes
Semblaient des planètes errantes,
D’un éclat vif et sans pareil,
Dont Madame était le Soleil.
Les autres Beautés renommées,
Qu’ailleurs j’ai, toutefois, nommées,
C’étaient Saint-Simon, Cévigny,
De mérite presque infini,
La Vallière, autre Fille illustre,
Digne un jour d’avoir un Balustre,
Et la défunte Mortemar,
Je la nomme défunte, car
Depuis qu’elle n’est plus pucelle,
Ce n’est plus ainsi qu’on l’appelle :
Elle a toujours les mêmes traits,
Autrement, les mêmes attraits,
Elle est toujours jeune et brillante,
Elle est, même, encore vivante :
Mais cette beauté de renom,
Est, du moins, morte par le nom,
Qui n’est plus que pour Père et Mère,
Que, de longue-main, je révère,
Étant leur très humble Valet :
Mais, pour revenir au Ballet,
Les Voix douces et naturelles
De quatre aimables Demoiselles,
Les Luthistes et Violons,
En leur Art, de vrais Apollons,
Et, bref, toute la symphonie,
Causaient une joie infinie.
Le Théâtre était fort paré,
Bien disposé, bien éclairé,
Et des Machines l’artifice
Y fit dignement son office.

Nos Reines, pleines d’un bon sens,
Mais qui des plaisirs innocents,
(Comme sages et débonnaires)
Ne sont nullement adversaires,
Malgré l’âpre et rude saison,
Quittant Chambre, Alcove et tison,
Furent, non seulement, icelles,
Mais Monsieur et Mesdemoiselles, [d’Alençon et de Valois.]
Assez volontiers sur le lieu,
Pour audit Ballet dire adieu ;
Ayant illec, pour assistance,
Plusieurs Personnes d’importance,
Princes, Ducs, Comtes et Marquis,
Et quantité d’Objets exquis,
C’est-à-dire de beaux Visages
Bien dignes de vœux et d’hommages,
Que je lorgnais par-ci, par-là,
Étant en lieu propre à cela.

Lettre X, du samedi 10 mars 1663, « Bénévole ».

-Évoquant la mort du Président du Parlement de Rouen, Loret en vient à en conclure à la fécondité de la ville en poètes de talent :

[...]
Province le natal séjour,
Des Corneilles et des Malherbes,
Et qui malgré les sots Proverbes
De quantité d’esprits badins,
Dont la plupart sont des gredins,
Fut toujours féconde en Grands Hommes,
Aussi bien qu’elle l’est en pommes.

Lettre XII, du samedi 31 mars 1663, « Intermittente ».

-Une cérémonie religieuse impliquant la famille royale, bien que donnée dans un cadre rigoriste, a ravi notre gazetier. Force grands musiciens furent de la partie :

Pour assister à des Ténèbres
Fort touchantes et fort célèbres,
La Cour, avec tous ses Chalands,
Se transportèrent aux Feuillants,
(Compris le Roi, compris la Reine)
Deux jours de la Sainte Semaine ;
Et le Vendredi ; jour d’après,
On fut au Val-de-grâce exprès,
Maison fort belle, mais fort austère,
Où, lors, était la Reine-Mère.

Quand ces Ténèbres j’entendis
Je croyais être en Paradis ;
Et, jamais, de telles merveilles
N’avaient enchantées mes oreilles :
Aussi, certes, comme l’on sait,
Étaient là, la Barre, Boisset,
Lully, Lambert, Hotman, Molière [sic],
Chacun rare dans sa manière,
Gens, en Musique, renommés,
Et qui pourraient être nommés
(Considérés leur beau génie)
Les grands Héros de l’Harmonie ;
Tous gens appartenants au Roi,
Et connus et chéris de moi ;
Outre, encor, plus de cent-quarante,
(Quelques-uns disent cent octante)
Qui composaient, ensemble un Corps
D’infinis merveilleux accords.

Les quatre voix, encor fort belles,
De quatre aimables Demoiselles
Dont les noms sont moulés, ici,
Tenaient fort bien leur place, aussi,
Dans cette illustre Académie,
Faisant lamenter Hiérémie [sic]
Avec des roulements si doux
Qu’elles charmaient les cœurs de tous :
J’en fus témoins auriculaire,
Leurs noms, c’étaient la Barre, Hilaire,
Saint-Christophe, et Cercamanan,
À qui Dieu doint bon jour, bon an,
Et que je puis, dans ce chapitre,
Appeler par un nouveau Titre,
En les exaltant à leur tour,
Les Rossignoles de la Cour.

-A trop faire le vert-galant, on se "brûle" les ailes : de la très comique mésaventure arrivée à La Calprenède. Ainsi :

L’Illustre de la Calprenède,
Dont l’excellent esprit possède
Des talents rares et charmants
Pour les Vers et pour les Romans,
Et qui, d’ailleurs, est fort brave Homme,
Ou, plutôt, brave Gentilhomme,
Ces jours passés, en un Cadeau,
Contenant maint Objet fort beau,
Voulait, par un coup de justesse,
Montrer aux Dames son adresse :
Mais soit que le fatal canon
De son fusil, crevât, ou non,
(On ne m’a pas bien dit la chose)
La poudre audit canon enclose,
Qui s’enflamma, qui s’emporta,
Droit au visage lui sauta,
Et par cette triste aventure,
Outragea si fort sa figure,
Que l’Assemblée, avec douleur,
Déplora son triste malheur.

Ce fut au Château de Mouflaine
Que cette disgrâce inhumaine
Survint à cet homme important :
Mais qui n’en mourra pas, pourtant.

Lettre XIV, du samedi 14 avril 1663, « Crue ».

-La Mesnardière a abandonné sa charge au profit de Monsieur de Périgny :

Le Savant de La Mesnardière,
Qui sait de la belle manière,
Parler et coucher par écrit,
Autant que pas un bel Esprit,
Se trouvant mal, et c’est dommage,
Icelui fameux Personnage
S’est de sa Charge, enfin, démis
En faveur d’un de ses Amis,
Autre excellent en galant Homme,
Lequel Homme excellent se nomme
Le Président de Périgny,
Qui doit-être, aussi, bien muni
D’un extr’ordinaire [sic] mérite
Pour être en la Charge susdite,
Où l’on n’a vu, jusques ici,
Que de beaux Esprit, Dieu merci :
Et pour avoir icelle Charge,
Dont le Titre se voit en marge [Conseiller et Lecteur du Roi.]
Qui peut mettre un Homme en crédit,
Il en donne, à ce qu’on m’a dit,
En Effets, non en Babioles,
Environ six mille pistoles,
Y compris le vin du marché ;
Et le tout pour être huché
Le Lecteur du Roi, notre Sire,
Qui, de temps en temps, se fait lire
Des Livres tant vieux, que nouveaux,
Composés par de bons cerveaux.

