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Je te vais dire adieu
- "Si tu n'en prends pitié, je succombe à ma peine.
- – Si tu ne me secours, ma mort est trop certaine.
- – Si tu ne veux partir, je vais quitter ce lieu.
- – Si tu veux demeurer, je te vais dire adieu."
- Mélicerte, I, 1 (v. 9-12)
La situation (un berger aime en vain une bergère, qui lui donne son congé) et la forme (échange stichomythique), que Molière redouble dans Le Malade imaginaire ("si d'un peu d'amitié... si tu seras sensible") se trouvent dans de nombreuses pastorales et comédies pastorales des années 1630, parmi lesquelles
- La Sylvie (1628) (1)
- La Silvanire (1631) de Mairet (2)
- La Suivante (1637) de Corneille (3)
mais également dans des pastorales plus récentes telles que
(1)
- DIALOGUE
- [PHILÈNE.]
- Beau sujet de mes feux et de mes infortunes,
- Ce jour te soit plus doux et plus heureux qu’à moi.
- SYLVIE.
- Injurieux Berger qui toujours m’importunes,
- Je te rends tout souhait, et ne veux rien de toi.
- PHILÈNE.
- Comme avecque le temps toute chose se change,
- De même ta rigueur un jour s’adoucira.
- SYLVIE.
- Ce sera donc alors que d’une course étrange
- Ce ruisseau révolté contre sa source ira.
- PHILÈNE.
- Ce sera bien plutôt lorsque ta conscience
- T’accusera d’un crime en m’oyant soupirer.
- SYLVIE.
- Tes discours ont besoin de trop de patience,
- Adieu, le temps me presse, il me faut retirer.
- PHILÈNE.
- Arrête, mon Soleil, quoi ! ma longue poursuite
- Ne pourra m’obtenir le bien de te parler.
- SYLVIE.
- C’est en vain que tu veux interrompre ma fuite,
- Si je suis un Soleil je dois toujours aller.
- PHILÈNE.
- Le Soleil interrompt ses courses vagabondes
- Pour voir dessous les eaux l’objet de son souci.
- SYLVIE.
- Et moi si je voyais PHILÈNE. sous les ondes
- Pour voir mourir son feu je le ferais aussi.
- PHILÈNE.
- Justes Dieux ! se peut-il qu’une Bergère endure
- Son Pasteur à ses pieds d’amour se consumer ?
- SYLVIE.
- Mais plutôt se peut-il que ta fureur te dure
- Sachant que je ne puis ni ne te veux aimer ?
- PHILÈNE.
- Quelle est donc ton humeur, apprends-le moi de grâce,
- Que je réclame enfin la mort ou ta pitié.
- SYLVIE.
- Tu le dois bien savoir, mon cœur est tout de glace,
- Et mon âme insensible aux traits de l’amitié.
- PHILÈNE.
- Ha ! Si tu n’aimais rien, ce bois sauvage et sombre
- Ne te retiendrait pas dans son sein tout le jour.
- SYLVIE.
- Il est vrai que je l’aime, à cause que son ombre
- Conserve ma froideur contre les feux d’Amour.
- PHILÈNE.
- Mon tout, si ta rigueur me passe en repartie,
- Peut-être ma constance en doit venir à bout.
- SYLVIE.
- De ce dont on n’a pas encor une partie
- On est bien éloigné d’en posséder le tout.
- PHILÈNE.
- Et bien enseigne-moi quelque nom qui te plaise,
- Et duquel je te puisse appeler désormais.
- SYLVIE.
- Appelle-moi SYLVIE., appelle-moi mauvaise,
- Mais de ces noms d’Amour ne m’en parle jamais.
- PHILÈNE.
- Dieux ! tout contre le port je trouve plus d’orage,
- Et plus d’aveuglement auprès de mon flambeau.
- SYLVIE.
- Pourquoi donc imprudent me suis-tu davantage
- Si tu sais que mon œil te met dans le tombeau ?
- PHILÈNE.
- Ainsi veut le destin, ingrate que je t’aime,
- Me forçant par les yeux à rechercher ma mort.
- SYLVIE.
- Doncques de ton malheur n’accuse que toi-même,
- Ou commande à tes yeux d’en accuser le sort.
- PHILÈNE.
- Il est vrai que tous deux me rendent misérable,
- Mais le coup de la mort me vient de ta beauté.
- SYLVIE.
- Ainsi les imprudents font le Soleil coupable
- De leur aveuglement que cause sa clarté.
- PHILÈNE.
- À la fin je vois bien qu’il faudra que je meure,
- Sans témoignage aucun que de ta cruauté.
- SYLVIE.
