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Je te vais dire adieu


"Si tu n'en prends pitié, je succombe à ma peine.
– Si tu ne me secours, ma mort est trop certaine.
– Si tu ne veux partir, je vais quitter ce lieu.
– Si tu veux demeurer, je te vais dire adieu."
Mélicerte, I, 1 (v. 9-12)

La situation (un berger aime en vain une bergère, qui lui donne son congé) et la forme (échange stichomythique), que Molière redouble dans Le Malade imaginaire ("si d'un peu d'amitié... si tu seras sensible") se trouvent dans de nombreuses pastorales et comédies pastorales des années 1630, parmi lesquelles

mais également dans des pastorales plus récentes telles que


(1)

DIALOGUE

[PHILÈNE.]
Beau sujet de mes feux et de mes infortunes,
Ce jour te soit plus doux et plus heureux qu’à moi.

SYLVIE.
Injurieux Berger qui toujours m’importunes,
Je te rends tout souhait, et ne veux rien de toi.

PHILÈNE.
Comme avecque le temps toute chose se change,
De même ta rigueur un jour s’adoucira.

SYLVIE.
Ce sera donc alors que d’une course étrange
Ce ruisseau révolté contre sa source ira.

PHILÈNE.
Ce sera bien plutôt lorsque ta conscience
T’accusera d’un crime en m’oyant soupirer.

SYLVIE.
Tes discours ont besoin de trop de patience,
Adieu, le temps me presse, il me faut retirer.

PHILÈNE.
Arrête, mon Soleil, quoi ! ma longue poursuite
Ne pourra m’obtenir le bien de te parler.

SYLVIE.
C’est en vain que tu veux interrompre ma fuite,
Si je suis un Soleil je dois toujours aller.

PHILÈNE.
Le Soleil interrompt ses courses vagabondes
Pour voir dessous les eaux l’objet de son souci.

SYLVIE.
Et moi si je voyais PHILÈNE. sous les ondes
Pour voir mourir son feu je le ferais aussi.

PHILÈNE.
Justes Dieux ! se peut-il qu’une Bergère endure
Son Pasteur à ses pieds d’amour se consumer ?

SYLVIE.
Mais plutôt se peut-il que ta fureur te dure
Sachant que je ne puis ni ne te veux aimer ?

PHILÈNE.
Quelle est donc ton humeur, apprends-le moi de grâce,
Que je réclame enfin la mort ou ta pitié.

SYLVIE.
Tu le dois bien savoir, mon cœur est tout de glace,
Et mon âme insensible aux traits de l’amitié.

PHILÈNE.
Ha ! Si tu n’aimais rien, ce bois sauvage et sombre
Ne te retiendrait pas dans son sein tout le jour.

SYLVIE.
Il est vrai que je l’aime, à cause que son ombre
Conserve ma froideur contre les feux d’Amour.

PHILÈNE.
Mon tout, si ta rigueur me passe en repartie,
Peut-être ma constance en doit venir à bout.

SYLVIE.
De ce dont on n’a pas encor une partie
On est bien éloigné d’en posséder le tout.

PHILÈNE.
Et bien enseigne-moi quelque nom qui te plaise,
Et duquel je te puisse appeler désormais.

SYLVIE.
Appelle-moi SYLVIE., appelle-moi mauvaise,
Mais de ces noms d’Amour ne m’en parle jamais.

PHILÈNE.
Dieux ! tout contre le port je trouve plus d’orage,
Et plus d’aveuglement auprès de mon flambeau.

SYLVIE.
Pourquoi donc imprudent me suis-tu davantage
Si tu sais que mon œil te met dans le tombeau ?

PHILÈNE.
Ainsi veut le destin, ingrate que je t’aime,
Me forçant par les yeux à rechercher ma mort.

SYLVIE.
Doncques de ton malheur n’accuse que toi-même,
Ou commande à tes yeux d’en accuser le sort.

PHILÈNE.
Il est vrai que tous deux me rendent misérable,
Mais le coup de la mort me vient de ta beauté.

SYLVIE.
Ainsi les imprudents font le Soleil coupable
De leur aveuglement que cause sa clarté.

PHILÈNE.
À la fin je vois bien qu’il faudra que je meure,
Sans témoignage aucun que de ta cruauté.

SYLVIE.
Qui n’attend que la mort doit mourir de bonne heure,
En retarder le coup, c’est une lâcheté.

