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Loret, La Muse historique, Lettre XXXIII du samedi 20 août 1661


Lettre XXXIII, du samedi 20 août 1661, « Unie ».

-Loret évoque la fête donnée à Vaux-le-Vicomte le mercredi 17 août au cours de laquelle furent représentés Les Fâcheux.

Loin, donc, Nouvelles étrangères,
Véritables, ou mensongères,
Aujourd’hui mes soins et travaux
N’iront qu’à discourir de Vaux,
Maison, Résidence, ou Retraite,
Qui n’est pas encore parfaite,
Mais qui sera, sans doute, un jour,
Le plus admirable séjour
De toute la Machine ronde,
C’est-à-dire de tout le Monde.

Mercredi dernier, étant, donc,
En ce Lieu beau, s’il en fut onc,
Le Roi, l’Illustre Reine-Mère,
Monseigneur d’Orléans, son Frère,
Et Madame, pareillement,
Y vinrent par ébattement.
Suivis d’une Cour si brillante,
Ou (pour dire mieux) si galante,
Que Phébus, au chef radieux,
Phébus le plus charmant des Dieux,
Avec ses clartés immortelles,
N’en éclaira jamais de telles.

Là, cent Objets miraculeux,
Des Grands Princes, des Cordons bleus,
Tous Gens choisis et d’importance,
Bref, la fleur de toute la France,
Arrivèrent en bel arroi,
Avec notre cher et Grand Roi,
Que ce fameux et beau Génie,
De sagesse presque infinie,
Monsieur Fouquet Surintendant,
En bon sens, toujours, abondant,
Ainsi qu’en toute politesse,
Reçut avec grande allégresse,
Et son aimable Épouse aussi,
Dame, où l’on ne trouve aucun si,
Que le Ciel bénisse et conserve,
Et qui, comme une autre Minerve,
A des vertus et des appas
Que bien des Déesses n’ont pas.

Le Monarque, ensuite, et le reste
De sa Cour ravissante et leste,
Ayant traversé la Maison,
De tous biens garnie à foison,
Pour y faire chère plénière,
Adressa sa marche première
Dans l’incomparable Jardin,
Où l’on ne voit rien de gredin,
Mais dont les très larges allées,
Dignes d’être des Dieux foulées
Les Marbres extrêmement beaux,
Les Fontaines, [et] les Canaux,
Les Parterres, les Balustrades,
Les Rigoles, jets d’eau, Cascades,
Au nombre de plus d’onze cents,
Charment et ravissent les sens.

Le Soleil Père de lumière,
Roulant dans sa ronde carrière,
Quoiqu’il modérât son ardeur,
Semblait augmenter sa splendeur,
Pour donner plus de lustre aux choses
En ce vaste Jardin encloses.

Durant cet agréable jour,
Ha que je vis de Gens de Cour,
Et de la plus haute Naissance,
Admirer ce Lieu de Plaisance !
Qui se pouvait vanter, alors,
De voir mille rares Trésors
De beautés, d'appas et de grâces,
Dans ses délicieux Espaces.

Que de Princes et de Seigneurs !
Dignes d’encens, dignes d’honneurs !
De cette Promenade furent ;
Et dans ce beau Lieu comparurent !
Que pour le peu de temps que j’ai,
(Dont, certes, je suis affligé)
Quand ce serait pour un Empire,
Je ne saurais nommer, ni dire.

Touchant le Sexe féminin,
Pour qui je fus toujours bénin,
Que de Dames ! que de Mignonnes !
Et que d’adorables Personnes !
Que (m’en dût-on crucifier)
Je ne puis pas spécifier
À cause de leur multitude,
Dont j’ai bien de l’inquiétude :
Car ces délectables Objets
Seraient autant de beaux sujets
Dont les perfections sublimes
Feraient bien mieux valoir mes Rimes.

Enfin, le temps se faisant noir,
On prit congé du Promenoir ;
Et passant dans d’autres Régales,
On fut dans de fort riches Sales,
Remplir intestins et boyaux,
Non de jambons, ni d’aloyaux,
Mais d’infinité de viandes
Si délicates, si friandes ;
Y compris mille fruits divers,
Les uns sucrés, les autres verts,
Que cela (chose très certaine)
Passe toute croyance humaine.

Après ce somptueux Repas,
Pour goûter de nouveaux appas,
On alla sous une Feuillée
Pompeusement appareillée,
Où, sur un Théâtre charmant,
Dont à grand’peine un Saint Amant,
Un feu Ronsard, un feu Malherbe,
Figureraient l’aspect superbe.
Sur ce Théâtre, que je dis,
Qui paraissait un Paradis,
Fut, avec grande mélodie,
Récitée une Comédie,
Que Molière [Molier], d’un esprit pointu,
Avait composée, in promptu,
D’une manière assez exquise,
Et sa Troupe, en trois jours, apprise :
Mais qui (sans flatter peu, ni point)
Fut agréable au dernier point,
Étant fort bien représentée,
Quoique si peu préméditée.

D’abord, pour le commencement
De ce beau Divertissement,
Sortit d’un Rocher en coquille,
Une Naïade, ou belle Fille,
Qui récita quarante Vers
Au plus grand Roi de l’Univers,
Prônant les vertus dudit Sire ;
Et, certainement, j’ose dire
Qu’ils ne seraient pas plus parfaits
Quand Apollon les aurait faits ;
Tous ceux qui bien les écoutèrent
Jusques au Ciel les exaltèrent :
Leur sage Auteur, c’est Pellisson,
Des Muses le vrai Nourrisson,
Que non seulement on estime
Pour sa noble et savante Rime,
Mais pour plusieurs vertus qu’en lui
Chacun reconnaît aujourd’hui,
Et surtout étant le modèle
D’un Ami solide et fidèle.

