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Une petite bouche


"Elle [...] fait la moue, pour montrer une petite bouche, et roule les yeux, pour les faire paraître grands."
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. II

"Ah! Monsieur l'ours, je suis votre serviteur de tout mon cœur [...] Ah! Monseigneur que votre altesse est jolie et bien faite; elle a tout à fait l'air galant et la taille la plus mignonne du monde. Ah beau poil, belle tête! beaux yeux brillants et bien fendus! ah beau petit nez! belle petite bouche, petites quenottes jolies! Ah belle gorge! belles petites menottes! petits ongles bien faits!"
¨La Princesse d'Elide, Deuxième intermède, sc. II

"Il faudrait, pour les contenter, ne faire qu'un portrait pour toutes; car, toutes, demandent les mêmes choses; un teint tout de lis et de roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus; et surtout, le visage pas plus gros que le poing, l'eussent-elles d'un pied de large."
Le Sicilien, sc. XI

Ces qualités sont caractéristiques des portraits féminins de la littérature mondaine, où ils apparaissent à d'innombrables reprises :

Dans son Parnasse réformé (1668), Gabriel Guéret tournera en dérision ces stéréotypes (7).

Au cinquième livre (1660) de la Clélie des Scudéry, l'un des personnages évoque les femmes qui, dans les portraits que l'on fait d'elles, veulent "qu'on leur croisse les yeux, qu'on leur apetisse la bouche" (voir "un portrait qui soit moi").

On retrouve ces caractéristiques, inversées, à la scène III, 9 du Bourgeois gentilhomme ("elle a la bouche grande")


(1)

Ses yeux grands doux et noirs ne se peuvent décrire.
[...]
Sa bouche, petite et vermeille
Est d'un rouge animé qui n'eut jamais d'égal.
(portrait d'Iris, Troisième partie du recueil de pièces galantes, en prose et en vers de Madame la comtesse de La Suze, comme aussi de plusieurs et différents auteurs, 1668, p. 90)

(2)

Le tour du visage d'Arpasie était ovale ; elle avait les yeux bleus, grands, et passionnés ; et elle avait la bouche si belle et taillée d'un tour si particulier qu'il suffisait de voir le bas de son visage pour la connaître. En effet il y avait un certain sourire spirituel aux coins de sa bouche, et ses lèvres étaient si unies, et d'un incarnat si vif, que leur beauté était incomparable.
(Le Grand Cyrus, p. 6630)

(3)

Elle avait le tour du visage ovale, le nez aquilin, la bouche petite et incarnate, (…) ses yeux étaient bleus, grands et bien fendus et ils avaient une douceur si grande et si naturelle que leurs moindres mouvements étaient languissants et capables de communiquer leur langueur à tous ceux qui les regardaient .
(Alcidamie, p. 9)

(4)

son teint est fort blanc […], son nez est un peu grand, mais fort bien fait ; sa bouche petite ; ses dents blanches […] il n’en est point [d’yeux] que la rencontre des siens ne fasse baisser : ils sont bleus, et de ce bel azur, dont nous paraît le ciel ; ils sont grands, et de la plus belle forme »
("Portrait de la reine de Suède écrit par Madame la comtesse de Bregis à Paris, au mois de juin 1658", dans Divers portraits par Mademoiselle de Montpensier et diverses personnes de sa cour, s.l., 1659, p. 67)

Je suis blanche et blonde, les yeux bleus que l’on dit que j’ai assez beaux, le nez grand et aquilin, la bouche petite, et qui serait belle si elle était incarnate »
("Portrait de Madame de Montac, première présidente de Bordeaux, de la maison de Thou, par elle-même", ibid., p. 114)

mes yeux sont assez beaux, mais peut-être pas si doux qu’ils seraient en une autre, parce que je ne sais ce que c’est que de les conduire avec affectation. Ma bouche n’est pas des plus petites, et n’est pourtant pas désagréable »
("Portrait de Madame la comtesse de Brienne la fille, fait par elle-même", ibid., p. 134)

sa bouche est petite, vermeille, façonnée et façonnante
("Portrait de Cloris, fait à Forges, au mois de juillet 1658 par Mademoiselle", ibid., p. 148)

(5)

[Le narrateur s’est endormi ; un enfant « beau de visage et d’une mine rusée » paraît, tire une palette de peintre de sous son bras, et lui demande de faire le portrait de Laodice ]

Commence par le tour de son visage, et qu’il te souvienne d’y garder une juste proportion entre une rondeur trop achevée et mal agréable, et cette longueur que les ignorants nomment le caractère de la bonne amitié.
Fais son teint d’un coloris vif et bien uni, et mêles-y de telle sorte le feu des roses à la pureté des lys que, sans avoir le rude du vermillon, ni le fade d’une blancheur vicieuse, il mérite ce beau lustre que le soleil insinue dans une nuée trop blanche quand il la peint de ses rayons.
[…]
[Les yeux] Quand tu les auras peints noirs, bien ouverts, grands et vifs, tu prendras cette couleur de diamant, nouvelle et peu connue, que j’ai choisie pour en faire les brillants […].
[Les lèvres] la bouche qu’elles forment est petite […]
Ajoute à toutes ces beautés le nez et le menton, bien faits, polis et d’une juste convenance avec le reste du visage.
(Abbé d'Aubignac, Portraits égarés, « Le songe ou le portrait de Laodamie », 1660, p. 11-19)

(6)

Elle était de la plus taille du monde, l'air grand et de qualité mêlé de beaucoup de modestie et de douceur, elle avait les yeux beaux et doux, le nez bien fait, la bouche agréable, le teint blanc et délicat
(p. 55)

(7)

On n'entend plus parler aujourd'hui que de faiseurs de portraits. Toutes les jeunes plumes sont malades de cette furie. Il n'y a point de petit abbé de deux jours qui ne débute par là pour faire sa cour et, pourvu qu'il puisse dire que sa Cloris a les cheveux luisants et déliés, que les amours se jouent sur son front, que son teint est plus vermeil qu'une rose et plus blanc qu'albâtre, que ses yeux sont noirs et bien fendus, que son nez est d'une grandeur proportionnée à tout le reste de son visage, que sa bouche est petite, que ses lèvres sont d'un rouge plus vif que le corail, que ses dents ont plus de blancheur que l'ivoire, que sa gorge est bien taillée [...], ils s'imaginent avoir fait des efforts dignes d'être admirés dans les ruelles les plus galantes.
(p. 89)




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