PHILÈNE.
Quoi ! tu n’auras donc pas pitié de la constance
D’un pauvre cœur qui meurt de ton amour épris.

SYLVIE.
S’il meurt c’est justement, il fait la pénitence
Du crime qu’il a fait d’avoir trop entrepris.

PHILÈNE.
Tu veux bien pour le moins avant ma sépulture
D’un baiser seulement ma douleur apaiser.

SYLVIE.
Sans perdre en même temps l’une ou l’autre nature,
Les glaces et les feux ne se peuvent baiser.

PHILÈNE.
Ô cœur ! mais bien rocher toujours couvert d’orage,
Où mon amour se perd avec trop de rigueur !

SYLVIE.
On touche le rocher où l’on fait le naufrage,
Mais jamais ton amour ne m’a touché le cœur.

PHILÈNE.
Disons pour mieux parler d’une chose si rare,
Si ce n’est un rocher que c’est un diamant.

SYLVIE.
Ne t’étonne donc pas si ma rigueur avare
À cause de son prix le garde chèrement.

PHILÈNE.
Au moins que ce bouquet fait de tes mains divines
Au défaut d’un baiser récompense ma foi.

SYLVIE.
Tu n’en peux espérer que les seules épines,
Car je garde les fleurs pour un autre que toi.

PHILÈNE.
Ô Dieux ! soyez témoins que je souffre un martyre
Qui fait fendre le tronc de ce chêne endurci.

SYLVIE.
Il faut croire plutôt qu’il s’éclate de rire
Oyant les sots discours que tu me fais ici.
(Mairet, La Sylvie, I, 3, v. 141-220)

(2)

SILVANIRE.
Que je suis malheureuse, en quelque part que j’aille,
Toujours quelque importun me suit et me travaille :
Dieux ! que puis-je avoir fait dont le ressentiment
Vous porte à me punir d’un si grief châtiment ?

FOSSINDE.
Hélas ! vous nommez là châtiment et supplice
Ce que d’autres, ma sœur, appelleraient délice.
Sus, toute honte à part, essayons aujourd’hui
De le rendre sensible au mal que j’ai pour lui.

Donc, ô Berger impitoyable,
Ma ferme et constante amitié
Ne te rendra jamais ployable
Aux tardifs mouvements d’une juste pitié ?

TIRINTE à SILVANIRE.
Donc, ô Bergère impitoyable,
Ma ferme et constante amitié
Ne te rendra jamais ployable
Aux tardifs mouvements d’une juste pitié ?

SILVANIRE.
Tu veux une chose impossible
Quand tu veux mon cœur captiver,
C’est un rocher inaccessible,
Où ton affection ne saurait arriver.

TIRINTE à FOSSINDE.
Tu veux une chose impossible
Quand tu veux mon cœur captiver,
C’est un rocher inaccessible,
Où ton affection ne saurait arriver.

FOSSINDE.
Ainsi tant de larmes versées,
Tant de vœux et tant de langueurs,
Au lieu d’être récompensées
Serviront de triomphe à tes fières rigueurs.

TIRINTE à SILVANIRE.
Ainsi tant de larmes versées,
Tant de vœux et tant de langueurs,
Au lieu d’être récompensées,
Serviront de triomphe à tes fières rigueurs.

SILVANIRE.
Enfin que veux-tu que j’y fasse,
Si le destin veut t’affliger
De cette amoureuse disgrâce,
Est-il en mon pouvoir de le faire changer ?

TIRINTE à FOSSINDE.
Enfin que veux-tu que j’y fasse,
Si le destin veut t’affliger
De cette amoureuse disgrâce,
Est-il en mon pouvoir de le faire changer ?

FOSSINDE.
Ô ! malheureuse Amante.

TIRINTE.
Il faut se consoler ;
Mais c’est à Silvanire à qui je dois parler.
(Mairet, La Silvanire, III, 7, p. 83)

(3)

CLARIMOND
Ces dédains rigoureux dureront-ils toujours ?

DAPHNIS
Non, ils ne dureront qu’autant que vos amours.

CLARIMOND
C’est prescrire à mes feux des lois bien inhumaines !

DAPHNIS
Faites finir vos feux, je finirai leurs peines.

CLARIMOND
Le moyen de forcer mon inclination ?

