Content-Type: text/html; charset=UTF-8

Il faudra de l'argent


"Mais pour plaider, il vous faudra de l'argent. Il vous en faudra pour l'exploit; il vous en faudra pour le contrôle. Il vous en faudra pour la procuration, pour la présentation, conseils, productions, et journées du procureur. Il vous en faudra pour les consultations et plaidoiries des avocats; pour le droit de retirer le sac, et pour les grosses d'écritures. Il vous en faudra pour le rapport des substituts; pour les épices de conclusion; pour l'enregistrement du greffier, façon d'appointement, sentences et arrêts, contrôles, signatures, et expéditions de leurs clercs, sans parler de tous les présents qu'il vous faudra faire."
Les Fourberies de Scapin, II, 5

La complexité et les abus du décompte des frais de justice avaient fait le sujet d'un long passage parodique dans le Roman bourgeois (1666) de Furetière (1), qui se fondait sur une longue tradition représentée entre autres par un dialogue de Tabarin (2).

L'âpreté au gain des gens de justice, ainsi que leur propension à utiliser des termes inconnus des honnêtes gens avaient auparavant fait l'objet de la satire IV du même Furetière, "Le déjeuner d'un procureur" (Poésies diverses, 1655).


(1)
– C'est une triste occupation d'avoir toujours la vue sur des papiers dont le style est si dégoûtant, et de n'acquérir du bien qu'il ne vienne de la ruine et du sang des misérables. – A leur dam, interrompit Collantine ; pourquoi plaident-ils ces misérables, s'ils ne sont pas bien fondés ? – Fondés ou non, ajouta Charroselles, les uns et les autres se ruinent également [...] J'ai ouï dire ce matin à un de mes amis qu'il n'avait jamais eu qu'un procès, qu'il avait gagné, avec dépens et amende, mais qu'il s'est trouvé à la fin que s'il eût abandonné dès le commencement la dette pour laquelle il plaidait, il aurait gagné beaucoup davantage. – Mais comment cela se peut-il faire , lui dit Collantine ? – Voici comme il me l'a confié, y répondit Charroselles. 11 lui était dû cent pistoles, par un mauvais paveur, propriétaire d'une maison qui valait bien environ quatre mille francs. Il a mis son obligation entre les mains d'un procureur, qui ayant un antagoniste aussi affamé que lui, a si bien contesté fur l'obligation et sur les procédures du décret de cette maison, qu'il a obtenu jusqu'à sept arrêts contre la partie, tous avec amende et dépens. Or par l'événement, les dépens ayant été taxés à deux mille cinq cens livres, et la maison étant adjugée à deux mille livres seulement, au beau-frère de son procureur ; il lui a coûté de son argent cinq cents livres, outre la perte de sa dette. Mais il m'a juré que son plus grand regret était de l'argent qu'il lui avait fallu tirer, pour le paiement de toutes les amendes à quoi sa partie avait été condamnée, faute duquel on ne lui voulait pas délivrer ses arrêts. [...] La même personne se plaignait encore amèrement sur la déclaration de ces dépens. Il m'a fait voir que pour un même acte, il y avait sept ou huit articles séparés. Par exemple, pour le conseil, pour le mémoire, pour l'assignation, pour la copie, pour la présentation, pour la journée, pour le parisis, pour le quart en sus, et le reste ; à peu près comme à la Comédie italienne, où Scaramouche hôtelier compte à son hôte, pour le chapon, pour celui qui l'a nourri, pour celui qui l'a lardé, pour celui qui l'a châtré, pour le bois, pour le feu, pour la broche, etc. – Vraiment, dit alors Collantine, il faut bien le faire ainsi puisque c'est un ancien usage. A la vérité, c'est là où Messieurs les procureurs trouvent mieux leur compte ; car pour faire cette taxe, on compte les articles ; et tel de ces articles qui n'est que de dix deniers coûte quelquefois huit sous à taxer, comme en frais extraordinaires de criées ; sans compter les rôles de la déclaration, qui par ce moyen s'amplifient merveilleusement ; ainsi disent-ils que c'est la pièce la plus lucrative de leur métier. Mais je vous avouerai, ajoutait-elle, que j'y trouve une chose qui me choque fort. C'est qu'on y taxe de grands droits aux procureurs, pour les choses qu'ils ne font point du tout, comme les consultations et les révisions d'écritures ; et on leur en taxe de très petits, pour celles qu'ils font effectivement, comme les comparutions aux audiences pour obtenir les arrêts ; c'est un point qu'il sera très important de corriger, quand on fera la réformation des abus de la justice. – Après cela, continua Charrosselles [...] n'avouerez-vous pas que c'est un méchant métier que de plaider, puisqu'on est exposé à souffrir ces mangeries ?
(Livre second)

(2)

TABARIN : Devinez, selon votre jugement, qui sont ceux qui me semblent les plus sanguins.

LE MAÎTRE : Qui sont-ils, Tabarin?

TABARIN : Ce sont les juges, les procureurs et les avocats, car ils ne vivent que d'épices ; par ma foi, ils sont friands : pour un procès de cent écus, ils lui feront une sauce où ils mettront pour deux cents écus d'épices et d'ingrédients.
(éd. des Oeuvres de 1858, p. 251)




Sommaire | Index | Accès rédacteurs