- Qui n’attend que la mort doit mourir de bonne heure,
- En retarder le coup, c’est une lâcheté.
- PHILÈNE.
- Quoi ! tu n’auras donc pas pitié de la constance
- D’un pauvre cœur qui meurt de ton amour épris.
- SYLVIE.
- S’il meurt c’est justement, il fait la pénitence
- Du crime qu’il a fait d’avoir trop entrepris.
- PHILÈNE.
- Tu veux bien pour le moins avant ma sépulture
- D’un baiser seulement ma douleur apaiser.
- SYLVIE.
- Sans perdre en même temps l’une ou l’autre nature,
- Les glaces et les feux ne se peuvent baiser.
- PHILÈNE.
- Ô cœur ! mais bien rocher toujours couvert d’orage,
- Où mon amour se perd avec trop de rigueur !
- SYLVIE.
- On touche le rocher où l’on fait le naufrage,
- Mais jamais ton amour ne m’a touché le cœur.
- PHILÈNE.
- Disons pour mieux parler d’une chose si rare,
- Si ce n’est un rocher que c’est un diamant.
- SYLVIE.
- Ne t’étonne donc pas si ma rigueur avare
- À cause de son prix le garde chèrement.
- PHILÈNE.
- Au moins que ce bouquet fait de tes mains divines
- Au défaut d’un baiser récompense ma foi.
- SYLVIE.
- Tu n’en peux espérer que les seules épines,
- Car je garde les fleurs pour un autre que toi.
- PHILÈNE.
- Ô Dieux ! soyez témoins que je souffre un martyre
- Qui fait fendre le tronc de ce chêne endurci.
- SYLVIE.
- Il faut croire plutôt qu’il s’éclate de rire
- Oyant les sots discours que tu me fais ici.
- (Mairet, La Sylvie, I, 3, v. 141-220)
(2)
- SILVANIRE.
- Que je suis malheureuse, en quelque part que j’aille,
- Toujours quelque importun me suit et me travaille :
- Dieux ! que puis-je avoir fait dont le ressentiment
- Vous porte à me punir d’un si grief châtiment ?
- FOSSINDE.
- Hélas ! vous nommez là châtiment et supplice
- Ce que d’autres, ma sœur, appelleraient délice.
- Sus, toute honte à part, essayons aujourd’hui
- De le rendre sensible au mal que j’ai pour lui.
- Donc, ô Berger impitoyable,
- Ma ferme et constante amitié
- Ne te rendra jamais ployable
- Aux tardifs mouvements d’une juste pitié ?
- TIRINTE à SILVANIRE.
- Donc, ô Bergère impitoyable,
- Ma ferme et constante amitié
- Ne te rendra jamais ployable
- Aux tardifs mouvements d’une juste pitié ?
- SILVANIRE.
- Tu veux une chose impossible
- Quand tu veux mon cœur captiver,
- C’est un rocher inaccessible,
- Où ton affection ne saurait arriver.
- TIRINTE à FOSSINDE.
- Tu veux une chose impossible
- Quand tu veux mon cœur captiver,
- C’est un rocher inaccessible,
- Où ton affection ne saurait arriver.
- FOSSINDE.
- Ainsi tant de larmes versées,
- Tant de vœux et tant de langueurs,
- Au lieu d’être récompensées
- Serviront de triomphe à tes fières rigueurs.
- TIRINTE à SILVANIRE.
- Ainsi tant de larmes versées,
- Tant de vœux et tant de langueurs,
- Au lieu d’être récompensées,
- Serviront de triomphe à tes fières rigueurs.
- SILVANIRE.
- Enfin que veux-tu que j’y fasse,
- Si le destin veut t’affliger
- De cette amoureuse disgrâce,
- Est-il en mon pouvoir de le faire changer ?
- TIRINTE à FOSSINDE.
- Enfin que veux-tu que j’y fasse,
- Si le destin veut t’affliger
- De cette amoureuse disgrâce,
- Est-il en mon pouvoir de le faire changer ?
- FOSSINDE.
- Ô ! malheureuse Amante.
- TIRINTE.
- Il faut se consoler ;
- Mais c’est à Silvanire à qui je dois parler.
- (Mairet, La Silvanire, III, 7, p. 83)
(3)
- CLARIMOND
- Ces dédains rigoureux dureront-ils toujours ?
- DAPHNIS
- Non, ils ne dureront qu’autant que vos amours.
- CLARIMOND
- C’est prescrire à mes feux des lois bien inhumaines !
- DAPHNIS
- Faites finir vos feux, je finirai leurs peines.
- CLARIMOND
- Le moyen de forcer mon inclination ?
