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Livret du Grand Divertissement royal de Versailles


Le Grand Divertissement royal de Versailles, Paris, Ballard, 1668

Ce livret fut distribué aux spectateurs de la fête du Grand divertissement royal de Versailles, le 18 juillet 1668.

Il offre quelques brèves indications sur le contenu de Georges Dandin, comédie créée dans le cadre de cette fête.


LE GRAND DIVERTISSEMENT ROYAL DE VERSAILLES.

À PARIS,
Par ROBERT BALARD, seul Imprimeur du Roi pour la Musique.


M. DC. LXVIII.
Avec Privilège de sa Majesté.

LE GRAND DIVERTISSEMENT ROYAL
DE
VERSAILLES.


Sujet de la Comédie qui se doit faire à la grande Fête de Versailles.

Du Prince des Français rien ne borne la Gloire,
À tout elle s’étend, et chez les Nations
Les vérités de son Histoire
Vont passer des vieux temps toutes les fictions :
On aura beau chanter les restes magnifiques
De tous ces destins héroïques
Qu’un bel art prit plaisir d’élever jusqu’aux Cieux.
On en voit par ses Faits la splendeur effacée,
Et tous ces fameux demi-dieux
Dont fait bruit l’Histoire passée,
Ne sont point à notre pensée
Ce que LOUIS est à nos yeux.

Pour passer du langage des Dieux au langage des Hommes, le ROI est un grand Roi en tout, et nous ne voyons point que sa gloire soit retranchée à quelques qualités hors desquelles il tombe dans le commun des Hommes. Tout se soutient d’égale force en lui, il n’y a point d’endroit par où il lui soit désavantageux d’être regardé, et de quelque vue que vous le preniez, même Grandeur, même Éclat se rencontre ; C’est un Roi de tous les côtés : nul emploi ne l’abaisse, aucune action ne le défigure ; il est toujours lui-même, et partout on le reconnaît. Il y a du Héros dans toutes les choses qu’il fait, et jusques aux affaires de plaisir, il y fait éclater une grandeur qui passe tout ce qui a été vu jusques ici.
Cette nouvelle Fête de Versailles le montre pleinement, ce sont des prodiges et des miracles aussi bien que le reste de ses actions ; et si vous avez vu sur nos Frontières les Provinces conquises en une semaine d’Hiver, et les puissantes Villes forcées en faisant chemin, on voit ici sortir, en moins de rien, du milieu des Jardins les superbes Palais et les magnifiques Théâtres, de tous côtés enrichis d’or et de grandes Statues, que la verdure égaie, et que cent jets d’eau rafraîchissent. On ne peut rien imaginer de plus pompeux ni de plus surprenant ; et l’on dirait que ce digne Monarque a voulu faire voir ici qu’il sait maîtriser pleinement l’ardeur de son Courage, prenant soin de parer de toutes ces magnificences les beaux jours d’une Paix, où son grand Cœur a résisté, et à laquelle il ne s’est relâché que par les prières de ses sujets.
Je n’entreprends point de vous écrire le détail de toutes ces merveilles : Un de nos beaux esprits est chargé d’en faire le récit, et je m’arrête à la Comédie, dont par avance vous me demandez des nouvelles.
C’est Molière qui l’a faite ; comme je suis fort de ses amis, je trouve à propos de ne vous en dire ni bien ni mal, et vous en jugerez quand vous l’aurez vue : Je dirai seulement qu’il serait à souhaiter pour lui que chacun eût les yeux qu’il faut pour tous les Impromptus de Comédie, et que l’honneur d’obéir promptement au Roi pût faire dans les esprits des Auditeurs une partie du mérite de ces sortes d’ouvrages.
Le sujet est un Paysan qui s’est marié à la fille d’un Gentilhomme, et qui dans tout le cours pour la Comédie se trouve puni de son ambition : Puisque vous la devez voir, je me garderai, pour l’amour de vous, de toucher au détail ; et je ne veux point lui ôter la grâce de la nouveauté, et à vous le plaisir de la surprise : Mais comme ce sujet est mêlé avec une espèce de Comédie en musique et Ballet ; il est bon de vous expliquer l’ordre de tout cela, et de vous dire les Vers qui se chantent.
Notre Nation n’est guères faite à la Comédie en Musique, et je ne puis pas répondre comme cette nouveauté-ci réussira ; Il ne faut rien, souvent, pour effaroucher les esprits des Français : un petit mot tourné en ridicule, une syllabe qui avec un air un peu rude s’approchera d’une oreille délicate, un geste d’un Musicien qui n’aura pas peut-être encore au Théâtre la liberté qu’il faudrait, une perruque tant soit peu de côté, un ruban qui pendra, la moindre chose est capable de gâter toute une affaire : Mais, enfin, il est assuré, au sentiment des connaisseurs qui ont vu la répétition, que Lully n’a jamais rien fait de plus beau, soit pour la Musique, soit pour les Danses, et que tout y brille d’invention ; En vérité c’est un admirable homme, et le Roi pourrait perdre beaucoup de gens considérables qui ne lui seraient pas si malaisés à remplacer que celui-là.
Toute l’affaire se passe dans une grande Fête champêtre.

