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Vous n'êtes point crevé de toutes les médecines


"Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien composé; c'est qu'avec tous les soins que vous avez pris, vous n'avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n'êtes point crevé de toutes les médecines qu'on vous a fait prendre."
Le Malade imaginaire, III, 3

La même idée était formulée dans l'essai II, 37 ("De la ressemblance des enfants aux pères") de Montaigne :

[...]de ce que j'ai de connaissance, je ne vois nulle race de gens si tôt malade et si tard guérie, que celle qui est sous la jurisdiction de la médecine. Leur santé même est alterée et corrompue, par la contrainte des régimes. Les médecins ne se contentent point d'avoir la maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu'on ne puisse en aucune saison échapper leur autorité.
(éd. C. Journel, Paris, 1659, p. 787.)

On la retrouve dans l'Abrégé de la philosophie de Gassendi (1678) de Bernier :

Nous en voyons plusieurs qui, de crainte d'être malades, le deviennent, et dont la maladie, au lieu d'être adoucie et allégée par les remèdes, est irritée et prolongée ou rendue quelquefois incurable, comme il n'arrive que trop souvent par ces sortes de petites, précipitées et trop fréquentes saignées parisiennes, qui tuèrent notre grand Gassendi et qui font principalement à Paris tous ces visages pâles qu'on ne voit point ailleurs ; et même par ces fréquents bouillons de viande qu'on fait avaler à un pauvre malade, qui ayant le feu et la pourriture dans les entrailles, n'a presque pas besoin de nourriture, mais seulement dequelque espèce de tisane rafraichissante plus ou moins épaisse selon le besoin à la manière d'Hippocrate, et le plus souvent de simple diète, de patience, et de repos, soit du corps, soit de l'esprit.
(éd. de Lyon, Anisson et Posuel, 1678, t. VII, p. 748) (1)

Les mêmes idées seront énoncées dans les Mémoires de d'Arvieux (1635-1702), publiés en 1730) :

Maladie de l'Auteur et sa guérison
Ce rhume dégénéra en fluxions de poitrine, qui emportèrent presque autant de monde qu'une peste.
J'en fus malade à l'extrémité, et je crois que j'en serais mort, si j'avais suivi les ordres des Médecins. Ils défendaient absolument l'eau-de-vie, de quelque manière qu'on la prît. J'en pris pourtant après l'avoir fait brûler, et y avoir mis beaucoup de sucre. Cette liqueur que je n'ai jamais aimée, fit sur moi un effet admirable ; elle cuisit les flegmes dont ma poitrine était embarrassée, elle me donna des forces pour les expulser, et contre les vœux des Médecins, je fus sur pied en peu de jours, et j'assistai aux enterrements d'un grand nombre de ceux qui avaient été assez fols pour se livrer à leur discrétion.
(t. I, p. 145)

Mais dans le mois de Juillet nous commençâmes à éprouver la malignité de l'air du Pays. Presque tous les Français tombèrent malades de fièvres malignes ; il en mourrait tous les jours. L'ignorance des Médecins et des Apothicaires, y contribuait pour le moins autant que le mal. Ils apprenaient leur métier, en faisant des expériences sur ceux qui étaient assez simples pour se livrer à leur indiscrétion, ou qui voulaient mourir dans les formes. La fièvre m'attaqua des premiers et je l'eus continue pendant quinze jours ; après quoi elle se changea en double tierce, et je la gardai jusqu'au mois de Septembre. Mon heure n'était pas encore venue, mon bon tempérament me sauva, et je ne voulus jamais ni Médecin ni remède. Je me traitai à ma fantaisie, et je m'en trouvai bien. Mon Valet ne fut pas si heureux, il tomba malade, et malgré tout ce que je lui pus dire, il s'abandonna aux Médecins, qui lui donnèrent son passeport, et l'envoyèrent tenir compagnie à ceux qu'ils avaient déjà expédiés.
(Ibid., p. 292)


(1) source : R. Jasinski, "Molière et la médecine", Mélanges de philologie, d'histoire et de littérature offerts à Joseph Vianey, Paris, Presses Françaises, 1934, p. 252




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