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Si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire


"Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire ; et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend ?"
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. VI

Dans ses Discours parus en 1660, Pierre Corneille écrivait au contraire qu'il fallait au théâtre "plaire selon les règles". Molière y avait déjà fait allusion dans la préface des Fâcheux ("ri selon les règles").

La nécessité impérative de "plaire" avait été soulignée dans le "Discours" de Pellisson, qui accompagne l'édition des Oeuvres (1656) de Sarasin, texte fondateur de l'esthétique galante (1).

Donneau de Visé, dans sa "Lettre sur le Misanthrope" reprendra le propos de Dorante, qu'il prête à Molière (2).

L'idée défendue ici par Dorante est fréquente dans les milieux mondains. On la retrouvera par exemple dans la préface de la Bérénice de Racine (3), dans celle du Recueil de poésies chrétiennes et diverses (1671) de La Fontaine (4) et dans la Critique de l'opéra (1674) de Perrault (5).


(1)

Je ne puis croire qu'on travaille inutilement quand on travaille agréablement pour la plus grande partie du monde et que, sans corrompre les esprits, on vient à bout de les divertir et de leur plaire [...] Au contraire, ces autres écrits qu'on traite communément de bagatelles, quand ils ne serviraient pas à régler les moeurs ou à éclairer l'esprit, comme ils le peuvent, comme ils le doivent, comme ils le font d'ordinaire directement ou indirectement, pour le moins, sans avoir besoin que d'eux-mêmes, ils plaisent, ils divertissent, ils sèment, et ils répandent partout la joie, qui est, après la vertu, le plus grand de tous les biens.
(éd. de 1663, p. 37-39)

(2)

Je pourrais vous dire en deux mots, si je voulais m'exempter de faire un grand discours, qu'il a plu, et que, son intention étant de plaire, les critiques ne peuvent pas dire qu'il ait mal fait, puisqu'en faisant mieux (si toutefois il est possible), son dessein n'aurait peut-être pas si bien réussi.
(Donneau, Lettre écrite sur la comédie du Misanthrope)

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(3)

Ce n'est pas que quelques personnes ne m'aient reproché cette même simplicité que j'avais recherchée avec tant de soin. Ils ont cru qu'une tragédie qui était si peu chargée d'intrigues ne pouvait être selon les règles du théâtre. Je m'informai s'ils se plaignaient qu'elles les eût ennuyés. On me dit qu'ils avouaient tous qu'elle n'ennuyait point, qu'elle les touchait même en plusieurs endroits, et qu'ils la verraient encore avec plaisir. Que veulent-ils davantage ? Je les conjure d'avoir assez bonne opinion d'eux-mêmes pour ne pas croire qu'une pièce qui les touche et qui leur donne du plaisir puisse être absolument contre les règles. La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première.
(Préface de Bérénice, 1671)

(4)

On prescrit certaines règles pour les tragédies, pour les comédies, pour les satires; on veut qu'elles aient chacune leur caractère particulier, dont il ne soit pas permis de s'éloigner ; mais malgré toutes ces règles les hommes croiront toujours avoir droit d'être indulgents à ceux qui ne les violeront que pour leur plaire. C'est par là qu'un excellent poète défendait avec raison une de ses pièces contre la critique maligne de quelques censeurs.
(n. p.)

(5)

Il faut considérer que les comédies ne sont pas faites pour plaire seulement aux habiles, mais à tous les honnêtes gens que Térence appelle le peuple, et que, suivant son témoignage, elle est parvenue à sa fin, si elle a su leur plaire. Quand un galant homme, qui n'aura jamais lu Aristote ni Horace, me dira qu'une pièce luy a plu, quelle a attiré agréablement toute son attention, qu'il en a très bien compris le nœud ; qu'il en a eu de l'inquiétude ; qu'ensuite il a vu le dénouement avec joie et qu'il est sorti de la comédie avec un grand désir de rencontrer quelqu'un de ses amis pour la lui raconter, je croirai que la pièce que ce galani homme a vue est bonne et ce témoignage sera plus fort à mon égard que toutes les raisons des demi-savants.
(Recueil de divers ouvrages en prose et en vers, 1675, p. 309)




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