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Voilà comme il faut faire


"Tu serais peut-être jaloux comme notre maître. - Point. [...] - C'est la plus sotte chose du monde que de se défier d'une femme, et de la tourmenter. La vérité de l'affaire est qu'on n'y gagne rien de bon. Cela nous fait songer à mal, et ce sont souvent les maris qui avec leurs vacarmes se font eux-mêmes ce qu'ils sont.- Hé bien, je te donnerai la liberté de faire tout ce qu'il te plaira.- Voilà comme il faut faire pour n'être point trompé. Lorsqu'un mari se met à notre discrétion, nous ne prenons de liberté que ce qu'il nous en faut, et il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse et nous disent, prenez. Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison. Mais ceux qui nous chicanent, nous nous efforçons de les tondre, et nous ne les épargnons point."
Georges Dandin, II, 1

Un échange semblable agrémentait une scène


(1)

CLEMENCE
Comment, serais-tu bien atteint de jalousie ?
Si je te croyais pris de cette fantaisie,
L'hymen où tu prétends n'irait jamais à bout.

RAGOTIN :
Ne te fâche point, je me résous à tout. [...]
Car contraindre ton sexe est vouloir être fou,
Je t'aime en un point, Clémence ma mignonne,
Si tu me fais cocu, que je te le pardonne.
Tu vois bien que je suis assez accommodant.

CLEMENCE
Voilà comme il faut être afin d'en être exempt,
Un mari nous donnant liberté tout entière,
Nous en usons alors de la belle manière.
Je sais bien que la fille aime à se réjouir,
Que de voir le beau monde, elle prétend jouir.
Et que quand on la veut priver d'un bien semblable,
Est-elle avant un ange, après elle est un diable.
Tu dois donc t'apprêter à cette liberté.
(III, 1, p. 31)

(2)

S'il est jaloux, pour moi, j'ai trop d'aversion,
Pour cette malheureuse et triste passion,
Pour aller me sécher aussi de jalousie ;
Mais de cent faux objets troublant sa fantaisie,
Je réduirai bientôt cet ombrageux époux.
A briguer une place en l'hôpital des fous.
S'il veut m'accompagner en tous lieux comme une ombre,
Scandalisant les gens d'une humeur triste et sombre,
Toutes et quantesfois qu'il m'accompagnera,
Je gage contre lui qu'il s'en repentira.
Enfin, ma sage sœur, que vous dirai-je encore ?
Je le respecterai comme un dieu, s'il m'adore
J'aurai pour cet époux les tendres sentiments
Qui font tout le bonheur des fidèles amants,
Et ne comptant pour rien tout le reste du monde,
Nous coulerons nos jours dans une paix profonde.
Mais s'il pense m'ôter l'honnête liberté ,
D'user de tous les droits dus à ma qualité,
De jouir des plaisirs des femmes de mon âge ,
D'être leste en habits autant qu'en équipage,
De recevoir chez moi tous les honnêtes gens ;
Enfin de pouvoir tout, hors d'avoir des galants,
S'il va désapprouver ces équitables clauses,
Et s'il ose disputer la moindre de ces choses,
Lors j'aurai des galants de toutes les façons,
Ma beauté jettera sur tous ses hameçons,
Et sans cesse entassant franchise sur franchise,
Je ne respecterai ni la cour ni l'église,
Je ne mépriserai campagnards ni bourgeois,
Enfin je me ferai coquette, en bon français.
(éd. de 1712, p. 232-233)




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