Quoi que la somme soit notable
Pour cet achat considérable,
J’y vois peu de profusion :
Et, dans pareille occasion,
Si je n’avais des ans que trente,
Avec dix mille livres de rente,
J’en aurais, en argent comptant,
Offert deux ou trois fois autant :
Car, outre que de ma nature
J’aime fort la belle lecture,
À vous parler, de bonne foi,
J’aime tant notre aimable Roi,
Que mon âme serait ravie
De le servir toute ma vie ;
Je dis la chose comme elle est,
Et n’y mêle aucun intérêt.

-Le musicien Hotman qui avait charmé les oreilles de notre gazetier dans la précédente lettre pourra-t-il, tel Orphée, enchanter l'Adès où il a passé ? Quoi qu'il en soit, Loret regrette sa disparition :

Hotman, que depuis plusieurs lustres
On mettait au rang des Illustres,
Et qui, sous le rond du Soleil,
N’avait d’égal ni de pareil,
Pour bien jouer de la Viole,
Est décédé, sur ma parole :
Car j’apprends tout présentement
Qu’on le met dans le monument.
Grande perte pour l’Harmonie,
Et je crois que son beau Génie
Qui plaisait à Sa Majesté,
En sera longtemps regretté.

Lettre XV, du samedi 21 avril 1663, « Amie ».

-Le Père Senault adoubé par ses pairs :

Le Père Senault, cet Illustre,
Qui s’est acquis, depuis maint lustre,
Le titre de savant Auteur,
Et d’excellent Prédicateur,
Lundi, fut, à sa grande gloire,
Par les Prêtres de l’Oratoire,
Tous leurs suffrages s’accordant,
Et Monsieur d’Acqz, y présidant,
En cérémonie et bel ordre,
Déclaré Chef de tout leur Ordre,
Autrement, selon le journal,
Le Supérieur Général
De leur Congrégation sainte,
Où l’on a vu toujours empreinte
Une admirable piété
Dont ils n’ont jamais déserté.

Certes, cette Assemblée auguste
Fit une élection si juste,
Le susdit Senault choisissant,
Homme disert et ravissant,
Que notre Roi dévot et sage,
A, même, rendu témoignage
Que ce choix notable et sacré
Était tout à fait de bon gré.

-Plus bas, Loret évoque la parution des Oeuvres diverses ou discours mêlés de Charles Sorel [CS] :

Comme il est certain que la France
A des Auteurs en abondance,
Et que la Cité de Paris
Est florissante en beaux Esprits ;
De cet temps une belle Plume
A mis en lumière un Volume,
Imprimé depuis quelques jours,
Contenant d’assez fins discours
Sur des choses divertissantes,
Et cinquante Lettres galantes,
Écrites sur divers sujets,
A quantité de beaux objets.

Quoi que l’Auteur point ne se nomme,
Je le tiens, pourtant, un rare Homme,
Docte, charmant, récréatif,
Et n’est point Auteur apprentif ;
Je pense que sur le Parnasse
Il est de la sublime Classe,
Ce n’est point-là, son coup d’essai ;
Et par conjecture je sais
Que ses Ouvrages non vulgaires
Ont bien fait gagner les Libraires.
Quand j’indique ce Livre-ci,
C’est, pourtant, par le seul souci
D’en donner connaissance expresse
À ma curieuse Princesse,
Qui se plaît aux Livres nouveaux,
Quand ils passent pour bons et beaux :
Je crois que cetui se doit lire ;
Adieu, je n’ai plus rien à dire.

Lettre XVI, du samedi 28 Avril 1663, « Orageuse ».

-Louis XIV, roi des arts :

Le roi ne cessant de chérir
Les beaux Arts qu’il fait refleurir
Dans son grand Royaume de France,
Concevant fort bien que la Danse,
Parmi les Gens les plus polis,
Passe pour un des plus jolis
À donner la grâce et l’adresse,
Tant au Peuple, qu’à la Noblesse ;
Qu’elle est le plus doux passe-temps
Des Rois qui sont en leur printemps,
Qu’elle est, pour avoir l’art de plaire,
Aux deux Sexes, très nécessaire,
Qu’elle est plus charmante, cent fois,
Que les Combats, ni les Tournois,
Qui, comme symboles de Guerre,
Ne Font qu’effaroucher la Terre,
Au lieu que les Bals et Ballets,
Soit qu’ils soient graves, ou folets,
Par leurs justesses délectables,
De la Paix sont les fruits aimables,
Que pour ne point danser à faux,
On en doit purger les défauts ;
Et qu’enfin elle soit si belle
Qu’on n’ai point à mordre sur elle :
Pour ces causes, Sa Majesté,
De sa suprême Autorité,
Présentement très affermie,
En a fait une Académie,
Qui par son Institution,
Avec vérification
De la sage Cour Magistrale, [Parlement.]
Prend le beau Titre de Royale.
Treize des plus experts Danseurs,
Qui des autres seront Censeurs,
Iceux ayant le vent en poupe,
Composeront icelle Troupe,
Ensuivant leurs bons Instituts,
Feront observer ses Statuts,
Et, comme, des Gens de Collèges,
Auront les mêmes Privilèges,
Dispenses, droits, gratuités,
Concessions, immunités,
Que les Maîtres de la Sculpture,
Et ceux aussi, de la Peinture

Les Maîtres Violons d’ici,
Qui tous ensemble, de ceci,
Bien ou mal, se formalisèrent,
À cet institut s’opposèrent,
Faisant un peu les révoltés,
Mais ils s’en virent déboutés,
Et furent contraints de se taire
Par un Arrêt Parlementaire.

C’est ce que, dans un sien Écrit,
Un excellent et bel Esprit,
Qui sur le mien a quelque empire,
M’a bien exprès prié de dire ;
Et que cet établissement
Après le Roi, directement,
(Dont il reçoit son plus grand lustre)
A pour son Protecteur illustre
Saint-Aignan, ce charmant Seigneur,
Dont on peut dire, avec honneur,
Que c’est un des plus magnanimes,
Des plus adroits, des plus sublimes,
Bref, des plus civils Courtisans
Qu’on ait vu depuis deux cents ans.

