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Votre complaisance


"Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux ;
Et sa douceur offerte à qui vous rend les armes,
Achève, sur les cœurs, l'ouvrage de vos charmes.
Le trop riant espoir que vous leur présentez,
Attache, autour de vous, leurs assiduités ;
Et votre complaisance, un peu moins étendue,
De tant de soupirants chasserait la cohue."
Le Misanthrope, II, 1, v. 468-474

Au tome III (1657) de la Clélie des Scudéry, la notion de complaisance faisait l'objet d'un long développement (1).

Le comportement qu'Alceste reproche à Célimène correspond plus généralement aux caractéristiques de la coquetterie, dont de nombreux textes de la littérature mondaine proposent une description.

Il était déjà développé dans le roman du premier tiers du XVIIe siècle. Ainsi dans La Chrysolite ou le Secret des romans (1627) de Mareschal (8).

A la scène III, 4, Arsinoé formulera à Célimène un reproche similaire ("on n'acquiert point leurs coeurs sans de grandes avances").

Dans Georges Dandin, Georges Dandin fera à Angélique un reproche similaire : "les galants n'obsèdent jamais que quand on le veut bien".


(1)

- Il est vrai, reprit Amilcar, et j'avoue même qu'il faut qu'une femme le soit [complaisante] ; mais la difficulté est de savoir comment il le faut être, et quelles sont les véritables bornes que la complaisance doit avoir. Car comme la libéralité, cette vertu héroïque, qui fait plus ressembler les hommes aux dieux, que toutes les autres, devient prodigalité quand elle est excessive et peu judicieuse, de même la complaisance qui est une vertu paisible, et agréable, fort nécessaire à la société, et fort digne d'être estimée, devient un vice quand elle n'a point de bornes. Et à parler véritablement, il n'est pas de cette vertu comme des autres ; car il n'y a que d'une sorte de justice, il n'y a que d'une sorte de générosité, et de sagesse ; mais il y a cent sortes de complaisances, dont la plus grande partie ne vaut rien. [...]
- Je crois que vous feriez un grand plaisir à la compagnie, si vous vouliez la bien instruire sur une chose si importante. Lire la suite
(Clélie, III, 2, p. 729-731)

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(2)

Car vous saurez qu’Alcidamie est une personne de qui l’égalité d’humeur fait désespérer ceux qui la servent : elle a une certaine civilité sans choix, comme si elle ne faisait nul discernement des gens qui la visitent, quoique ce soit le plus délicat esprit du monde. Mais elle s’est mis dans la fantaisie qu’il faut tout gagner et tout acquérir par cette innocente voie, de sorte que, par conséquent, elle est et douce et civile pour tous ceux qui l’approchent et, sans être coquette, l’on ne peut pas avoir une complaisance plus universelle que celle qu’elle a.
("Histoire de l'amant jaloux", Le Grand Cyrus, III, 1, p. 1661)

Enfin, j’en vins aux termes que j’eusse voulu qu’Alcidamie n’eût vu personne. Je la suivais en tous lieux ou la faisais suivre. J’étais toujours chagrin et toujours rêveur, car, encore qu’Alcidamie eût eu la bonté de me donner quelque espérance, elle ne laissait pas de conserver l’égalité de son humeur pour tout le monde et d’avoir une civilité universelle qui me faisait désespérer et qui faisait aussi que je la persécutais étrangement. En effet, il m’était absolument impossible de ne lui donner pas éternellement des marques de mes soupçons, quand même je n’en avais pas le dessein. Si elle eût eu l’indulgence de m’en vouloir guérir, peut-être l’aurait-elle fait mais, comme au contraire ma jalousie l’irrita, elle fit tout ce qu’il fallait faire pour la rendre incurable. C’est-à-dire qu’elle ne se priva pas un moment de la conversation de pas un de mes rivaux, qu’elle ne perdit jamais nulle occasion de promenade ni de divertissement, et qu’elle vécut enfin comme bon lui sembla et comme si je n’eusse point été jaloux.
(Ibid., p. 1680)

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(3)