DAPHNIS
Le moyen de souffrir votre obstination ?

CLARIMOND
Qui ne s’obstinerait en vous voyant si belle ?

DAPHNIS
Qui vous pourrait aimer vous voyant si rebelle ?

CLARIMOND
Est-ce rébellion que d’avoir trop de feu ?

DAPHNIS
Pour avoir trop d’amour c’est m’obéir trop peu.

CLARIMOND
La puissance qu’Amour sur moi vous a donnée…

DAPHNIS
D’aucune exception ne doit être bornée.

CLARIMOND
Essayez autrement ce pouvoir souverain.

DAPHNIS
Cet essai me fait voir que je commande en vain.

CLARIMOND
C’est un injuste essai qui ferait ma ruine.

DAPHNIS
Ce n’est plus obéir depuis qu’on examine.

CLARIMOND
Mais l’amour vous défend un tel commandement.

DAPHNIS
Et moi je me défends un plus doux traitement.

CLARIMOND
Avec ce beau visage avoir le cœur de roche !

DAPHNIS
Si le mien s’endurcit ce n’est qu’à votre approche.

CLARIMOND
D’où naissent tant, bons Dieux ! et de telles froideurs ?

DAPHNIS
Peut-être du sujet qui produit vos ardeurs.

CLARIMOND
Si je brûle, Daphnis, c’est de nous voir ensemble.

DAPHNIS
Et c’est de nous y voir, Clarimond, que je tremble.

CLARIMOND
Votre contentement n’est qu’à me maltraiter.

DAPHNIS
Comme le vôtre n’est qu’à me persécuter.

CLARIMOND
Quoi ! l’on vous persécute à force de services ?

DAPHNIS
Non, mais de votre part ce me sont des supplices.

CLARIMOND
Hélas ! et quand pourra venir ma guérison ?

DAPHNIS
Lorsque le temps chez vous remettra la raison.

CLARIMOND
Ce n’est pas sans raison que mon âme est éprise.

DAPHNIS
Ce n’est pas sans raison aussi qu’on vous méprise.::

CLARIMOND
Juste Ciel ! et que dois-je espérer désormais ?

DAPHNIS
Que je ne suis pas fille à vous aimer jamais.

CLARIMOND
C’est donc perdre mon temps que de plus y prétendre ?

DAPHNIS
Comme je perds ici le mien à vous entendre.

CLARIMOND
Me quittez-vous si tôt sans vouloir me guérir ?

DAPHNIS
Clarimond sans Daphnis peut et vivre et mourir.

CLARIMOND
Je mourrai toutefois si je ne vous possède.

DAPHNIS
Tenez-vous donc pour mort s’il vous faut ce remède.

(4)

PHILINTE, à Diane.
Sortie si tôt des jeux, quel est votre souci ?

DIANE
Je fuis des importuns, et j’en retrouve ici.

PHILINTE
Quoi, donnez-vous ces noms à qui vous rend hommage ?

DIANE
Ce qui ne me plaît point, m’importune et m’outrage.

PHILINTE
Ne quitterez-vous point ces rigueurs quelque jour.

DIANE
Oui, quand vous n’aurez plus ni d’espoir, ni d’amour.

PHILINTE
Faites-vous cet accueil à quiconque vous aime ?

DIANE
Quand il est comme vous je le traite de même.

PHILINTE
Du Berger Clidamant le sort est bien plus doux.

DIANE
C’est donc assurément qu’il n’est pas comme vous.

PHILINTE
Il vous entretenait aux jeux tout bas.

DIANE
Je le confesse,
Nous nous entretenions de votre peu d’adresse.

PHILINTE
Votre discours, sans doute était plus sérieux.

DIANE
Le votre me déplaît, ôtez-vous de mes yeux.
Votre présence enfin aigrirait ma colère.
(I, 2, éd. de 1654, p. 3-4)

(5)

Cloris.
Laissez-nous en repos, Philène.

Climène.
Tircis, ne viens point m’arrêter.

Tircis, et Philène.
Ah ! belle inhumaine,
Daigne un moment m’écouter ?

Climène, et Cloris.
Mais, que me veux-tu conter ?

Les deux Bergers.
Que d’une flamme immortelle
Mon cœur brûle sous tes lois.

Les deux Bergères.
Ce n’est pas une nouvelle,
Tu me l’as dit mille fois.
(I, 2, p. 3)




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