-Nitétis de Mademoiselle Desjardins est donnée sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne :

Nitétis, Tragédie exquise,
Depuis plus de six mois promise,
(Ce m’a dit un certain Mortel)
Aujourd’hui, se joue à l’Hôtel. [de Bourgogne.]
On dit qu’en elle sont encloses
Quantité de fort bonnes choses,
On y voit de l’esprit galant,
Du doux, du fort et du brillant ;
Et quoi que cette Pièce brille,
C’est, pourtant, l’œuvre d’une Fille.
Ce n’est pas un cas fort nouveau
Que dans le Sexe appelé beau,
Il se trouve de belles Âmes,
Et que des Filles et des Femmes,
Fassent en des jargons fort nets,
Chansons, Madrigaux et Sonnets :
Mais pour des Pièces de Théâtre
Dont le Peuple soit idolâtre,
Mademoiselle Desjardins,
Dont les Vers ne sont pas gredins,
Mais excellents, à triple étage,
A seule ce rare avantage.
Enfin, icelle Nitétis
Plaît, dit-on, à grands et petits,
Et des Quidams m’ont fait entendre
Qu’elle a des endroits à surprendre.

Lettre XXI, du samedi 2 juin 1663, « Suave ».

-Les Comédiens du Roi créent les Amours d'Ovide de Gabriel Gilbert :

Les Grands Comédiens du Roi,
Quasi tous Gens aimés de moi,
Tant les mâles, que les femelles,
D’autant qu’iceux, d’autant qu’icelles,
Exercent en perfection,
Leur charmante profession,
Hier, ce dit-on, commencèrent,
C’est-à-dire, représentèrent
Une Pièce de fort grand éclat,
Où tout est fort, et rien n’est plat,
Savoir les Intrigues d’Ovide,
Par un Auteur docte et fluide,
Et dans l’Art des Muses expert,
Que l’on nomme Monsieur Gilbert :
On y voit, dit-on, des Machines,
Des Amours galantes et fines,
Et l’on y dit de fort beaux Vers
Entremêlés de doux Concerts,
Mais je n’en sais pas davantage,
N’ayant pas encor vu l’Ouvrage.

Lettre XXII, du samedi 9 juin 1663, « Spéculative ».

-La Mesnardière qui, par mauvaise santé avait abandonné sa charge quelques semaines auparavant, est passé de vie à trépas :

Le Savant de la Mesnardière,
Depuis cinq jours est dans la bière,
Son esprit docte et révélé
Du trépas ne l’a point sauvé ;
Cloton ne l’a respecté mie
Pour être de l’Académie,
Dont l’illustre Séguier est Chef,
Que Dieu garde de tout méchef,
Comme étant un des plus grands Hommes
Du siècle où maintenant nous sommes.
Enfin, le Trépassé susdit
Qui fut à la Cour en crédit,
Se servant des belles lumières
Aux rares Esprits coutumières,
Vers le déclin de ses beaux jours
Tenait de si sages discours
Touchant les vanités mondaines,
Touchant les faiblesses humaines,
Et le culte qu’en ce bas lieu
Les Mortels doivent rendre à Dieu,
Qu’on ne peut, sans être un peu rude,
Douter de sa béatitude.

Beaux Esprits qui le survivez,
Si quelque désir vous avez
D’aller en la Gloire éternelle,
Profitez d’une fin si belle,
Et songez qu’aux derniers moments
On a de si hauts sentiments,
Et des connaissances si pures
À l’égard des choses futures,
Que le plus assuré moyen
De devenir Homme de bien,
Et la plus utile science
Pour purger notre conscience
Des vices, en nous adhérant,
C’est de consulter les Mourants.

Ô Lecteurs chers et bénévoles,
Je sais que ces miennes paroles
Sont impropres pour réjouir,
Et votre rate épanouir :
Mais il sort souvent de ma plume
Par bonne ou mauvaise coutume,
(En faisant des Relations)
De semblables réflexions :
Et quoi que mes Rimes aisées
Excitent parfois des risées
À quiconque les va lisant,
Je suis plus moral que plaisant.

Lettre XXVI, du samedi 7 juillet 1663, « Terminée ».

-Hors de Paris, une grande dame a donné une fête pour le roi et la reine. On y a représenté La Critique de l'Ecole des Femmes :

Jeudi, si ma mémoire est bonne,
(Ce m’a dit certaine personne)
Dans Conflans, noble et charmant lieu,
La Duchesse de Richelieu,
Fort sage et fort habile Femme,
Régala la Reine et Madame,
En grande jubilation,
D’une exquise Collation,
Qui, pour le fruit et la viande,
Fut, tout à fait, rare et friande :
De plus, après, ou bien devant,
(Car je n’en suis pas trop savant)
La Critique du Sieur Molière,
Pièce Comique et singulière,
Fut un autre mets précieux
Pour les oreilles et les yeux,
Étant propre pour faire rire
Autant qu’autre qu’on puisse écrire.
On vit là, maint brillant Objet ;
Je m’étends peu sur ce sujet :
Ici, sans doute, j’en oublie
Beaucoup plus que je n’en publie :
Mais comme je n’étais pas là,
Je n’en puis dire que cela,
Et tout ce que j’en viens d’écrire
Ce n’est rien que par ouï-dire ;
Même, j’omettais que Monsieur
(Je l’apprends d’un sage Prieur)
Était d’icelle Compagnie,
Que Dieu sauve, garde et bénit.

-Puis notre gazetier cite les noms des musiciens choisis pour la chapelle royale :

Après les essais qu’on a faits
De quantité de Gens parfaits
En profession Musicale,
Pour de la Chapelle Royale,
Par mérite et non par bonheur,
Avoir la Maîtrise et l’honneur,
Le Roi, dont l’oreille est savante
En cette science charmante,
Par un vrai jugement d’Expert,
A choisi Dumont et Robert,
Tous deux rares, tous deux sublimes,
Et tous deux excellentissimes ;
Bref, chacun demeure d’accord
Que sans faire à personne tort
De ceux qui parurent en lice,
On leur rend à tous deux justice :
De la Cour c’est le sentiment,
Et le nôtre, pareillement.
Chacun d’eux bien ravi doit être
De se voir ainsi passer Maître ;
Cela, sans canon et sans fer,
S’appelle vaincre et triompher :
Et, tout de bon, la préférence
Dans cette grande concurrence
De très capables Aspirants
(Qui sont à présent soupirants)
Est un Guerdon inestimable
Qui joint l’utile à l’honorable,
Et qui les doit bien réjouir ;
En puissent-ils longtemps jouir.

