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Un grand seigneur méchant homme


"Un grand seigneur méchant homme est une terrible chose."
Don Juan ou le Festin de pierre, I, 1

L'ouvrage intitulé De l'éducation du prince (1670) de Pierre Nicole contient un traité "De la grandeur", dont la seconde partie est intitulée "Des obligations et des difficultés de la vie des grands".

Y sont exposés les devoirs qui découlent du statut de grand et qui obligent se dernier à se tenir, plus que tout autre être humain, éloigné des vices.

XX
Si l'on joint à toutes ces obligations celles qui naissent du pouvoir que les Grands ont de remédier à divers désordres dans les grands emplois qu'ils ont ; Si l'on y ajoute ce qu'ils pourraient faire pour bannir par leur autorité, par leurs paroles, et par leur exemple, le luxe, le blasphème, les débauches, le jeu, le libertinage, et un grand nombre d'autres sources de désordres et de crimes, et que l'on règle tout cela par ces deux principes, que les Grands sont obligés de faire tout ce qu'ils peuvent, et que l'omission de ces devoirs les rend coupables de tous les crimes qu'ils n'auront pas empêchés, on se formera quelque idée des effroyables dangers de ce ministère.
(p. 237)

XXII

Ce qu'il y a de plus terrible dans la condition des Grands, est qu'en les obligeant à tous ces devoirs, elle leur sert d'obstacle à les reconnaître, et elle les empêche de s'en acquitter lors même qu'ils les connaissent. Le fondement de leur état est qu'ils ne sont point à eux, mais aux peuples ; que la grandeur et l'autorité ne leur est point donnée pour en jouir et pour s'y plaire, mais afin de s'en servir pour le bien de ceux qui leur sont soumis. Mais qu'il est difficile de faire entrer ces sentiments dans l'âme de ceux qui sont nés dans les richesses et dans les honneurs ! L'inclination des hommes corrompus est de rapporter tout à eux, et de se rendre le centre de tout : c'est une tyrannie naturelle que le péché a gravée au plus profond de leur coeur.
(p. 239-240)

LXV
C'est dans cette vue que l'Eglise prend plaisir de proposer au commun du monde la vertu des Grands, comme étant plus capable de faire impression sur leur esprit. Car il est certain que rien n'est plus propre pour confondre l'orgueil, la délicatesse et l'impénitence des petits que l'humilité, la mortification et la pénitence des Grands. Leur exemple a une efficace toute particulière, et leur grandeur n'a pas moins de force pour inspirer la vertu, qu'elle en a pour autoriser le vice. On est disposé à la regarder avec admiration, l'admiration en produit l'amour ; et l'amour l'imitation. Et c'est pourquoi il est juste que l'Eglie se serve d'eux pour le bien, comme le démon se servait d'eux pour le mal, et qu'elle en fasse des instrument de salut, comme il en faisait des instruments de damnation.
(p. 267)




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