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Hors de la cour


"Je ne me trouve point les vertus nécessaires
Pour y bien réussir, et faire mes affaires.
Être franc, et sincère, est mon plus grand talent,
Je ne sais point jouer les hommes en parlant ;
Et qui n'a pas le don de cacher ce qu'il pense,
Doit faire, en ce pays, fort peu de résidence.
Hors de la cour, sans doute, on n'a pas cet appui,
Et ces titres d'honneur, qu'elle donne aujourd'hui ;
Mais on n'a pas, aussi, perdant ces avantages,
Le chagrin de jouer de fort sots personnages.
On n'a point à souffrir mille rebuts cruels."
Le Misanthrope, III, 5, v. 1085-1095

La dénonciation de la vie de cour et des vices qui lui sont attachés se lit également :

L'incompabilité de la vie de cour avec l'humeur chagrine fait l'objet d'une réflexion chez Saint-Evremond sous le titre "Observations sur la maxime qu'il faut mépriser la fortune et ne point se soucier de la cour" (texte rédigé en 1647) (6).

Dans son petit traité "De la retraite de la cour", La Mothe le Vayer défend en outre l'idée que l'exercice de la philosophie profite de l'éloignement de la cour (7).

Le Vayer de Boutigny, dans son roman Tarsis et Zélie (1665) soutient que l'humeur philosophe est incompatible avec celle de la cour (8).

Jaulnay, dans la réponse à l'une de ses questions d'amour, "Où est-ce qu'il se rencontre plus aisément de véritables amours, à la Cour, à la ville ou à la campagne ?", tranche clairement, contre la cour, en faveur de la campagne (9).


(1)

Mais quand je vins à examiner la vie des courtisans ou de ceux qui pensent composer ce qu’on nomme le grand monde, je ne pus m’empêcher de conclure que c’était celle de toutes qui était le plus capable de jeter un esprit clairvoyant et philosophique dans une parfaite misanthropie ou totale aversion du genre humain. parce qu’il n’y voit presque rien qui ne choque sa raison, ou souvent la folie, l’injustice ou quelque violente cabale ne l’emporte sur l’intégrité, sur le bon sens et sur la plus haute vertu. […] Je n’empêche pas pourtant, que vous fassiez passer toutes ces choses pour la vision d’un atrabilaire.
(Œuvres, éd. de 1756, VII, 1, p. 108-109)

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(2)

La Cour est un climat, où jamais il ne luit
Où l'erreur entretient une éternelle nuit :
Et tout ce qu'on y voit de trompeuse lumière,
Réfléchi du dehors d'une creuse matière,
Impose aux yeux, non moins qu'il impose aux esprits,
De son lustre abusés, aussitôt que surpris.
Aussi, rien n'y paraît en sa propre figure,
On n'y reconnaît point les traits de la nature.
Tout s'y meut par ressort, tout s'y fait avec art ;
Jusqu'aux yeux, jusqu'aux voix, tout est gâté de fard ;
Et par un scandaleux, quoique public usage,
Pour cent masques à peine on y voit un visage.
(Entretiens et lettres poétiques, 1665, p. 214)

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(3)

Les courtisans sont presque différents du reste des hommes, et paraissent comme autant de princes parmi les bourgeois et même parmi les gentilshommes qui n’ont jamais vu que la campagne. Mais comme les choses les plus délicates sont beaucoup plus sujettes à se corrompre, aussi les esprits de la cour se perdent et se corrompent fort aisément, s’ils ne sont préservés par une grâce particulière de Dieu. Car ils deviennent dissimulés, fourbes vains et si fort attachés à leurs intérêts, qu’il n’y a rien qu’ils n’entreprennent pour s’avancer. Et quand ils ne se trouveraient point emportés par ce torrent, ils ne sont d’ordinaire capables que d’une longue et voluptueuse oisiveté.
(De Bourdonné, Le Courtisan désabusé, Paris, A. Vitré, 1658, Chap. XXVI : « de la cour », p. 168-169)