Avec ces Chantres d’importance
Je n’eus jamais de connaissance,
Mais vrai, comme voilà le jour,
J’ai toujours un instinct d’amour
Pour ceux qui grands Hommes s’appellent,
Et qui dans les beaux-Arts excellent ;
Et c’est la pure vérité
Que quand à leur capacité
Le Ciel quelque fortune envoie
Je prends grande part à leur joie.

Notre Roi continue encor
De régaler d’argent et d’or
Mainte Muse scientifique
Qu’à sa Majesté l’on indique ;
Un fonds destiné pour cela
Se prodigue par-ci, par-là,
Aux sieurs Courtisans du Parnasse :
Mais pour obtenir cette grâce
Il faut, dit-on, à tout hasard,
Être indiqué de bonne part.

Lettre XXVII, du samedi 14 juillet 1663, « Bourgeoise ».

-La Reine-Mère dont la santé n'était pas très bonne s'est rétablie :

Du Couchant jusques à l’Aurore,
Par ces Vers je déclare encore,
Que pour rendre nos vœux contents,
La Reine-Mère, en peu de temps,
Doit-être, n’étant plus malade,
Capable de la promenade ;
Les Peuples ont tant souhaité
Cette précieuse santé,
Qu’enfin il faut que je publie
Qu’icelle s’en va rétablie.
Durant sa fièvre et ses langueurs,
Le trouble régnait dans nos cœurs,
Et pour Elle, étant en alarmes,
Nos tristes yeux versaient des larmes.
Ce n’étaient, partout, que soupirs,
Que frayeurs et que déplaisirs :
Maintenant, une aimable joie
Qu’un meilleur destin nous envoie,
Inspire à plusieurs de beaux Vers,
Et, même, on entend des Concerts
Agréables par excellence
Sur sa chère convalescence.

L’autre jour dans un joli Lieu,
Digne quasi d’un demi-Dieu,
Où l’on souffrit ma compagnie,
Maint rare et sublime Génie
Qu’on ne peut trop complimenter
Sur leur bel Art de bien chanter,
Mariant leur voix Angélique
Sur des instruments de musique,
Firent dans ce cher paradis,
Sur le beau sujet que je dis,
Maint accord si doux et si tendre,
Qu’ayant l’honneur de les entendre,
J’en pensai, presque, à tout moment,
Pâmer auriculairement.
On m’en pourra croire sans peine,
Si je dis que de la varenne,
(Nom en maints lieux assez chéri)
Tant Fille, Femme, que Mari,
Étaient de ladite partie,
Qui, de plus, était assortie
De Taillavacq [sic] l’Italien,
Dont on fait cas jusqu’à très bien,
De Monsieur de Niel, l’admirable,
Du sieur Gautier [sic], l’incomparable ;
Bref, de plusieurs autres Esprits,
Tous Gens d’honneur et Gens de prix,
Qui pour écouter s’y trouvèrent,
Et qui bien collationnèrent
Par les ordres d’un Jouvenceau
Qui fit les frais de ce Cadeau,
Fort honnête et généreux Homme,
Mais qui ne veut pas qu’on le nomme.

Lettre XXVIII, du samedi 22 juillet 1663, « Réjouie ».

-A Vincennes aussi, les fêtes de cour sont légion :

Mercredi dernier, notre Reine
S’alla divertir à Vincennes,
Et fut avec Elle, léans,
Monseigneur aussi, d’Orléans,
(Que le Ciel préserve d’encombre)
Avec des Dames en grand nombre,
Que la Duchesse Mazarin,
Dont le teint est plus qu’ivoirin,
Duchesse digne de louange,
Aimable, à peu près, comme un Ange,
Régala somptueusement
Dans un superbe Appartement,
Où cette illustre Compagnie
Vit une abondance infinie
D’Objets à contenter les yeux,
Et d’aliments délicieux.
Avant ce Banquet d’allégresse,
Où ladite belle Duchesse
La Reine, elle-même servit
Dans un respect qui la ravit ;
On fut dans le Parc à la chasse,
Où l’on poursuivit à la trace
Des animaux, en quantité,
Qui malgré leur légèreté,
Pour trop courir perdant l’haleine,
Venaient mourir devant la Reine.

Ensuite, ou devant cet ébat,
On vit le furieux combat,
Et les contorsions féroces
De diverses Bêtes atroces,
Dont les assauts fiers et mordants
Divertissaient les Regardants.

Dans une Salle bien parée
On eut le Bal, vers la soirée,
Où la Reine, souvent, dansa,
Et son joli Corps exerça.

Bref, après toutes ces délices,
Les admirables artifices
D’un Feu, sur le haut de la Tour,
Qui de la nuit fit un beau jour,
Par leur rareté singulière
Plurent de la belle manière ;
Et ce Feu brillant dans les airs
Mieux que de flamboyants éclairs,
Fut la conclusion finale
De ce magnifique Régale,
De ce jour joyeux et riant,
De ce Cadeau noble et friand,
Où Monseigneur le Capitaine [M. le Duc Mazarin.]
De ce fort Château de Vincennes,
Seigneur sage et judicieux,
Et sa Moitié, tout de leur mieux,
De tous leurs devoirs s’acquittèrent,
Et parfaitement contentèrent
Par leurs soins et civilités,
Tous les illustres Invités,
Mais, sur tous, la belle Thérèse,
Dont le cœur était rempli d’aise
Jusqu’à faire des compliments
Sur tous ces divertissements.

J’aurais voulu, dans cet Ouvrage,
Faire la peinture, ou l’image
Du Bal Royal et ravissant
Dont je n’ai parlé qu’en passant,
Du combat des Bêtes cruelles,
Et de ce qui se fit entre elles,
Sans oublier, même, le Feu
Qui causa du désordre un peu :
Mais les seuls témoins oculaires
Peuvent narrer telles affaires ;
J’y ferais, donc, de vains efforts,
Car j’étais à Paris, alors.

Lettre XXIX, du samedi 29 juillet 1663, « Indigente ».