- DAPHNIS
- Le moyen de souffrir votre obstination ?
- CLARIMOND
- Qui ne s’obstinerait en vous voyant si belle ?
- DAPHNIS
- Qui vous pourrait aimer vous voyant si rebelle ?
- CLARIMOND
- Est-ce rébellion que d’avoir trop de feu ?
- DAPHNIS
- Pour avoir trop d’amour c’est m’obéir trop peu.
- CLARIMOND
- La puissance qu’Amour sur moi vous a donnée…
- DAPHNIS
- D’aucune exception ne doit être bornée.
- CLARIMOND
- Essayez autrement ce pouvoir souverain.
- DAPHNIS
- Cet essai me fait voir que je commande en vain.
- CLARIMOND
- C’est un injuste essai qui ferait ma ruine.
- DAPHNIS
- Ce n’est plus obéir depuis qu’on examine.
- CLARIMOND
- Mais l’amour vous défend un tel commandement.
- DAPHNIS
- Et moi je me défends un plus doux traitement.
- CLARIMOND
- Avec ce beau visage avoir le cœur de roche !
- DAPHNIS
- Si le mien s’endurcit ce n’est qu’à votre approche.
- CLARIMOND
- D’où naissent tant, bons Dieux ! et de telles froideurs ?
- DAPHNIS
- Peut-être du sujet qui produit vos ardeurs.
- CLARIMOND
- Si je brûle, Daphnis, c’est de nous voir ensemble.
- DAPHNIS
- Et c’est de nous y voir, Clarimond, que je tremble.
- CLARIMOND
- Votre contentement n’est qu’à me maltraiter.
- DAPHNIS
- Comme le vôtre n’est qu’à me persécuter.
- CLARIMOND
- Quoi ! l’on vous persécute à force de services ?
- DAPHNIS
- Non, mais de votre part ce me sont des supplices.
- CLARIMOND
- Hélas ! et quand pourra venir ma guérison ?
- DAPHNIS
- Lorsque le temps chez vous remettra la raison.
- CLARIMOND
- Ce n’est pas sans raison que mon âme est éprise.
- DAPHNIS
- Ce n’est pas sans raison aussi qu’on vous méprise.::
- CLARIMOND
- Juste Ciel ! et que dois-je espérer désormais ?
- DAPHNIS
- Que je ne suis pas fille à vous aimer jamais.
- CLARIMOND
- C’est donc perdre mon temps que de plus y prétendre ?
- DAPHNIS
- Comme je perds ici le mien à vous entendre.
- CLARIMOND
- Me quittez-vous si tôt sans vouloir me guérir ?
- DAPHNIS
- Clarimond sans Daphnis peut et vivre et mourir.
- CLARIMOND
- Je mourrai toutefois si je ne vous possède.
- DAPHNIS
- Tenez-vous donc pour mort s’il vous faut ce remède.
(4)
- PHILINTE, à Diane.
- Sortie si tôt des jeux, quel est votre souci ?
- DIANE
- Je fuis des importuns, et j’en retrouve ici.
- PHILINTE
- Quoi, donnez-vous ces noms à qui vous rend hommage ?
- DIANE
- Ce qui ne me plaît point, m’importune et m’outrage.
- PHILINTE
- Ne quitterez-vous point ces rigueurs quelque jour.
- DIANE
- Oui, quand vous n’aurez plus ni d’espoir, ni d’amour.
- PHILINTE
- Faites-vous cet accueil à quiconque vous aime ?
- DIANE
- Quand il est comme vous je le traite de même.
- PHILINTE
- Du Berger Clidamant le sort est bien plus doux.
- DIANE
- C’est donc assurément qu’il n’est pas comme vous.
- PHILINTE
- Il vous entretenait aux jeux tout bas.
- DIANE
- Je le confesse,
- Nous nous entretenions de votre peu d’adresse.
- PHILINTE
- Votre discours, sans doute était plus sérieux.
- DIANE
- Le votre me déplaît, ôtez-vous de mes yeux.
- Votre présence enfin aigrirait ma colère.
- (I, 2, éd. de 1654, p. 3-4)
(5)
- Cloris.
- Laissez-nous en repos, Philène.
- Climène.
- Tircis, ne viens point m’arrêter.
- Tircis, et Philène.
- Ah ! belle inhumaine,
- Daigne un moment m’écouter ?
- Climène, et Cloris.
- Mais, que me veux-tu conter ?
- Les deux Bergers.
- Que d’une flamme immortelle
- Mon cœur brûle sous tes lois.
- Les deux Bergères.
- Ce n’est pas une nouvelle,
- Tu me l’as dit mille fois.
- (I, 2, p. 3)
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