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Une étrange partie/Qu'au piquet je perdis hier


"Console-moi, Marquis, d'une étrange partie,
Qu'au piquet je perdis hier contre un Saint-Bouvain."
Les Fâcheux, II, 2 (v. 304-305)

Le jeu de piquet compte parmi les jeux de cartes les plus populaires en France au XVIIe siècle. Ses règles avaient été exposées dans un opuscule de 1642, Le Jeu du Piquet, plaisant et récréatif.

On y fait occasionnellement allusion au théâtre dans les années 1650 :

Si je joue au piquet avec quelque Ostrogoth,
Il me fera vingt fois pic, repic et capot.
En dernier il aura deux quintes assorties
Et vingt fois pour un point je perdrai des parties.
(Philippe Quinault, L'Amant indiscret ou le Maître étourdi (1656), I, 4, p. 13).

Charles Sorel, dans "Les Lois de la galanterie" (1658) souligne que la connaissance en est indispensable aux galants :

Ils sauront aussi pratiquer les Jeux qui auront le plus de cours, comme le nouveau Hoc, et n’ignorent pas celui de l’Homme, ni le Reversis et le Piquet, ni le Trictrac, pour ce qu’il se trouve toujours quelqu’un qui veut jouer à l’un ou à l’autre de ces Jeux.
(§ XII)

Et surtout il connaît une grande popularité à la cour au tournant des années 1660. C'est ainsi qu'on le trouve mentionné à plusieurs reprises dans La Muse historique de Loret :

Le sept de Juin, après dîné,
Le piquet m’ayant ruiné.

Princesse Noble et Magnanime,
Dont on fait une grand estime,
Tant pour votre Vertu sublime,
Que pour votre Esprit rarissime :
Comme il est juste et légitime
Que de la Plume je m’escrime,
Et les Nouvelles vous exprime,
Je sens que notre Muse intime,
Au Travail m’excite et m’anime ;
Quittant, donc, Hoc, Piquet et Prime,
Où le malheur, toujours, m’opprime,
Et dont ma bourse est la victime,
Je m’en vais griffonner en Rime,
Pour Votre Altesse illustrissime.

Il revient encore sur le sujet dans le développement de la lettre :

Encore que Monsieur Piquet
M’ait quasi mis au breluquet,
Dont je mériterais nasarde,
Comme volontiers je hasarde,
J’allai, Jeudi, risquer encor
A la Banque, cinq Louis d’Or :
Mais si je les perds, cette perte
Sera, tout doux, par moi soufferte :
Car étant là, j’eus le bonheur
D’y recevoir beaucoup d’honneur
De cette illustre Demoiselle
Qui la sage Sapho s’appelle,
Et qui disant du bien de moi,
Me fit lors jurer par ma foi,
Qu’une louange belle et bonne
Venant de si rare personne,
Valait mieux, mille et mille fois,
Que les Louis que je risquais.

Altesse de rare importance,
L’Astre, sous qui je pris naissance,
M’ayant mis dans le rang de ceux
Qui sont joueurs et paresseurs,
Me rend, tout à fait, malhabile
Pour la vie humaine et civile :
J’exerce peu le compliment,
Je vois mes Amis, rarement,
Je vais peu chez Grand, ni chez Grande,
Quoi qu’on m’y souhaite et demande
Non point, pour ma capacité,
Mais par pur instinct de bonté :
Je suis, en toutes occurrences,
Assez chiches de révérences ;
J’ai vécu, toujours, en Garçon,
Sans simagrée et sans façon :
Bref, je ne rends, dont on s’étonne,
Presque, aucun devoirs à personnes :
Et quand sur des sujets divers
J’ai fait environ trois cent Vers,
Je m’imagine et présuppose
Être quitte de toute chose,
Je ne cherche plus qu’à jouer ;
Ha qu’on m’en devrait rabrouer !
J’en suis honteux, lorsque j’y pense ;
Mais quoi ? c’est ma grande influence,
Qu’excuseront les Gens de bien :
Ainsi n’étant, donc, propre à rien
Qu’à produire de ma cervelle
Une Lettre en Vers, telle quelle,
Puisqu’il est dies veneris,
Je quitte les jeux et les ris,
Le Piquet, Prime et Quinque nove,
Et vais rimer dans mon Alcôve.

Piqué des pics et repics
Fréquents et réitératifs,
Et, du moins, passant cinq douzaines,
Qu’on m’a faits depuis deux semaines,
Je quitte, aujourd’hui, le bureau
Du Pique, Cœur, Trèfle et Carreau ;
De nécessité, je renonce
Au piquet, piquant comme ronce,
Et j’abandonne, à tout hasard,
Charles, David, Artus, César,
Rois en peinture, Rois de carte,
Que souvent, bien ou mal, j’écarte :
Malgré leur caprice inconstant.

Princesse, à qui de mes services,
Je fais souvent des sacrifices :
Pour mon crédit entretenir,
Ou pour ne point contrevenir
Au dessein libre et volontaire
Que j’eus toujours de vous complaire,
Et, bref, afin de mieux rimer,
Aujourd’huy, je vais m’enfermer ;
Je vais faire trêve de cartes,
Pires pour moi, que fiévres quartes,
Et sans craindre pic, ni repic,
Contenter, Vous et le Public.

Malheureuse occupation,
Qui me tiens lieu de passion,
Divertissement dommageable,
Piquet, complice invariable
De mon sort toujours inhumain ;
Je dis adieu jusqu’à demain,
A ton carreau, cœur, trèfle et pique,
Où trop volontiers je m’applique ;:J’abandonne, pour cette fois,
Tes Héros, tes Reines, tes Rois,
Repics, capots, quintes et quartes ;
Et, bref, tout commerce de cartes,
Pour à Vous, Dame de Nemours,
Sacrifier un, ou deux jours,
De mon travail et de ma peine :
Buvons donc un doigt d’Hypocreine,
Pour me mettre en meilleure humeur ;
Toute fonction de Rimeur
Est assez pénible exercice,
Dieu veuille que j’y réussisse.




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