-Louis XIV, roi des arts (II) :

Notre Roi, la fleur des Monarques,
Qui donne bien souvent des marques
(Qu’on voit briller de toutes parts)
De son amour pour les beaux Arts,
Dont son Esprit clair et sublime
A toujours fait bien de l’estime,
Avec quelques Grands de sa Cour,
Fut aux Gobelins, l’autre jour,
Pour voir les rares industries
Des pompeuses Tapisseries
Que par son établissement
On fait, illec, à tout moment.
Minerve Déesse guerrière,
Et qui fut aussi Tapissière,
Quoi qu’elle eût un être immortel,
N’a jamais rien ouvré de tel.
Pour de merveilleuses Tentures,
Et d’exquises Manufactures,
La Flandre avait, ce m’a-t-on dit,
Un grand renom et grand crédit,
Et dès le siècle d’Alexandre
Chacun disait, Vive la Flandre ;
Elle avait l’honneur tout entier
De cet ingénieux Métier :
Mais par les soins de notre Sire,
Les bons Connaisseurs peuvent dire,
Sans être autrement patelins,
Vive à présent les Gobelins.
Mais ne faut pas qu’on s’en étonne,
Le Brun, très illustre Personne,
En est l’excellent Directeur,
Et, mêmement, le Conducteur
Des Artisans experts et sages
Qui travaillent à tels Ouvrages,
Que le Roi, qui les aborda,
Très soigneusement regarda ;
Il y prit un plaisir extrême,
Et ravi dans cet instant même,
De voir des Ouvriers agissants
Au nombre de plus de deux cents,
Avec d’assez douces paroles
Leur donna très bien des pistoles,
Ou, plutôt, très bien des Louis,
Dont ils furent si réjouis,
Que pour mieux témoigner leur joie,
Quittant leurs fils d’or et de soie
Durant trois jours, soirs et matins,
Ils firent entre eux des festins,
Des feux d’artifices, des danses,
Et de telles réjouissances
Que tout leur argent s’en alla
En ces Banquets et Cadeaux-là :
Puis, avec ardeur et courage,
Ils se remirent à l’ouvrage
Par l’ordre dudit sieur Le Brun,
Dont le génie, hors le commun,
A le plus parfaites idées
Que jamais peintre ait possédées,
Témoins sa belle Statira, [Admirable Tableau]
Son Alexandre, et cetera, [que M. Le Brun a fait pour le Roi.]
Qui par leurs grâces non pareilles
De ce siècle sont les merveilles,
Sont des chefs d’œuvres merveilleux,
Sont les charmes miraculeux
Dont l’Ouvrier, pour récompense
De son art, de son excellence,
Qui sont au-dessus de l’oubli,
A mérité d’être ennobli [sic],
Et c’est d’un homme assez fidèle
Que j’ai su ladite nouvelle.

N’ayant appris, jusqu’à ce jour,
Autre chose touchant la Cour,
Qui, d’ordinaire, est ma ressource,
Je vais plus loin faire une course
Pour essayer d’y grappiller
Quelque chose, afin d’en parler.

Lettre XXX, du samedi 5 août 1663, « Subtile ».

-La réception de Saint-Aignan à l'Académie :

Saint-Aignan, cet illustre Comte,
Dont on peut dire sans méconte,
Qu’il est depuis maint an et jour,
Un des plus polis de la Cour,
Et qu’il eut, dès son plus jeune âge,
De la Science et du courage :
Comme il est certain qu’il chérit
Les Gens de Savoir et d’Esprit,
Dont sa belle Âme est vraie amie,
Les Messieurs de l’Académie
L’ont, en grande civilité,
Reçu dans leur Communauté,
Pour ses vertus et ses lumières,
Et cent qualités singulière
Qu’on voit briller, avec honneur,
En ce sage et vaillant Seigneur.
Il a, donc, la Place vacante
D’une Muse docte et savante,
Que, depuis peu, Dame Atropos
A mis dans l’Éternel repos :
Que si la chose ne s’est faite,
Ainsi qu’à présent je la traite,
Le deux du mois, qui fut Jeudi,
Ce sera, dit-on, pour Lundi.

Mais, ô savante Compagnie !
En adoptant ce beau Génie,
Dont l’Esprit galant plaît à tous ;
S’il reçoit des honneurs de vous,
Étant de très noble naissance,
Et d’un grand renom dans la France,
Permettez que je die, ici,
Qu’il vous honore bien aussi.

Lettre XXXI, du samedi 11 août 1663, « Valétudinaire ».

-En fin d'année scolaire, les représentations consacrant l'apprentissage des élèves sont nombreuses. En voici une au Collège de Clermont :

Dans Clermont, où par excellence [Collège des Jésuites.]
On montre aux Enfants la science,
Plus de cinquante Scolares
Bien vêtus, et disant flores
Jouèrent, l’autre jour, Thésée,
Pièce en Vers Latins composée
Selon la beauté du Sujet,
Par le docte Père Bouchet,
Qui par des grâces non pareilles
L’a, dit-on, traitée à merveilles.
Par divers ornements nouveaux
Le Théâtre était des plus beaux ;
Les Scolares fort bien jouèrent,
Et quatre Ballets qu’ils dansèrent
Donnèrent, très assurément,
Un plaisant divertissement.
Plus de six mille Hommes, que Femmes,
Dont étaient plusieurs belles Dames
Dignes de respect et d’amour,
Et maints grands Seigneurs de la Cour,
Seigneurs de très rare mérite,
Furent voir la Pièce susdite
Avec un concours merveilleux,
Même, jusqu’à des Cordons Bleus.

Sur escabelle, et non sur chaise,
Je vis le tout bien à mon aise,
Grâces au Père Gendreau,
Qui me fit un petit cadeau,
Par une bonté toute pure,
De pain, vin, fruit et confiture,
M’offrant ce rafraîchissement
(Tout de bon) fort obligeamment.

Lettre XXXIV, du samedi 25 août 1663, « Landore ».

-Loret décrit la performance de funambules à la foire de Saint Laurent :

Je fus en Carrosse à la Foire
De Saint-Laurent, ce dit l’histoire,
Environ cinq jours il y a,
Où l’on voit mirabilia ;
Savoir, avec leurs indiennes,
Quantité d’aimables Chrétiennes,
Voire, même, de qualité ;
Et, comme à présent c’est l’Été,
Les plus mignonnes et plus belles,
N’y vont que le soir aux chandelles.

Cette Foire, n’était, jadis,
Qu’un assez malplaisant taudis,
Où les patins, robes et cotes,
Amassaient, souvent, bien des crottes :
Mais on y voit présentement
Par un grand accommodement,
Avec des structures égales,
Quatre assez spacieuses Halles,
Où les Marchandes et Marchands,
Tant de la Ville, que des Champs,
Contre le Soleil et l’orage,
Ont du couvert et de l’ombrage,
Bref, pour cent nouvelles beautés
On y vient de tous les côtés :
Car outre plusieurs Marchandises,
Nécessaires, rares, exquises,
Citrons, Limonades, douceurs,
Arlequins, Sauteurs et Danseurs,
Outre un Géant dont la structure
Est un prodige de Nature,
Outre les vins délicieux
Que l’on boit, illec, sur les lieux ;
Trois Enfants, de même famille,
Deux fils, une fort jeune Fille,
Y donnent un plaisir de Roi,
Par de charmantes mélodies,
Par de petites Comédies,
Et par d’agréables Ballets,
Un peu plus graves que follets,
Dansés avec grande justesse,
Et qu’on voit, avec allégresse,
Moyennant quelque argent comptant
Que l’on ne plaint point en sortant :
Bref, les trois Enfants que j’allègue,
Dont le cadet est un peu bègue,
N’ont pas, encor, je crois tous trois,
Plus de dix-huit ans et dix mois.