Car enfin, lui disait Cléonice, un jour qu'elles étaient seules, vous ne me ferez point croire que cette multitude d'amants qui vous suivent, et qui vous obsèdent éternellement, et aux temples, et dans les rues, et aux promenades, et aux maisons où vous allez, vous suivent sans espérer ; et vous ne me ferez pas croire non plus qu'ils pussent tous espérer, si vous n'y contribuiez rien. Car, à vous parler sincèrement, je vois des gens si mal faits parmi vos adorateurs, que je ne pense pas qu'ils pussent jamais se flatter assez pour pouvoir concevoir de l'espérance, si vous ne les flattiez vous-même, et si vous ne la faisiez naître dans le fond de leur coeur. - J'avoue franchement, lui dit Artelinde en riant, que je fais tout ce que vous dites ; et j'avoue de plus, qu'un de mes plus grands plaisirs est de tromper l'esprit de ces gens-là par des bagatelles, qui leur donnent lieu de croire qu'on ne les hait pas.
(Ibid., IV, 3, p. 2496)

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(4)

Cette personne qui ne fut jamais capable d'amour, et qui ne le sera de sa vie, est la plus grande coquette d'amitié qui soit au monde, s'il est permis de parler ainsi, car elle a des amis de toute espèce ; et ce qu'il y a de rare, c'est qu'elle en acquiert tous les jours sans en perdre, et qu'elle ménage si bien tous les secrets qu'on lui confie qu'elle ne nuit jamais à personne, et qu'elle sert autant qu'elle peut tous ceux à qui elle a promis quelque place en son amitié. Mais elle a pourtant cela de particulier (comme je l'ai déja dit au commencement de mon discours) qu'il y a des bornes dans son coeur, au-delà desquelles personne ne saurait aller ; car on est aussi bien auprès d'elle en trois mois qu'on y peut être en trois ans.
(Ibid., X, 3, p. 7246-7247)

Quoique Dorinice témoignât être plus aise que je lui parlasse, que le reste de ses amis, je ne m'apercevais pas que ma conversation l'attachât assez ; car, s'il venait quelqu'un d'eux qui eût quelque chose à lui dire en particulier, elle me quittait sans peine pour l'entretenir, et me quittait sans en avoir un grand chagrin. Elle faisait même diverses parties de plaisir, dont je n'étais pas, sans en avoir nulle inquiétude ; elle ne me disait jamais rien de ce que les autres gens qu'elle aimait lui disaient ; et tout le privilège que le rang de son premier ami me donnait, était qu'elle se contraignait quelquefois moins pour moi, et qu'elle gardait moins de mesure avec moi qu'avec beaucoup d'autres. En effet, elle avait deux ou trois de ces amis d'enjouement, avec qui elle vivait d'une manière plus galante, et plus enjouée ; si bien que comme cela avait plus de rapport avec la passion que j'avais dans l'âme, je portais quelque fois envie à ces gens-là, quoique je susse de certitude que Dorinice m'aimait plus qu'eux.
(Ibid., p. 7272-7273)

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(5)

Section XXV. De la complaisance envers ceux qui ont de bonnes qualités.
Je n’entends pas néanmoins que vous preniez devant eux une humeur trop enjouée, ni qu’il semble que vous vouliez divertir leur mauvaise humeur, car c’est un autre écueil que vous devez éviter avec autant de soin.
J’ai quelque fois observé des femmes, à qui certainement la vertu est précieuse, avoir de petites complaisances de bonté pour des hommes qui les visitaient assez souvent, et qui même leur avaient découvert des secrets de leur cœur qu’elles n’avaient pas besoin de connaître ; elles les regardaient avec des yeux assez doux pour faire soupçonner le cœur d’être un peu tendre, elles les entretenaient agréablement, elles n’avaient pour eux que des paroles d’estime, elles se plaisaient à les flatter de mille douceurs, elles faisaient valoir toutes leurs bonnes qualités, elles les engageaient à réciter des vers, s’ils avaient pris plaisir d’en apprendre, à conter des histoires, s’ils avaient lu, à chanter s’ils avaient la voix belle, et même à danser s’ils y étaient excellents ; elles y mêlaient des actions qui n’avaient rien de blâmable, et qui pouvaient néanmoins être considérées comme quelques faveurs, elles les accompagnaient de jeux, de libertés et de façons d’agir ou de parler assez galantes, quoique toujours dans une retenue sans reproche ; je vous avoue que cela n’était pas approuvé. Cette conduite fait croire qu’un homme plaît ; et entre plaire et se faire aimer, il n’y a pas un grand trajet ; c’est réveiller son espérance, réchauffer ses désirs et ranimer sa témérité.
(Conseils d'Ariste à Célimène, 1666, p. 171-173)