L’OUVERTURE

En est faite par quatre illustres Bergers déguisés en valets de Fêtes ; * [en marge droite : * Beauchamp, S. André, la Pierre, Favier.] lesquels accompagnés de quatre autres Bergers qui jouent de la Flûte, * [en marge droite : * Descouteaux, Philbert, Jean et Martin Hottere.] font une danse qui interrompt les rêveries du Paysan Marié, et l’oblige à se retirer après quelque contrainte.
Climène et Cloris, * [en marge droite : * Madlle Hylaire. Madlle Des Fronteaux.] deux Bergères amies s’avisent au son de ces Flûtes de chanter cette
CHANSONNETTE.

L’Autre jour d’Annette
J’entendis la voix,
Qui sur la musette
Chantait dans nos bois ;
Amour, que sous ton empire
On souffre de maux cuisants,
Je le puis bien dire
Puisque je le sens.

La jeune Lisette,
Au même moment,
Sur le ton d’Annette
Reprit tendrement,
Amour, si sous ton empire
Je souffre des maux cuisants,
C’est de n’oser dire
Tout ce que je sens.

Tircis et Philène * [en marge : * Blondel, Gaye.] amants de ces deux Bergères, les abordent pour leur parler de leur passion, et font avec elle une
SCÈNE DE MUSIQUE.

Cloris.
Laissez-nous en repos, Philène.

Climène.
Tircis, ne viens point m’arrêter.

Tircis, et Philène.
Ah ! belle inhumaine,
Daigne un moment m’écouter ?

Climène, et Cloris.
Mais, que me veux-tu conter ?

Les deux Bergers.
Que d’une flamme immortelle
Mon cœur brûle sous tes lois.

Les deux Bergères.
Ce n’est pas une nouvelle,
Tu me l’as dit mille fois.

Philène.
Quoi ? veux-tu toute ma vie
Que j’aime et n’obtienne rien ?

Cloris.
Non, ce n’est pas mon envie,
N’aime plus, je le veux bien.

Tircis.
Le Ciel me force à l’hommage
Dont tous ces bois sont témoins.

Climène.
C’est au Ciel, puisqu’il t’engage,
A te payer de tes soins.

Philène.
C’est par ton mérite extrême
Que tu captives mes vœux.

Cloris.
Si je mérite qu’on m’aime
Je ne dois rien à tes feux.

Les deux Bergers.
L’éclat de tes yeux me tue.

Les deux Bergères.
Détourne de moi tes pas.

Les deux Bergers.
Je me plaît dans cette vue.

Les deux Bergères.
Berger, ne t’en plains donc pas.

Philène.
Ah ! belle Climène.

Tircis.
Ah ! belle Cloris.

Philène.
Rends-là pour moi plus humaine.

Tircis.
Dompte pour moi ses mépris.

Climène, à Cloris.
Sois sensible à l’amour que te porte Philène.

Cloris, à Climène.
Sois sensible à l’ardeur dont Tircis est épris.

Climène.
Si tu veux me donner ton exemple, Bergère,
Peut-être je le recevrai.

Cloris.
Si tu veux te résoudre à marcher la première
Possible que je te suivrai.

Climène, à Philène.
Adieu, Berger.

Cloris, à Tircis.
Adieu, Berger.

Climène.
Attends un favorable sort.

Cloris.
Attends un doux succès du mal qui te possède.

Tircis.
Je n’attends aucun remède.

Philène.
Je n’attends que la mort.

Tircis, et Philène.

Puisqu’il nous faut languir en de tels déplaisirs,
Mettons fin en mourant à nos tristes soupirs.

Ces deux Bergers s’en vont désespérés, suivant la coutume des anciens Amants qui se désespéraient de peu de choses ; ensuite de cette Musique vient

LE PREMIER ACTE DE LA COMÉDIE
qui se récite.

