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Vous rend chez vous barbare


"Cette farouche humeur, dont la sévérité
Fuit toutes les douceurs de la société,
A tous vos procédés inspire un air bizarre
Et, jusques à l'habit, vous rend chez vous barbare"
L'Ecole des maris, I, 1, v. 13-16.

Après que M. de Sorbière, dans une conversation rapportée dans sa correspondance (1), a parlé de Paris comme d'une ville "barbare", le terme « barbare » - et la notion de "barbarie"- font l'objet d'un débat dans le "Premier discours" des Mémoires (1656-1657) de Michel de Marolles, intitulé “S’il faut ajouter foi aux raisons de ceux qui appellent Paris et les Français barbares” (2).

En jeu, la nature de la civilité, au sujet de laquelle s'opposent deux conceptions, l'une du côté du raffinement, l'autre, au contraire, du côté de l'authenticité.

L'écho de ce débat se fait entendre également dans la réponse de Sganarelle: "Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir".


(1)

De la beauté de Paris, et de ce qu’il y a d’incommode.

Je ne sais […] comment il m’arriva de contester avec lui [l’abbé de Villeloin], ni comment il m’échappa de prononcer innocemment ce que même j’avais pensé dire à la louange de Paris, Qu’elle me semblait la plus belle et la plus charmante de toutes les villes barbares. Cet Eloge parut un mépris, et fut reçu contre mon intention, comme une injure que je lui faisais. […]
("Discours sceptique à Monsieur de Martel", Lettre du 28 sept. 1656 dans Lettres et discours de M. de Sorbière sur diverses matières curieuses, Paris, 1660, p. 574)

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(2)

Un certain Aléthophile ayant expliqué pourquoi Paris lui semblait « la plus belle et la plus charmante de toutes les villes barbares » ("Discours sceptique" à Philotime, p. 53), Marolles s'attache à réfuter son argumentation. Ainsi, à propos du "désordre" qui règne à Paris :

[D]ans les grandes villes comme Paris où le peuple est si nombreux, l’ordre en certaines choses s’y met plus malaisément qu’ailleurs […] De sorte que s’il y a quelque chose à désirer en cela, on n’en doit point tant attribuer le blâme au naturel de la Nation qu’au peu de souci qu’en prennent les Seigneurs, qui d’ailleurs voudraient contenter tout le monde et ne désobliger personne : ce qui est beaucoup moins une marque de Barbarie, que de quelque sorte de civilité, quoi qu’elle ne soit pas toujours la plus commode du monde.
(Mémoires, Paris, Sommaville, 1657, t. II, p. 8-9)

Marolles s’en prend à l'opposition qu'avait établie Aléthophile entre le luxe et la barbarie. L'éclat excessif est, selon lui, tout aussi "barbare":

Quant aux meubles somptueux, nous pouvons dire que ceux qui sont devenus riches en France en fort peu de temps par l’incommodité de tout le reste, à cause des misères que la guerre porte en tant de lieux n’ont en cela que trop imité nos voisins, qui ont pris le luxe des siècles et des Nations Barbares.
Barbarico postes auro, spoliisque superbi
Procubuere.
Car, quoi qu’il en soit, cet or est appelé corrupteur.[…] Et les Anciens, qui n’avaient pas le sens mauvais, en détestant l’avarice, donnaient aux Richesses le nom de Barbares.
Barbarica ingeniis anteferantur opes.
(Ibid., p. 12-13)

De même qu'Ariste reproche à Sganarelle sa "farouche humeur" et sa "sévérité" (v. 13), Aléthophile se moquait du peu de raffinement dans lequel vivent les Français, en comparaison avec les Italiens. Selon Marolles, en revanche, la véritable élégance est dans l'austérité :

Il ne faut donc pas conclure des meubles sompteux […] ni de ce luxe fameux dont les Riches peuvent seulement jouir que les Nations qui s’y appliquent davantage soient plus polies ou plus civiles que celles qui s’en soucient le moins, ou bien il faudrait condamner toute la modestie des philosophes qui se pouvaient si aisément passer de tant de choses superflues : Et la vertu de ces illustres Romains, qui du char de triomphe s’en retournaient à la charrue, aurait bien perdu son crédit, si son austérité méritait le nom de Barbare.
( Ibid., p. 13-14)




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