Lettre XXXVII, du samedi 22 septembre 1663, « Falote ».

-Notre gazetier évoque l'Académie des beaux Esprits :

Montauzier, ce Marquis charmant,
Gouverneur du Climat Normand,
Où l’on adore ses mérites,
Y faisant partout ses visites,
Fut reçu dans Caen, l’autre jour,
Avec tout l’honneur et l’amour,
Que l’on rend aux Grands Personnages
Quand ils sont bons, vaillants et sages.
Icelle [sic] fameuse Cité,
Admirable pour sa beauté,
Pour sa splendeur, pour sa richesse,
Et, mêmement, pour sa noblesse,
L’accueillit glorieusement,
Et lui fit maint beau compliment
Sur ses qualités excellentes,
Par plusieurs Bouches éloquentes :
Car quoi que ce noble séjour
Ne soit pas voisin de la Cour,
On y voit de bonnes cervelles,
Des Âmes galantes et belles,
Et d’aussi délicats Esprits
Que dans le Louvre et dans Paris.
Desyveteaux, Bertaud, Malherbe,
Au style net, rare et superbe,
D’icelle [sic] ville étaient extraits,
Et, même, l’illustre Segrais,
Qui suivant leur divine trace [Gentilhomme domestique de Mademoiselle.]
Par où l’on parvient au Parnasse,
A mérité par ses Écrits
D’être, avec justice, compris
Dans cette sage Académie [Académie des beaux Esprit établie dans Paris.]
De laquelle je ne suis mie,
Et dont je ne serai jamais ;
Mais qu’on peut nommer désormais
Pour les grâces en elle infuses,
L’élite des plus belles Muses,
Quoi qu’on dise, par quolibet,
Qu’elle est encore à l’Alphabet.

-On a célébré l'anniversaire de Marie-Thèrese (née le 10 septembre 1638) dans un faste mémorable. Loret est amer. Lui qui est si friand de divertissement, lui qui pensait être respecté par l'entourage du roi n'a pas été invité. La faute en revient-elle à quelque marquis vaniteux ou avare ? Maudits soient ces hommes et femmes de faux-semblants jaloux de leurs privilèges qui composent parfois la cour ! Ainsi :

Pour avec des moyens plaisants
Divertir Cour et Courtisans,
Et solenniser la Naissance
De l’Épouse du Roi de France,
Dont le jour, échut, Mercredi,
(Je me trompe, ce fut Mardi)
Vers le soir, on fit à Vincennes,
Devant le Roi, devant les Reines,
Dans la grande Cour du Château,
Un Feu d’artifice si beau,
Qu’il plût, dit-on, à Notre Sire :
Mais je ne saurais le décrire,
Car je ne sais ni point, ni peu,
Quel fut l’ordre de ce beau Feu.
J’ai près du Roi, j’ai près des Reines,
Des Amis, ce semble, à centaines,
Mais au Diable soit l’un d’iceux,
Soit qu’ils soient froids ou paresseux,
Soit qu’ils ne m’en jugent pas digne,
Qui m’ait mandé par une ligne
Que j’allasse-là promptement,
Pour avoir ce contentement ;
Ils n’ignorent pas, les barbares,
Que j’aime fort les choses rares,
Et (sans faire le fanfaron)
Qu’il n’est Duc, Marquis, ni Baron,
Qui des doux plaisirs de la vie,
Ait plus que moi l’âme ravie
Ces beaux Amis savent cela,
Et, toutefois, m’ont laissé là.
Redoutaient-ils qu’en ce voyage
J’allasse manger leur potage ?
Avaient-ils peur de me gîter ?
Le Diantre les puisse emporter :
Ce mépris, cette négligence
Me font endéver quand j’y pense ;
Et je dis trente fois le jour,
» Peste soit des Amis de Cour.

Lettre XXXIX, du samedi 6 octobre 1663, « odorante ».

-Loret relate la représentation de "maint Spectacle comique" par Molière et sa troupe chez le prince de Condé à Chantilly (la troupe séjourna six jours et représenta six comédies différentes) :

Si l’on m’a dit la vérité,
Monsieur et Madame ont été
À Chantilly, rendre visite
À ce Prince de grand mérite, [M. le Prince.]
Et qui s’est acquis tant d’honneur,
Qui, dès longtemps, en est Seigneur.
Il fit des chères sans égales
À ces deux Altesses Royales,
Donna des divertissements
À causer des ravissements,
Pêche, Chasse, Danse, Musique,
Avec maint Spectacle comique,
Qu’illec, représentèrent lors,
Le sieur Molière et ses consors.

Enfin, cette Altesse Guerrière
Reçut de si belle manière
Monsieur et Madame, chez lui,
Qu’un Quidan m’a dit, aujourd’hui,
Qu’on n’eut pas pu mieux agir, mêmes,
Pour régaler des Diadèmes ;
Et je crois qu’équitablement
Je fais de luy ce jugement,
Qu’il sait, du moins, (sans rien rabattre)
Aussi bien traiter, que combattre ;
Et, dans ce Parallèle-là,
C’est beaucoup, que dire cela.

Vers le milieu de la semaine
On Dansa, dit-on, à Vincennes,
Au grand appartement Royal,
Un petite Ballet jovial,
Qui d’une Noce de Village
Était la Peinture, ou l’Image,
Qui fut des mieux exécuté,
Et dont était Sa Majesté,
Plusieurs Seigneurs et quelques Princes,
Et d’autres Gens un peu plus minces.

Faute d’avis, venus à temps,
Je ne vis point ce passe-temps,
Car, pour lors, j’étais à Versailles,
Avec des gens levant la paille,
Qui n’étaient ni Comtes, ni Marquis,
Mais des Gens de mérite exquis,
Et des Dames belles et bonnes,
Deux desquelles sont fort Mignonnes,
Et toutes, très certainement,
Pleines d’esprit et d’agrément ;
Nous vîmes le subtil Dédale
De cette Demeure Royale,
Du jardin les charmants attraits,
Les belles Chambres, les Portraits ,
Nous fîmes grande mangerie,
Nous vîmes la Ménagerie,
Dont les chères commodités,
Dont les belles diversités,
Dont les raretés infinies
Réjouissent les Compagnies,
Et cela tint lieu de Ballet,
À votre très humble Valet.

