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Un peu trop sauvage


"Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage,
Je ris des noirs accès où je vous envisage"
Le Misanthrope, I, 1 (v. 97-98)

L'inadéquation entre l'humeur chagrine (voir "en une humeur noire, en un chagrin profond") et la vie sociale est soulignée

La question de savoir si les mélancoliques ont moins de grâce, en société, que les humeurs gaies était soulevée en 1632 dans L'Honnête femme du P. Du Bosc, qui défend successivement les deux points de vue, en commençant par montrer que les mélancoliques ne sont pas du tout aptes à la conversation (3).

Le caractère sauvage d'Alceste s'oppose à la sociabilité mondaine (voir "la solitude effraie").


(1)

Voilà donc ce bon sens ou ce bon esprit dont on se veut tant prévaloir, qui n'est plus d'usage que dans la guerre et la solitude, puisque dans la cour et le trafic de la vie civile, il passe pour marchandise de contrebande, ou pour monnaie défendue et qui n'est de mise, plutôt capable de vous nuire et mettre en peine que de vous servir en vos affaires et au besoin.
(La Mothe le Vayer, "De la philosophie sceptique" dans Cinq dialogues faits à l'imitation des Anciens par Orasius Tubero, p. 60)

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(2)

Discours académique contre la mélancolie
Celui qui est triste et mélancolique est toujours morne et pensif, il a le teint pâle, les yeux languissants, et il semble toujours que l’on vienne de porter en terre ses meilleurs amis, ou qu’il pleure la perte de tous ses biens […]. Si naturellement on peut s’attrister de toutes choses, la même Nature n’étant point marâtre aux hommes leur a aussi donné le pouvoir de s’en réjouir, de sorte que s’ils ne le font point, la faute n’en doit être imputée qu’à eux-mêmes. […] Il n’y a que les hommes qui rient ; être risible, c’est être raisonnable, et être raisonnable, c’est être risible […] la mélancolie habite chez les ambitieux, chez les avaricieux, chez les envieux du bien d’autrui, chez les perfides et les assassins, qui se rongent de souci pour exécuter leurs pernicieuses entreprises, et à qui leurs fautes horribles étant toujours présentes, gênent l’esprit continuellement. Voudrions-nous ressembler à ces monstres qui déshonorent la nature ?
(Recueil des pièces en prose les plus agréables de ce temps, 1660, p. 278 et suiv.)

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(3)

De l’humeur gaie et mélancolique.
Le plus noble dessein qu’on se puisse proposer dans la conversation est d’avoir les qualités de l’esprit qui nous rendent agréables, et qui par une aimable violence nous acquièrent un empire aussi grand qu’il est doux. L’humeur gaie est bien plus avantageuse pour y réussir que la mélancolique [..] Les humeurs gaies ont bien plus de grâce et plus de liberté en tout ce qu’elles font, aussi sont-elles bien mieux reçues dans les compagnies.
(Du Bosc, L’Honnête femme, Paris, P. Billaine, 1632, p. 1-2)

Quand les mélancoliques s’efforcent d’animer leur langueur, ils se mettent au danger d’Icare qui était trop matériel, et qui n’avait pas assez d’adresse pour voler sur les ailes d’artifice. Leurs discours et leurs maintiens sont sans bonne grâce, quand ils se contraignent pour y témoigner une chaleur qui ne leur est point naturelle.
(Ibid., p. 8)

Si on accuse les esprits prompts de prendre l’occasion trop tôt, les mélancoliques sont en danger de s’en servir trop tard, et si ceux-là n’attendent pas qu’elle se présente, les autres n’y pensent bien souvent que quand elle est passée, ils sont trop sujets à la crainte et au désespoir, comme ils sont sans chaleur, ils sont sans action, et leur humeur glacée leur dépeint quasi tout impossible, soit pour fuir ou pour entreprendre.
(Ibid., p. 10-11)

Quelle lumière ou quelle raison peut-on croire, où il n’y a que des fumées noires que la mélancolie fait monter au cerveau ?
(Ibid., p. 14)




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