Le Paysan marié y reçoit des mortifications de son Mariage, et sur la fin de l’Acte dans un chagrin assez puissant, il est interrompu par une Bergère qui lui vient faire le récit du désespoir des deux Bergers ; il la quitte en colère, et fait place à Cloris, qui sur la mort de son Amant vient faire une

PLAINTE EN MUSIQUE.

Ah ! mortelles douleurs !
Qu’ai-je plus à prétendre ?
Coulez, coulez mes pleurs,
Je n’en puis trop répandre.
+++

Pourquoi faut-il qu’un tyrannique honneur
Tienne notre âme en esclave asservie ?
Hélas ! pour contenter sa barbare rigueur
J’ai réduit mon Amant à sortir de la vie.
Ah ! mortelles douleurs !
Qu’ai-je plus à prétendre ?
Coulez, coulez mes pleurs,
Je n’en puis trop répandre.
+++

Me puis-je pardonner dans ce funeste sort
Les sévères froideurs dont je m’étais armée ?
Quoi donc, mon cher amant, je t’ai donné la mort,
Est-ce le prix, hélas, de m’avoir tant aimée ?
Ah ! mortelles douleurs. etc.

La fin de ces plaintes fait venir

LE SECOND ACTE DE LA COMÉDIE
qui se récite.

C’est une suite des déplaisirs du Paysan marié, et la même Bergère ne manque pas de venir encore l’interrompre dans sa douleur. Elle lui raconte comme Tircis et Philène ne sont point morts, et lui montre six Bateliers qui les ont sauvés ; * [en marge droite : * Joüan Beauchamp, Chicanneau, Favier, Noblet, Mayeu.] il ne veut point s’arrêter à les voir, et les Bateliers ravis de la récompense qu’ils ont reçue, dansent avec leurs crocs et se jouent ensemble, après quoi commence

LE TROISIÈME ACTE DE LA COMÉDIE
qui se récite.

Qui est le comble des douleurs du Paysan marié : Enfin un de ses amis lui conseille de noyer dans le vin toutes ses inquiétudes, et part avec lui pour joindre sa troupe, voyant venir toute la foule des Bergers amoureux, qui à la manière des anciens Bergers, commencent à célébrer par des chants et des danses le pouvoir de l’Amour.

CLORIS.
Ici l’ombre des ormeaux
Donne un teint frais aux herbettes,
Et les bords de ces Ruisseaux
Brillent de mille fleurettes
Qui se mirent dans les eaux.
Prenez, Bergers, vos musettes
Ajustez vos chalumeaux,
Et mêlons nos chansonnettes
Aux chants des petits oiseaux.
+++

Le Zéphire entre ces eaux
Fait mille courses secrètes,
Et les Rossignols nouveaux
De leurs douces amourettes
Prenez, Bergers, vos musettes,
Ajustez vos chalumeaux,
Et mêlons nos chansonnettes
Aux chants des petits oiseaux.

Plusieurs Bergers et Bergères galantes * [en marge gauche : *Bergers. Chicanneau, S. André, la Pierre, Favier. Bergères. Bonard, Arnald, Noblet, Foignart.] mêlent aussi leurs pas à tout ceci, et occupent les yeux tandis que la Musique occupe les oreilles.

CLIMÈNE.
Ah ! qu’il est doux, belle Sylvie,
Ah ! qu’il est doux de s’enflammer ;
Il faut retrancher de la vie
Ce qu’on en passe sans aimer.

Cloris.
Ah ! les beaux jours qu’Amour nous donne
Lorsque sa flamme unit les cœurs ;
Est-il ni gloire ni Couronne
Qui vaille ses moindres douceurs ?

Tircis.
Qu’avec peu de raison on se plaint d’un martyre
Que suivent de si doux plaisirs.

Philène.
Un moment de bonheur dans l’amoureux Empire
Répare dix ans de soupirs.

Tous ensemble.
Chantons tous de l’Amour le pouvoir adorable,
Chantons tous dans ces lieux
Ses attraits glorieux ;
Il est le plus aimable
Et le plus grand des Dieux.

À ces mots toute la Troupe de Bacchus arrive, et l’un d’eux s’avançant à la tête * [en marge droite : * d’Estival.] chante fièrement ces paroles.

Arrêtez, c’est trop entreprendre,
Un autre Dieu dont nous suivons les lois
S’oppose à cet honneur qu’à l’Amour osent rendre
Vos musettes et vos voix :
À des titres si beaux, Bacchus seul peut prétendre,
Et nous sommes ici pour défendre ses droits.