Durant la susdite Action,
On vit par admiration
(Quoi qu’en apparence, bien fermes)
Mouvoir des Figures, des Termes,
Et douze Fontaines couler
S’élevant de dix pieds en l’air.

Mais il ne faut pas que je die
Le reste de la Comédie,
Car bientôt Paris la verra,
On n’ira pas, on y courra ;
Et chacun prêtant les oreilles
À tant de charmantes merveilles,
Y prendra plaisir, à gogo,
Et rira tout son saoul ; ergo,
Pour ne faire, aux Acteurs, outrage
Je n’en dirai pas davantage,
Sinon qu’au gré des Curieux,
Un Ballet entendu des mieux,
Qui par intervalles succède,
Sert à la Pièce, d’Intermède,
Lequel Ballet fut composé
Par Beauchamp, Danseur fort prisé,
Et dansé de la belle sorte
Par les Messieurs de son Escorte ;
Et, même, où le sieur d’Olivet,
Digne d’avoir quelque Brevet,
Et fameux en cette Contrée,
A fait mainte agréable Entrée.

Après la Danse et le Récit,
Où, des mieux, chacun réussit,
Après ce plaisir de Théâtre,
Dont la Cour fut presque idolâtre,
Et qui lui sembla durer peu,
Tout le monde courut au feu,
C’est-à-dire Feu d’artifice,
Élevé sur maint Édifice,
Et qui sur l’onde et dans les airs,
Donna mille plaisirs divers ;
Sans mentir, toutes les fusées,
Soit directes, ou soit croisées,
Firent d’admirables effets,
Et tout ce que j’en vis jamais,
(Et j’ai vu cent Feux ce me semble)
Quand ils seraient tous joints ensemble
Pour entrer en comparaison,
Ne pourraient pas, avec raison,
Égaler celui dont je parle ;
Et, certes, sans faire le Charles,
Le flatteur, l’exagérateur,
Foi d’Homme de bien et d’Auteur,
Tous ceux qui, comme moi, le virent,
Même, ou pareille chose dirent.

Pendant que ce grand Feu dura,
Que toute la Cour admira,
Je criai trente fois, miracle,
Ayant devant moi, pour spectacle,
Plus de quatre cents fleurs de Lys,
Dont les bords étaient embellis
Avec ordre et compas formées,
Et qui paraissant enflammées,
Sans consumer aucunement,
Excitaient du ravissement,
Outre seize grandes Figures
Qui n’étaient, pourtant, que Peintures
De même composition,
Mais faites en perfection ;
Certes, jusque là, mes prunelles
N’avaient lorgné choses si belles,
Et je croyais, en vérité,
Être à tous moments enchanté.

Or comme il faut que tout finisse,
Fini que fut cet Artifice,
En retournant vers le Château,
Il en parut un tout nouveau
À l’entour d’un superbe Dôme,
Des mieux fabriqués du Royaume,
Contenant des clartés, ou feux,
Plus de cinq cents quatre vingt deux
(Si bien je me les remémore)
Duquel Dôme sortit encore
Un embrasement imprévu,
Aussi beau qu’autre qu’on eût vu :
Puis on passa, sans faute nulle,
Au travers d’un grand Vestibule,
Où la Cour collationna,
Et, tout soudain, s’en retourna.

C’est ainsi que cet Homme sage,
Que cet Illustre Personnage,
Capable du plus haut Emploi,
Festoya son Maître et son Roi,
N’épargnant ni soin, ni dépense,
Pour montrer sa magnificence ;
Et j’ai su de quelques amis,
Que si le bref temps eût permis
D’achever maint sublime ouvrage,
Il en eût bien fait d’avantage.

Le renommé Monsieur Le Brun,
Qui des Rares du temps est l’un,
Et qui dans l’Art de la Peinture,
Imitant, de près, la Nature,
S’élève au-dessus des Humains,
A, dit-on, bien prêté les mains,
Ou plutôt son sens et sa Tête,
Aux appareils d’icelle Fête ;
Où l’ingénieux Hensselin,
Aux somptuosités enclin,
Pour à ce Grand Fouquet complaire,
Se rendit, aussi, nécessaire.

Je ne sais par quelle raison
Je n’entrai point dans la Maison
Aux endroits où sont les Peintures,
Les Ameublements, les Tentures,
Et cinq cents autres raretés,
Qu’on y va voir de tous côtés ;
Cela me mit, presque, en déroute :
J’ai là quelques amis, sans doute,
Mais ils avaient lors sur les bras
Trop d’affaires et d’embarras :
Toutefois, sur les bruits de Ville
Qui coururent de ce Domicile,
Des plus charmant de l’Univers,
Moi qui suis grand faiseur de Vers,
Mais assez mince Philosophe,
Je conclus par cette Apostrophe.

Ô Romans, qui représentez
Tant de beaux Palais enchantés,
Arioste, Amadis, le Tasse,
Hé dites-moi, tous trois, de grâce,
Et vous aussi, Monsieur Maugis,
Fîtes-vous, jamais, des Logis
À celui de Vaux comparables ?
Confond-il pas toutes vos fables ?
Et si vous pouviez faire un jour
Dans le Monde quelque retour,
Diriez-vous pas, en conscience,
» Cela passe notre science ?

(Texte saisi par David Chataignier à partir du Tome III (années 1659-62) de l'édition de Ch.-L. Livet de 1878, Paris, Daffis éditeur).




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