Lettre XL, samedi 13 octobre 1663, « Aduste ».

-Une parade militaire à Vincennes a vu la représentation de divers spectacles ainsi qu'un feu d'artifice :

Je suis de retour de Vincennes,
Je vais, donc, rouvrir notre veine,
Pour dire un peu, par-ci, par-là,
De ce que mes yeux virent-là :
Car faire de cette matière
Une description entière,
En trois ou quatre heures de temps,
Ce n’est pas à quoi je prétends.

On n’avait vu de cette année
Une si luisante journée,
Jamais dessous un Ciel d’azur
L’air ne fut si net et si pur,
Jamais l’Astre de la lumière,
Qui dans sa splendide carrière
Sert à l’Univers de flambeau,
Ne fut si riant, ni si beau,
Et, toutefois, jamais ses flammes,
En respectant le teint des Dames,
N’eurent tant de discrétion,
Ni tant de modération ;
Bref, pour m’expliquer davantage,
De ce Dieu le brillant visage
Soit en montant, ou descendant,
Fut toujours clair, et non ardent.

Le Roi, donc, qui toujours travaille,
Fit ce jour-là mettre en bataille
Environ près de dix milliers
De Fantassins et Cavaliers,
Qui sous une belle conduite,
Sont de sa Garde ou de sa Suite,
Soit Français, ou soit Étrangers,
Gens d’armes, ou Chevaux-Légers,
Gardes de son Corps, ordinaires,
Et grands et petits Mousquetaires,
Avec ceux qui servent, enfin,
Au nom de Monsieur le Dauphin,
Dont est Chef le Brave Valière,
De mine agréable et guerrière,
Et qui parmi les Chefs Galants
Paraissait un des plus brillants.
Tous lesquels Gens de guerre insignes,
Arrangés sur deux ou trois lignes,
En escadrons et bataillons,
Aucun d’eux plus larges que longs,
Et les autres plus longs que larges,
Firent chacun plusieurs décharges
À l’aspect de Leurs Majestés,
Et de plus de dix mille Beautés,
Qui sur quelques hauteurs côtières
Regardaient ces Troupes guerrières,
Qu’il faisait (sans mentir) beau voir ;
Et sur les cinq heures du soir,
Qui défilèrent, enfin, toutes,
Et par de verdoyantes routes,
Les jeunes et les vieux Routiers
Firent retraite en leurs Quartiers.

Après que le bel oeil du Monde
Eût caché ses clartés dans l’onde,
La Cour, presque au même moment,
Changea de divertissement.

Un Feu de lueur prompte et claire,
Succédant à l’Astre Solaire,
Remplit la Région des airs
De tant de radieux éclairs,
Que la Lune, alors blanche et belle,
Auprès d’eux ne parut plus telle,
Et ne recouvra son beau teint
Que quand ledit Feu fut éteint :
Mais ce qui surprit davantage
Dans ce rare et flambant Ouvrage,
(Qui ne charma pas pour un peu)
Ce fut un Carrousel de feu,
Où des Gens qui n’étaient pas bêtes,
Courant le Faquin et les Têtes,
Avec leurs lances et leurs dards,
Faisaient sortir tant de pétards
De serpenteaux et de fusées,
Tant de comètes embrasées,
Et tant de divers feux luisants,
Que la plupart des Courtisans,
Officiers, Badauds et Nourrices,
Tant spectateurs, que spectatrices,
Que tous (il le faut avouer)
Ne cessaient presque de louer
Monsieur de Montbrun-Soucarière,
Qui d’une si rare manière
Les avait, tant grands que petits,
Agréablement divertis :
Car lui seul, par magnificence,
En fit, ce dit-on, la dépense,
Et ce des spectacles plaisants,
Réjouit, presque, tous les ans,
Comme par forme de Régale,
La Cour et la Maison Royale.

Si moins de temps j’eusse perdu,
Je me serais plus étendu
Sur la Générale Revue,
Que de mes propres yeux j’ai vue,
Étant un sujet signalé,
Et sur le Feu dont j’ai parlé,
Ils en méritaient bien la peine :
Mais quoi ? revenir de Vincennes
(Aussi vrai que la Lune luit)
Qu’il était onze heures de nuit,
Sans avoir mangé pain, ni pâte,
Tant de retourner j’avais hâte,
Avec un rhume et mal de dents,
Et tout plein d’autres accidents,
(Ce qui n’est que trop véritable)
Cela me doit rendre excusable.
Mêmes, je n’ai pas le loisir,
Quoi que j’en aie un grand désir,
Et que j’en sois digne de blâme,
De remercier une Dame, [Madame de Beauvais.]
Qui dans son noble appartement
Me reçut très civilement,
Pour y voir le Feu d’artifice,
Dieu la conserve et la bénisse.

Lettre XLI, du samedi 20 octobre 1663, « Brochée ».

-La Calprenède avait déclenché le rire dans une précédente lettre. Aujourd'hui ce sont des larmes qu'il fait couler :

Comme il faut qu’à la mort tout cède,
L’excellent Sieur de La Calprenède,
Si renommé dans l’Univers,
Pour sa Prose et pour ses beaux Vers,
A succombé sous cette Parque,
Et de Caron passé la Barque ;
Enfin, par la rigueur du Sort,
Cet admirable Auteur est mort :
Mais personne ne peut débattre,
Que sa Cassandre et Cléopâtre,
Chère merveilles de nos jours,
Malgré sa mort vivront toujours.

Pour son Pharamond, c’est dommage
Qu’à cet incomparable Ouvrage,
Pour le plaisir du Genre Humain,
Il n’ait mis sa dernière main :
Mais on m’a dit que Sommaville,
Un des Libraires de la Ville,
Qui tient sa Boutique au Palais,
Fut sur des chevaux de relais,
Chez le Mort, recueillir les restes
Des Amours, intrigues et gestes,
Que cet Esprit rare et fécond
A laissés, dudit Pharamond,
Avec maint instructif mémoire
Pour conclusion de l’Histoire,
De ce Roman illustre et fin,
Dont chacun voudra voir la fin.

Lettre XLII, du samedi 27 octobre 1663, « Ménagée ».