Je demeure d’accord que toutes les personnes de naissance doivent connaître la cour, y passer une partie de leur vie, et s’y attacher raisonnablement. […] Car elle le perfectionne lui donne de grandes lumières, et le met en état de n’être pas surpris et trompé, en lui découvrant les finesses, les fourberies, et les artifices du monde.
Comme lorsqu’on commence à vieillir on se dégoûte des divertissements qui ne sont propres qu’à la jeunesse, de même un homme sage se dégoûte de l’occupation ordinaire des courtisans qui est de rendre à ceux qui sont en faveur des hommages presque toujours inutiles, et dont la dissimulation et une lâche complaisance sont le plus souvent inséparables : et il s’en dégoûte si fort qu’il a de la peine à la souffrir. […] un homme vertueux peut aussi demeurer dans la cour quand son devoir l’appelle auprès de son roi ; mais sans y attacher son cœur qui doit toujours avoir pour objet de plus hauts desseins, et de plus nobles espérances.
(Ibid., p. 174-175)

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(4)

DORIMENE : Je hais l'envie, le déguisement, la perfidie, et je ne puis trouver dans ces vices qui sont les vices de la Cour, le repos que je trouve dans l'innocence de ma solitude.
POLYMONDE : Ce que vous dites de la Cour ne doit pas vous détourner d'y revenir. Lire la suite ...
("De la campagne", L'Esprit de cour, p. 8)

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(5)

De la cour
On voit toujours ici des envieux, des mécontents et des ingrats ; ceux à qui l'on donne quelque chose, croient mériter davantage ; ceux à qui l'on ne donne rien, pensent qu'on leur dérobe ce qu'on donne aux autres ; cependant tout le monde s'empresse bien souvent sans savoir pourquoi. On y trouve des ambitieux sans mérite, des flatteurs mal récompensés, de faux amis qui ressemblent aux véritables, un extérieur de bonté qui charme les nouveaux venus, et qui ne trompe pourtant pas ceux qui ont de l'expérience ; et l'on y voit enfin de la fourbe partout, et de la politesse sans probité. Pour de l'amour il y en a peu qu'on puisse appeler amour ; on y trouve pourtant quelquefois de certaines amours frivoles, qui ne sont propres qu'à de jeunes oisifs qui ne savent que faire, et qui même bien souvent ne savent que dire. On y voit des amours d'intérêts, qui n'inspirent que de lâches actions, et l'on n'y voit presque jamais d'amours sincères, si ce n'est dans l'âme de Téanor et d'Emilius, dont on dit que le coeur est à la campagne, quoiqu'on les voie tous les jours chez la reine, où ils paraissent si mélancoliques que toutes les dames en murmurent.
(Clélie, IV, 3, p. 1389-1390)

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(6)

Je ne trouve pas étrange qu'un honnête homme méprise la Cour ; mais je trouve ridicule qu'il veuille se faire honneur de la mépriser.
Il y en a d'autres qui ne me déplaisent pas moins. Des gens qui ne peuvent quitter la Cour, et se chagrinent de tout ce qui s'y passe, qui s'intéressent dans la disgrâce des personnes les plus indifférentes, et qui trouvent à redire à l'élévation de leurs propres amis. [...] Tant qu'on est engagé dans le monde, il faut s'assujettir à ses maximes, parce qu'il n'y a rien de plus inutile que la sagesse de ces gens qui s'érigent d'eux-mêmes en réformateurs. C'est un personnage qu'on ne peut soutenir longtemps sans offenser ses amis et se rendre ridicule.
(éd. de 1753, p. 73-74)

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(7)

Mais que vous ayez sujet [...] de condamner cette retraite de la Cour et ce retour dans la vie philosophique et privée de votre ami, qui cherche le port après avoir éprouvé la tempête, c'est ce que je ne puis vous accorder. Quoi ? Il ne sera jamais permis de quitter un chemin dangereux et qui déplaît, pour suivre un sentier agréable, parce qu'une infinité de personnes qui s'étaient engagés dans le premier y continuent leur route, s'opiniâtrant à n'en point sortir ? Il n'y aura plus moyen de se mettre en liberté, après avoir éprouvé la rigueur de la servitude [...] ?
("De la retraite de la cour", Œuvres, VII, 1, p. 2)

-- (8)

Il est vrai, reprit Straton, que la Cour des Princes n'est guère la demeure des Philosophes, et qu'il y en a peu qui s'y puissent accommoder, comme avait fait Aristippe. Et la raison en effet, continua-t-il, qu'ils y font assez mal venus pour l'ordinaire, parce qu'on les y regarde comme des censeurs publies, dont la dissimulation, la flatterie, et tous les autres vices de Cour ne s'accommodent pas.