Chœur de Bacchus.
Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable,
Nous suivons en tous lieux
Ses attraits glorieux,
Il est le plus aimable,
Et le plus grand des Dieux.

Plusieurs du parti de Bacchus mêlent aussi leurs pas à la Musique * [en marge gauche :* Suivants de Bacchus dansant. Beauchamp, Dolivet, Chicanneau, Mayeu. Bacchantes. Paysan, Mançeau, le Roi, Pesan.] et l’on voit ici un combat de danseurs contre danseurs, et de chantres contre chantres.

Cloris.
C’est le Printemps qui rend l’âme
À nos champs semés de fleurs ;
Mais c’est l’Amour et sa flamme
Qui font revivre nos cœurs.

Un suivant de Bacchus. * [en marge gauche : * Gingan.]
Le Soleil chasse les ombres
Dont le Ciel est obscurci,
Et des âmes les plus sombres
Bacchus chasse le souci.

Chœur de Bacchus.
Bacchus est révéré sur la terre et sur l’onde.

Chœur de l’Amour.
Et l’Amour est un Dieu qu’on adore en tous lieux.

Chœur de Bacchus.
Bacchus à son pouvoir a soumis tout le monde.

Chœur de l’Amour.
Et l’Amour a dompté les Hommes et les Dieux.

Chœur de Bacchus.
Rien peut-il égaler sa douceur sans seconde ?

Chœur de l’Amour.
Rien peut-il égaler ses charmes précieux ?

Chœur de Bacchus.
Fi de l’Amour et de ses feux.

Le parti de l’Amour.
Ah ! quel plaisir d’aimer.

Le parti de Bacchus.
Ah ! quel plaisir de boire.

Le parti de l’Amour.
À qui vit sans amour, la vie est sans appâts.

Le parti de Bacchus.
C’est mourir que de vivre, et de ne boire pas.

Le parti de l’Amour.
Aimables fers,

Le parti de Bacchus.
Douce victoire.

Le parti de l’Amour.
Ah ! quel plaisir d’aimer.

Le parti de Bacchus.
Ah ! quel plaisir de boire.

Les deux partis.
Non, non c’est un abus,
Le plus grand Dieu de tous.

Le parti de l'Amour.
C'est l'Amour.

Le parti de Bacchus.
C’est Bacchus.

Un Berger se jette au milieu de cette dispute * [en marge gauche : * Le Gros.] et chante ces Vers aux deux partis.
C’est trop, c’est trop, Bergers, hé pourquoi ces débats ?
Souffrons qu’en un parti la raison nous assemble,
L’Amour a des douceurs, Bacchus a des appâts,
Ce sont deux Déités qui sont fort bien ensemble.
Ne les séparons pas.

Les deux Chœurs ensemble.
Mêlons donc leurs douceurs aimables,
Mêlons nos voix dans ces lieux agréables,
Et faisons répéter aux Échos d’alentour
Qu’il n’est rien de plus doux que Bacchus et l’Amour.

Tous les danseurs se mêlent ensemble à l’exemple des autres, et avec cette pleine réjouissance de tous les Bergers et Bergères finira le divertissement de la Comédie d’où l’on passera aux autres merveilles, dont vous aurez la Relation.

BERGERS.
Chœurs d’Amour.
Hebert. Huguenet.
Beaumont. La Caisse Cadet.
Boni. La Fontaine.
Pernon le Cadet. Charlot.
Rebel. Martinot Père.
Gingan le Cadet. Martinot fils.
Longueil. Le Roux, laisné.
Cottereau. Le Roux Cadet.
Jeannot Guenin. } Pages.
Laigu Le Grais.
Piesche Père. Brouard.
Piesche fils. Roullé.
Destouche. Magny.
La Caisse Cadet. Chevallier.
Marchand.

SATYRES.
Chœurs de Bacchus.

Hedouin. Chauderon.
Dom. Favier.
Fernon Laisné. Bruslard.
Deschamps. Balus.
Orat. Des-Matins.
David. Feugré.
Monier. Du Pain.
Serignan. L’Espine.
Sanson. Camille.
Oudot. Bernard.
Simon. Bruslard.
Thiery. } Pages. Desnoyers.
Truslon S. Père.
Augé. Varin.
Jean. Mercier.
Louis. } Chevalier.
Nicolas.} Hottere. Joubert.
Martin.} La Place.
Dumanoir. Fossart.
Mazuel. Lique.

FIN.




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