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Un valet bouffon


"Toujours des marquis.- Oui, toujours des marquis, que diable voulez-vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre; le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie. Et comme dans toutes les comédies anciennes on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie."
L'Impromptu de Versailles, sc. I

Donneau de Visé tentera d'animer les marquis contre Molière, en prétendant, sur la base de ce passage, que l'auteur a déclaré qu'"ils prennent la place des valets"


(1)
PHILIPPIN.
Voyons si je n’ai pas raison. N’est-il pas vrai que le Peintre a dit aujourd’hui qu’il fallait que les marquis prissent la place des valets ?

CLEANTE.
Oui.

PHILIPPIN.
Il faut donc que les valets prennent la place des marquis.

ORPHISE.
Il m’en souvient, et Philippin n’a pas tort.

PHILIPPIN.
Par cette raison, vous me devez donner tous vos habits en échange du mien. Je vous assure que je vous serai aussi bon maître que vous m’avez été et que je vous mènerai souvent à la comédie.

CLEANTE.
Oui, mais le Peintre a dit que les marquis ne devaient prendre la place des valets qu’à la comédie, et que ce n’était que là où il les voulait mettre à leur place.

PHILIPPIN.
C’est ce qui leur est de plus honteux, d’être traités comme des valets sur le théâtre, à la vue de tout le monde.

ALCIPE. Je crois à peine ce que j’entends, et quoique je ne doute point de la hardiesse du Peintre, je ne me puis persuader qu’elle ait été si grande.

ARISTE.
Il n’est rien de plus véritable, et ceci est un effet de son ambition que vous ne remarquez pas. L’équipage de Mascarille commençait à lui déplaire, il avait honte jouer avec un habit plein de pièces, et afin de ne le mettre plus, il veut amener la mode de faire servir les marquis de valets à la comédie.
(sc. VI)

(2)

Quoique cette faute ne soit pas pardonnable, elle en renferme une autre qui l'est bien moins et sur laquelle je veux croire que la prudence d'Élomire n'a pas fait de réflexion. Lorsqu'il joue toute la cour et qu'il n'épargne que l'auguste personne du Roi, que l'éclat de son mérite rend plus considérable que l'éclat de son trône, il ne s'aperçoit pas que cet incomparable monarque est toujours accompagné des gens qu'il veut rendre ridicules, que ce sont eux qui forment sa cour, que c'est avec eux qu'il se divertit, que c'est avec eux qu'il s'entretient, et que c'est avec eux qu'il donne de la terreur à ses ennemis. C'est pourquoi Élomire devrait plutôt travailler à nous faire voir qu'ils sont tous des héros, puisque le prince est toujours au milieu d'eux et qu'il en est comme le chef, que de nous en faire voir des portraits ridicules. Il ne suffit pas de garder le respect que nous devons au demi-dieu qui nous gouverne, il faut épargner ceux qui ont le glorieux avantage de l'approcher et ne pas jouer ceux qu'il honore d'une estime particulière. Je tremble pour cet auteur, lorsque je lui entends dire en plein théâtre que ces Illustres doivent prendre la place des valets. Quoi ! traiter si mal l'appui et l'ornement de l'État ! avoir tant de mépris pour des personnes qui ont tant de fois et si généreusement exposé leur vie pour la gloire de leur prince ! et tout cela, pource que leur qualité demande qu'ils soient plus ajustés que les autres et qu'ils y sont obligés pour maintenir l'éclat de la plus brillante cour du monde et faire honneur à leur souverain. Je vous avoue que quand je considère le mérite de toutes ces illustres personnes et que je songe à la témérité d'Élomire, j'ai peine à croire ce que mes yeux ont vu dans plusieurs de ses pièces et ce que mes oreilles y ont ouï.




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