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Un malheureux pécheur


"Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été."
Le Tartuffe, III, 6 (v. 1074-1077)

La contrition spectaculaire à laquelle se livre Tartuffe trouve son modèle dans le comportement du héros de la nouvelle Les Hypocrites (1655) de Scarron (1).

Une scène semblable est succinctement indiquée dans le scenario de commedia dell'arte "Il dottor bacchetone" (2)

L'humiliation du pécheur est un motif fréquent de la littérature dévote (voir également "souffrir l'ignominie"). Elle est évoquée ou décrite, par exemple, dans

Elle est condamnée dans ses excès par La Mothe le Vayer


(1)

[Il] fit une rude réprimande au peuple. "Je suis le méchant, disait-il à ceux qui le voulurent entendre : je suis le pécheur, je suis celui qui n'ai jamais rien fait d'agréable aux yeux de Dieu. Pensez-vous , continuait-il, parce que vous me voyez vêtu en homme de bien, que je n'aie pas été toute ma vie un larron, le scandale des autres et la perdition de moi-même ? Vous êtes trompés, mes frères, faites-moi le but de vos injures et de vos pierres, et tirez sur moi vos épées".
(éd. des Oeuvres de 1737, p. 133)(voir également "vous demander sa grâce")

Si on lui demandait son nom, il répondait qu'il était l'animal, la bête de charge, le cloaque d'ordures, le vaisseau d'iniquités.
(p.135)

(2)

Dottore, che lui è il maggior peccatore di questo mondo

(3)

Tu n' es rien qu' un pécheur, dont la fragilité,
Sujette aux passions, prend leur malignité,
Et n' a jamais de soi que le néant pour terme.
(III, 4)

De ces palais brillants, où ma gloire ineffable
Remplit tout de mon seul objet,
Je me fuis ravalé jusqu'au rang d'un coupable,
Jusqu'à l'ordre le plus abject :
Je me fuis fait de tous le plus humble et le moindre,
Afin que tu susses mieux joindre
L'humble soumission à ton indignité,
Et que malgré le Monde et ses vaines amorces,
Pour dompter ton orgueil, tu trouvasses des forces
Dans ma parfaite humilité.
(III, 13)

(4)

II ne me suffirait donc pas ,
Seigneur, de connaître ici bas
Votre pouvoir et ma faiblesse,
Dans la honte ou dans les splendeurs
Tout me parle de mes bassesses,
Aussi bien que de vos grandeurs.

Cette vertu sans intérêt,
Cette humilité qui vous plaît ,
Et fait un heureux d'un coupable ,
Me prescrit ce soin malaisé,
Que me connaissant méprisable,
Je souffre d'être méprisé.
(Chapitre V, p. 35)

(5)

Mais ne prenez pas tout ceci pour une preuve, que je fasse grand compte de certaines humilités trop affectées. Je n'approuve point que pour nous abaisser nous nous rendions absolument méprisables. Il faut conserver sa réputation, que les lois civiles rendent aussi précieuse que la vie ; periculum famae aequiparatur periculo vitae. Nous sommes trop cruels, dit Saint Jérôme, si nous blessons volontairement ce qu'on appelle notre bonne renommée. Et sans croire, qu'il soit plus criminel de se diffamer soi-même, que de ravir la réputation d'autrui, parce que l'homicide de sa propre personne est plus énorme, que celui de quelque autre que ce puisse être, je tiens simplement, qu'il est de la conduite d'un homme prudent, de n'affecter jamais une humilité honteuse, et qui lui fasse perdre l'estime, qu'il peut avoir acquise.
(éd. des Oeuvres de 1756, VII, 1, p. 342)

(6)

Il ne faut pas néanmoins que nous oubliions à remarquer comme il y a une fausse humilité, et un mépris d'honneur plein d'orgueil et de tromperie. Est qui nequiter humiliat se, et interiora eius plena sunt dolo, dit l'Ecclésiastique, et Salomon ajoute dans ses proverbes, quando submiserit vocem suam, ne credideris ei, quoniam septem nequitiae sunt in corde illius. Ceux qui abusent ainsi de l'usage de cette vertu, ne se font petits qu'à mauvais dessein, et comme le lutteur qui se baisse et se met au dessous de celui qu'il veut porter par terre. Ils s'efforcent d'arriver à la gloire par des chemins détournés en la prenant par derrière ; et nous les pouvons encore comparer aux tireurs d'aviron, qui rament vers le lieu où ils tournent le dos ; et tâchent d'arriver au port sans l'envisager. Je vois, disait Socrate à l'un de ceux-là, une grande présomption au travers des trous de votre habit. Et Diogène ne prononça-t-il pas au milieu de cette grande assemblée des jeux olympiques, qu'il trouvait les Lacédémoniens aussi orgueilleux dans leurs habits déchirés dont ils faisaient parade, que ceux de Rhodes dans leurs robes somptueuses que tout le monde semblait regarder avec admiration. C'est ainsi que toutes les vertus sont placées entre des extrémités vicieuses, et que l'orgueil n'est qu'un des vices opposés à la vraie humilité, qui a l'abjection basse et frauduleuse pour son autre adversaire, afin que ce milieu dont la science des moeurs fait tant d'état, soit plus reconnaissable.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 2, p. 192-193)




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