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Un homme d'une grande prévention


"Il faut vous avouer que vous êtes un homme d'une grande prévention et que vous voyez les choses avec d'étranges yeux."
Le Malade imaginaire, III, 6

Dans son Novum organum (1620), Francis Bacon explique comment les préventions individuelles (idola specus) entravent la perception correcte de la réalité (1)

Dans le second tome (1675) de De la Recherche de la vérité, Malebranche dénonce ce type de comportement comme propre aux "esprits faibles" (2).

Auparavant, Gabriel Naudé, dans ses Considérations sur les coups d'état (1667), avait mis en évidence les dégâts de la plus grande de ces préventions, celle qui repose sur la superstition, créant "une espèce d'homme à qui l'on fera croire ce que l'on voudra" (3)


(1)

XXXVIII.
Idola et notiones falsae, quae intellectum humanum jam occuparunt atque in eo alte haerent, non solum mentes hominum ita obsident, ut veritati aditus difficilis pateat; sed etiam dato et concesso aditu, illa rursus in ipsa instauratione scientiarum occurrent et molesta erunt; nisi homines praemoniti adversus ea se, quantum fieri potest, muniant.

XLII.
Idola specus sunt idola hominis individui. Habet enim unusquisque (praeter aberrationes naturae humanae in genere) specum sive cavernam quandam individuam, quae lumen naturae frangit et corrumpit: vel propter naturam cujusque propriam et singularem; vel propter educationem et conversationem cum aliis; vel propter lectionem librorum, et authoritates eorum quos quisque colit et miratur; vel propter differentias impressionum, prout occurrunt in animo praeoccupato et praedisposito, aut in animo aequo et sedato, vel ejusmodi: ut plane spiritus humanus (prout disponitur in hominibus singulis) sit res varia, et omnino perturbata, et quasi fortuita.

(2)

Pour les ignorants et les esprits faibles, ils se font des sujets de crainte imaginaires et ridicules. Ils ressemblent aux enfants qui marchent dans les ténèbres sans guide et sans flambeau ; ils se figurent des spectres épouvantables ; ils se troublent et se récrient comme si tout était perdu. La lumière les rassure s'ils sont ignorants, mais si ce sont des esprits faibles, leur imagination en demeure toujours blessée. La moindre chose qui a quelque rapport à ce qui les a effrayés renouvelle les traces et le cours des esprits qui causent le système de leur crainte. Il est absolument impossible de les guérir ou de les apaiser pour toujours.
(V, 12, Oeuvres, éd. G. Rodis-Lewis, 1979, t. I, p. 584)

(3)

La superstition, soeur germanique de cette crédulité, l'y plongera tout à fait et lui ôtera si peu de jugement qui lui pouvait rester. [...] Elle lui ravira le repos du corps, et la fermeté, constance et résolution de l'esprit : superstitione etiam qui est imbutus quiescere nunquam potest ('Car quiconque est imbu de superstition, il lui est impossible de repose", Cic. De fin, l. I). Elle l'assujettira à mille terreurs paniques et lui fera craindre et redouter
Nihilo metendua magis, quam
Quae pueri in tenebris pavitant, finguntque futura.
("Des choses qui ne sont non plus à craindre que celles dont les enfants ont peur dans les ténèbres et qu'ils s'imaginent devoir arriver.")

[...] bref elle le rendra sot, impertinent, stupide, méchant, incapable de rien voir, de rien faire, de rien juger ou examiner à propos, et capable feulement de causer la perte et la ruine totale de quiconque se servira de lui, et la sienne propre, puisque fuperstitione quisquis illaqueatus est, non potest effugere proximas miserias, ipsa sibi superstitio supplicium est, dum quae non sunt mala haec fingit esse talia, et quae sunt medocria mala, haec maxima facit ac lethalia ("Quiconque est enlacé dans la superstition, il ne peut pas éviter les misères qui lui penchent fur la tête ; sa superstition lui est un supplice, lorsqu'il s'imagine mauvaises des choses qui ne le sont pas; et qu'il fait grands et mortels les maux qui ne sont que médiocres").
[...] D'où l'on peut conjecturer que la superstition est le vrai caractère d'une âme faible, rampante, efféminée, populaire, et de laquelle tout esprit fort, tout homme résolu, tout bon ministre doit dire, comme faisait Varron de quelque autre chose qui ne valait pas mieux : Apage in directum à domo nostra istam insanitatem. (in Eumenidib.)
(p. 318-319)




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