-Loret n'est pas satisfait de ses vers qu'il estime faits à la va-vite, au contraire de ceux d'auteurs plus talentueux qui sont pourtant peu considérés ces temps-ci :

Comme les jours sont raccourcis,
J’avoue ici d’un sens rassis,
Que de mes Vers écrits fort vite,
Je doute de la réussite,
Mais drape sur eux qui voudra,
Diantre emporte qui s’en plaindra,
Puisqu’on censure les merveilles
Des Molières et des Corneilles,
Qui sont, en leurs divers Talents,
Admirablement excellents ;
Si d’aventure on me critique,
Il ne faut pas que je m’en pique,
Je serais injuste en ce point ;
Mais c’est ce qu’on ne fera point ;
Les Vers qui sortent de ma veine
N’en valurent jamais la peine ;
On daube sur les beaux Esprits,
Mais je ne suis pas de ce prix,
Et mon simple et naïf langage
Me met à couvert de l’orage.

Lettre XLIX, du samedi 15 décembre 1663, « Nuptiale ».

-Loret relate d'abord la cérémonie des fiançailles du duc d'Enghien, fils du Grand Condé, et d'Anne de Bavière, qui fut célébrée au Louvre et au cours de laquelle deux troupes donnèrent la Comédie (sans doute celles de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais), puis le mariage des mêmes le lendemain à l'Hôtel de Condé (il ne précise pas que cette fois la troupe de Molière joua La Critique et L'Impromptu et celle de l'Hôtel Le Portrait du Peintre et L'Impromptu de l'Hôtel de Condé) [GF] :

Lundi dernier, à jour préfix,
Du Grand Condé, l’unique Fils,
(Y présente la Cour de France)
Fiança, par sainte Alliance,
Avec grande solennité
Cette aimable et jeune Beauté,
Que l’on nomme Anne de Bavière,
Astre nouveau, Fleur printannière,
Fille du feu Duc Palatin,
Parent des Souverains du Rhin,
Et d’une Dame, que Mantoue
Pour illustre Parente avoue,
Dame, en Cour, ayant grand crédit,
Veuve du Palatin susdit,
Et Soeur de cette Noble Reine,
Qui de Pologne est Souveraine,
Et dont ces deux jeunes Amants
Ont reçu plus de Diamants
Et de précieuses Richesses,
Qu’il n’en faudrait pour dix Altesses ;
Outre d’autres marques d’amour
Qu’ils doivent, encor, quelque jour,
D’icelle Majesté prétendre,
Qui pour tous deux a le coeur tendre,
Et plein d’obligeantes bontés,
Les ayant, dit-on, adoptés.

L’Assemblée était grande et belle,
Et, mêmes, l’on peut dire telle,
Que le Louvre ne s’était vu
Depuis longtemps si bien pourvu
De tant de Princes, de Princesses,
De tant de Ducs et de Duchesses,
De tant de Comtes, de Marquis,
De Seigneurs de mérite exquis,
De tant de Gens de Prélature,
De Guerre et de Magistrature,
Et de ces beaux Objets brillants
Qui font soupirer les Galants,
Dont plus que pas un lieu du Monde
La Noble Cour Françoise abonde :
Bref, on n’a point vu de nos jours
Un si remarquable concours
De Personnes de grand mérite,
De Gens d’honneur, de Gens d’élite,
De Gens de Cour, jeunes et vieux,
Et de tant de beaux couples d’yeux,
Qu’en faveur de ce Mariage
Notre Roi, des Rois le plus sage,
Festoya généreusement
Dans son pompeux Appartement :
Car, outre un Festin magnifique,
Outre le Bal et la Musique,
Qui sont de chers ingrédients,
Deux Troupes de Comédiens,
Des cinq qui sont en cette Ville,
L’une et l’autre étant fort habile,
Divertirent ce même jour,
Admirablement bien la Cour.

Le lendemain, cet Hyménée,
Par une heureuse destinée,
Sans l’aveu du beau Sacrement,
S’accomplit agréablement
En l’Hôtel de ce Prince illustre,
Qui dans la Cour est en haut lustre,
Savoir Monseigneur de Condé,
Propre Père de l’Accordé,
Qui, dans la fleur de sa jeunesse,
Possède une rare Maîtresse,
Ou, pour mieux dire, une Moitié,
Si digne de son amitié,
Si digne de son Alliance
Par son mérite et sa Naissance,
Que, certes, ce Prince amoureux,
Ce Prince aimable et généreux,
N’eût pu, dans son ardeur fidèle,
En rencontrer une plus Belle.

Toute la Cour se trouva là,
On m’a bien assuré cela ;
Et par les présences Royales
De trois Majestés sans égales,
(De la France le cher souci)
De Monsieur, de Madame, aussi,
Issus de Races Souveraines,
Et, de plus, de vingt-deux douzaines
De Personnes de qualité,
Ce Noble Hôtel, en vérité,
Où bien des grandeurs on découvre,
De la Cour était lors le Louvre.

Touchant le Convive, ou Banquet,
Il n’est point d’assez fin caquet,
Ni d’assez sublime éloquence
Pour prôner sa magnificence ;
Spécifier je ne puis pas
Ni ses tables, ni ses repas,
La diversité des pâtures,
Des viandes, fruits et confitures,
La richesse des vêtements,
La splendeur des ameublements,
Des alcôves et des balustres,
L’immense quantité de lustres,
L’ordre, la somptuosité,
Ni la belle solennité
Dont toute l’auguste Assemblée
Fut d’admiration comblée.

Ceux qui furent les spectateurs,
Ou plutôt les admirateurs,
Autant des yeux, que des oreilles,
De tant de nombreuses merveilles,
Pourraient bien, et de bonne foi,
En discourir, et mieux que moi,
L’objet échauffe la pensée,
Et l’absence la rend glacée ;
Pour ne point paraître à nos yeux
Nous ne jugeons pas bien les Dieux,
Et l’on ne peut, de bonne grâce
Raisonner sur ce qui nous passe.

Je dis ceci pour m’excuser
De ne pas bien pindariser
Sur de si brillantes matières,
Non faute d’Art, mais de lumières,
Dont, sans doute, on a grand besoin
Quand d’en parler on prend le soin.
Durant cette pompeuse Fête,
Je me grattais, chez-moi, la tête,
Triste et chagrin au dernier point,
De ce que là je n’étais point :
Ma tristesse en fut sans seconde ;
Car, quoi que je sois peu du monde,
J’aime bien à voir, toutefois,
L’éclat des Princes et des Rois,
Qui dans la Paix, ou dans les Armes,
Eut toujours pour moi de grands charmes.

(Textes sélectionnés, saisis et commentés - sauf mention contraire - par David Chataignier à partir du Tome IV (années 1663-65) de l'édition de Ch.-L. Livet de La Muse historique de Jean Loret, 1878, Paris, Daffis éditeur).




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