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Vous passerez les six-vingts
- "Vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes; et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.- Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés. - Hé bien, qu'est-ce que cela, soixante ans? Voilà bien de quoi! C'est la fleur de l'âge cela; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme. - Il est vrai; mais vingt années de moins pourtant ne me feraient point de mal, que je crois. - Vous moquez-vous? Vous n'avez pas besoin de cela; et vous êtes d'une pâte à vivre jusques à cent ans.- Tu le crois? - Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Ô que voilà bien là entre vos deux yeux un signe de longue vie! - Tu te connais à cela? - Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah mon Dieu! quelle ligne de vie! - Comment? - Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là? - Hé bien, qu'est-ce que cela veut dire? - Par ma foi, je disais cent ans, mais vous passerez les six-vingts."
- L'Avare, II, 5
Un jeu de scène semblable peut être relevé à la scène 4 de l'acte I du Riche mécontent, ou le noble imaginaire (1662) de Chappuzeau. La formule "vous êtes d'une pâte à vivre jusques à cent ans" figure également dans cette scène. (1)
Des passages similaires se trouvent également
- à la scène 2 de l'acte I de la comédie érudite des Suppositi (1509) de l'Arioste ainsi que dans sa traduction française de 1552 (2) (voir également "en lettres d'or").
- à la scène 4 de l'acte I de la Mère coquette (1664) de Quinault (3)
(1)
- CRISPIN
- C'est une bonne pièce,
- Je sais qu'elle voudrait avoir déjà mari.
- LISETE
- Mais gardez-vous de pis que du charivari;
- Elle est belle, elle est jeune, et vous avez de l'âge.
- C'est assez pour tout craindre.
- GERONTE
- Ajoute qu'elle est sage.
- LISETE
- [...]
- Combien sans déguiser contez-vous bien d'années?
- GERONTE
- J'en ai près de soixante.
- LISETE
- Et douze par de là;
- Pourquoi vous flatterais-je?
- GERONTE
- Et qu'importe cela?
- J'ai le corps vigoureux, et la santé très bonne,
- Et puis encore user une jeune personne.
- Voudrais-tu que je prisse une vieille hou-hou?
- LISETE
- Quand j'y pense, à votre âge, il faut être un peu fou.
- CRISPIN
- Non, ne le croyez pas, vous êtes bon et sage.
- Polixène vous plaît, pressez ce mariage.
- Craindrait-elle avec vous d'avoir si mauvais temps?
- Vous êtes d'une pâte à vivre encore cent ans.
- Je répondrai pour vous; les gens de votre trempe,
- Quand il faut s'éveiller ont rarement la crampe.
- [...]
- (Paris, J. Ribou, 1662)
(2)
- PASIFILIO
- [...] non sete voi giovene?
- CLEANDRO
- Son ne cinquanta anni.
- PASIFILIO
- Piu di dodici. Dice di manco
- CLEANDRO
- Che di manco dodici. Di tu?
- PASIFILIO
- Che vi estimavo piu di dodici anni di manco. Non mostrate a l'aria passar trentasette anni.
- CLEANDRO
- Sono al termine pur ch'io ti dico.
- PASIFILIO
- La vostra habitudine e tal che voi passerete il centesimo. Mostratemi la man.
- CLEANDRO
- Sei tu Pasifilio buon chiromante?
- PASIFILIO
- Io ci ho pur qualche pratica, [deh] lasciatemi un povedervela.
- CLEANDRO
- Eccola.
- PASIFILIO
- O che bella, che lunga, e netta linea.
- Non vidi mai la maglior, oltra il termine vi veggo di Melchisedech aggiungere.
- (éd. versifiée de 1551, p. 6-7)
traduction française de 1552 :
- PASIFILIO
- [...] vous êtes (peut-être) vieux.
- CLEANDRO
- Je suis dedans les cinquante-six ans
- PASIFILIO
- Il en laisse dix pour le moins.
- CLEANDRO
- Que dis-tu, dix ans moins?
- PASIFILIO
- Je dis que je vous estimais âgé de dix ans moins. Vous ne montrez point passer trente-six ou trente-huit au plus.
- CLEANDRO
- Si suis-je toutefois au terme que je te dis
- PASIFILIO
- Vous êtes en très bon âge, et à vous voir l'on jugerait que vous vivrez du moins cent ans. Montrez-moi votre main.
- CLEANDRO
- Es-tu chiromancien?
- PASIFILIO
- Mais qui est-ce qui en fait meilleure profession que moi?
- Montrez-la-moi, de grâce. O quelle belle ligne et nette, je n'en vis jamais de si longue, vous vivrez plus que Melchisedech.
- (La Comedie des Supposez de M. Louis Arioste, en italien et en français par J. P. de Mesmes, 1552.)
(3)
- CREMANTE
- Eh! l'on n'est pas si vieux encore à soixante ans.
- LE MARQUIS
- Non da, vous êtes sain.
- CREMANTE
- Oui, je le suis, sans doute,
- Hors quelques petits maux, comme atteinte de goutte,
- catarrhes, rhumatisme.
- LE MARQUIS
- Ah! tout cela n'est rien.
- CREMANTE
- Enfin, à cela près, je me porte assez bien,
- Tout vieux que je parais, l'âge encore me laisse
- Des restes de chaleur, des regains de jeunesse;
- Mon poil blanc couvre encore un sang subtil et
- chaud,
- Tel qu'au temps...
- [...]
- (IV, 1, Oeuvres, 1715, t. III, p. 160-161.)
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