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Flatter toujours le faible de leur coeur


"Et quand, charmante Élise, a-t-on vu s'il vous plaît,
Qu'on cherche auprès des grands que son propre intérêt ?
Qu'un parfait courtisan veuille charger leur suite,
D'un censeur des défauts, qu'on trouve en leur conduite ;
Et s'aille inquiéter, si son discours leur nuit,
Pourvu que sa fortune en tire quelque fruit?
Tout ce qu'on fait ne va qu'à se mettre en leur grâce
Par la plus courte voie on y cherche une place;
Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,
C'est de flatter toujours le faible de leur cœur:
D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire,
Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplaire;
C'est là le vrai secret d'être bien auprès d'eux,
Les utiles conseils font passer pour fâcheux,
Et vous laissent toujours hors de la confidence,
Où vous jette d'abord l'adroite complaisance.
Enfin on voit partout que l'art des courtisans,
Ne tend qu'à profiter des faiblesses des grands;
À nourrir leurs erreurs et jamais dans leur âme,
Ne porter les avis des choses qu'on y blâme."
Don Garcie de Navarre, II, 1, v. 410-429

Ce discours est démarqué de celui du flatteur Cortadiglio à la sc. I, 3 de la comédie de Cicognini Le gelosie fortunate del principe Rodrigo, source de la pièce de Molière.

Cette manière de servir les grands en les flattant est aussi le fait du favori Zarcan au livre III de la IIe partie de l'Almahide des Scudéry (1).

Elle est condamnée

La flatterie intéressée est aussi évoquée dans L'Amour médecin ("le vain encens qu'ils souhaitent"), L'Avare ("applaudir à ce qu'ils font") et Le Misanthrope ("hors de la cour", "je veux qu'on soit sincère", "plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte").


(1)

Comme Zarcan (cet adroit favori du roi de Grenade) avait trop d’esprit et trop de pratique du monde pour ne savoir pas que rien n’oblige plus les grands princes, que de les servir promptement, et comme il n’ignorait pas non plus que de tous les services qu’on leur peut rendre, le plus agréable sans doute est celui qui regarde leur amour ; parce que la plupart des rois laissent aussi souverainement régner leurs passions sur leur âme, comme ils règnent sur leurs sujets, il n’oublia rien, de tout ce qui pouvait satisfaire son maître, et lui donner lieu à lui-même de s’acquitter de la promesse qu’il lui avait faite de tâcher de découvrir qui pouvait être cet amant caché de la sultane, qui avait emporté la bague, et toute la gloire du carrousel. Il se mit donc à observer fort soigneusement, sans faire semblant d’y prendre garde, tous ceux qui visitaient cette princesse, et à la visiter lui-même beaucoup plus souvent qu’il n’avait accoutumé : afin de tâcher de surprendre quelque regard, ou quelque parole, qui lui donnât le moyen de s’éclaircir d’une chose si obscure, qu’il ne la pouvait deviner.
(Almahide, IIe partie, livre 3, 1661, p. 1825-1827).

(2)

Je veux que ceux qui sont auprès des grands les respectent, mais je ne veux pas qu'ils aient une complaisance qui ne regarde que leur qualité, et leur propre intérêt, et qui les oblige à louer ce qu'ils blâment dans leur coeur. Il faut sans doute être complaisant dans les choses indifférentes, mais il ne le faut jamais être dans les choses qui peuvent nuire, ni à celui pour qui on a de la complaisance, ni à nul autre.
(Clélie, II, p. 734)

(3)

D. ELVIRE

Quel courroux vous transporte ?

LINDAMIRE

La douleur de trouver notre siècle infecté
Par tant de perfidie et tant de lâcheté,
De voir si peu d'amis dans le temps où nous sommes,
Et de voir l'intérêt le dieu de tous les hommes.
(Le Favori, p. 34)




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