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(6)

Savoir si c’est par la faute d’une femme qu’un amant s’opiniâtre à l’aimer, et s’il dépend par là de s’en défaire.
La femme Iris la plus sévère
Ne saurait jamais si bien faire,
Que quand il plaît à quelqu’amant,
Il ne lui parle tendrement :
Mais si cet amant persévère,
Elle y donne consentement.
(Recueil contenant les maximes et lois d’amour, Rouen, Jean Lucas, 1666, éd. dans le Recueil contenant un dialogue du mérite et de la fortune, Les Maximes et lois d’amour, Plusieurs lettres, billets doux et poésies, Rouen, Jean Lucas, 1667, p. 87)

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(7)

Quelquefois on a du bien en des lieux si proches du grand chemin qu'il est bien difficile de le descendre. Le public le partage avec le propriétaire et souvent en prend la meilleure part. Pardonnez-moi, Madame, si je crois que votre amitié est un bien de cette nature. Je me trouve traversé de tant de monde, quand je veux aller en recueillir les fruits que je ne saurais m'empêcher de pester contre cette humeur complaisante, qui vous fait paraître trop universellement aimable.
(R. Le Pays, Nouvelles oeuvres, éd. A. de Bersaucourt, Paris, Bossard, 1925, p. 64)

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(8)

Il est bien vrai qu'elle n'aimait que Clytiman, mais ce n'était pas un empire, à son avis, de n'avoir sous soi qu'un sujet ; sa vanité s'étendait à vouloir captiver tous ceux qui la fréquentaient, et les conserver sans savoir à quoi ; seulement elle trouvait en chacun quelque chose de particulier qui lui agréait, et qu'elle estimait sans préjudice de ses affections pour Clytiman. Et certes cette humeur était bien dangereuse en un esprit assez ouvert pour être à la fin inconstant ; aussi c'est ce qui travaillait grandement Clytiman, qui avait plus de sujet d'être jaloux d'elle qu'elle n'en avait de l'être de lui .
(La Chrysolite ou le Secret des romans, 1627, p. 57-58)

De tout ceci l'humeur de Chrysolite était le fondement ; il fallait l'aimer ou n' avoir point d' yeux, et l'aimant en avoir encore moins, pour ne voir que ce qu'elle permettait ; et quoi qu'elle se permît toute chose, et qu'elle n' aimât personne que sous la liberté d' être aimée d' un autre, et de l'aimer s' il lui plaisait ; il fallait avoir les yeux clos à ses déportements, et renoncer pour elle à tous les sens, aussi bien qu'à la liberté. Ce n' est pas que Clytiman ne s'offensât mille fois de cette humeur ; mais il en était quitte pour se plaindre et se fâcher ; il n' en avait point d' autre satisfaction, et il s' était déjà accoutumé à celle-là, mais plutôt à n' en avoir point, de crainte d' en demander trop souvent. D'autant plus qu'il souffrait l'humeur de Chrysolite, Chrysolite lui en donnait plus à souffrir : elle entretenait tout le monde, quoy qu' elle n' eût dessein que pour Clytiman, tous les autres nourrissaient son humeur, sa vanité, et son esprit ; celui-ci seul touchait son cœur, mais il n' avait pas cette victoire à peu de travail et de souci. Chaque jour elle lui donnait de nouveaux sujets de soupçon, et le plus souvent lui même aidait à se travailler, et se figurait encore plus de mal qu' elle n' en faisait, s' imaginant des choses qui n' avaient rien de réel, qu'au tourment qu'il en ressentait.
(Ibid., p. 105-107)

comme toute son étude était de se faire aimer et posséder le cœur de tous ceux qui la voyaient, pour-ce qu'elle se plaisait à cela, elle ne pouvait que leur plaire grandement ; chacun d' eux avait son ordre, son temps et sa mesure en ses caresses, et elle ne leur en manquait jamais. Qui n'admirerait cette mignardise dont elle se servait d' ordinaire pour les retenir ?
(Ibid., p. 117)




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