Encore si c’était, Pasiclès, que vous me fissiez voir qu’on ne mourût point à la cour, ou du moins que le contentement d’un courtisan durât bien plus que celui d’un berger ; mais j’ai appris qu’il en est tout au contraire, qu’on y avance souvent ses jours par les soins et les inquiétudes que l’on s’y donne, et que le contentement que les plus heureux y acquièrent est toujours d’autant plus court qu’ils ont perdu beaucoup de temps à l’acquérir. Il y a encore bien pis, Pasiclès ; c’est que le plus souvent, quand vous avez acquis toute la fortune que vous espériez à la cour, vous ne vous trouvez plus capable d’en jouir. Vous avez perdu alors le goût du plaisir et vous vous êtes tellement accoutumé à la servitude que vous ne pouvez plus goûter la liberté. N’avez-vous point vu des marchands qui s’embarquent dans des voyages de long cours pour aller trafiquer dans les pays éloignés et tâcher d’y amasser de grandes richesses ? Chacun sait combien d’écueils et de tempêtes il leur faut essuyer pour cela ; combien de peines, pour se défendre des pirates et des maladies. De dix mille personnes, il n’y en a souvent pas dix qui en échappent, ou du moins qui réussissent ; et encore, de ces dix-là, à qui la fortune a été favorable pour les biens, il n’y en a quelquefois pas un à qui la nature l’ait été pour la santé. S’ils reviennent dans leurs pays chargés de richesses, ils reviennent aussi d’ordinaire chargés des maladies qu’ils ont contractées dans les fatigues de leurs voyages, et ce qui est de plus misérable, c’est que s’ils reviennent en santé, ils s’ennuient, ils s’impatientent, ils ne sauraient durer s’ils ne retournent, parce qu’ils ont perdu le goût du repos de leurs pays et du plaisir de l’oisiveté. Je ne saurais, Pasiclès, me figurer une image plus naturelle que celle-là, de la manie de ceux qui s’embarquent à la cour. Ils y vont pour y faire, disent-ils, leur fortune. Pour le succès, je vous laisse à penser quelle incertitude s’y rencontre, combien il y en a qui échouent pour un seul qui réussit, et combien de fois les plus heureux déclament contre les peines et le malheur de leur servitude, avant que de parvenir à quelque fortune. Mais ce qui m’épouvante, c’est que, sont-ils parvenus à cette fortune, je ne les en trouve que plus esclaves et plus attachés à leurs liens qu’auparavant. Vous diriez que l’air de la cour les a enivrés, qu’ils ne savent plus pour quelle fin ils y sont allés, et qu’ils ont oublié à quel usage servent les biens et les richesses qu’ils ont amassés. Ils ne savent plus quel plaisir c’est d’être libre et indépendant ; ils ne connaissent plus la douceur du repos domestique ; ils se sont fait une habitude du mal, et, ayant de quoi être heureux, ils ne sauraient s’empêcher de vouloir toujours être misérables.
(Partie IV, Livre 3)
(texte numérisé par F. Rey)

(9)

Où est-ce qu'il se rencontre plus aisément de véritables amours, à la Cour, à la ville ou à la campagne ?
- A la ville on n'y voit guère que de la coquetterie, et à la Cour les intrigues que forment les divers intérêts d'ambition sentent le plus souvent le nom d'amour ; mais dans l'innocence de la campagne, l'amour s'y fait ordinairement de bonne foi. La sincérité des amours de l'Astrée touche plus que les grandes aventures de Cyrus.
(Questions d'amour ou conversations galantes dédiées aux belles, 1671, p. 17-18)




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