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Un garçon qui n'a point de méchanceté


"Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient, en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques-uns, mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été, ce qu'on appelle mièvre, et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible, et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux, que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire, et il avait neuf ans, qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. "Bon, disais-je en moi-même; les arbres tardifs, sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir." Lorsque je l'envoyai au collège il trouva de la peine; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences; et je puis dire sans vanité, que depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École. "
Le Malade imaginaire, II, 5

Le développement lent et laborieux de Thomas Diafoirus correspond à ce qui est raconté dans la "Vie de Fabius Cunctator" des Vie des hommes illustres de Plutarque (voir également "un second père") :

Il fut surnommé par raillerie Verrucosus, à cause d'une verrue qu'il avait sur la lèvre, et Ovicula, qui veut dire brebis, à cause qu'il était de la plus douce nature du monde. Quelques-uns, qui ne pénétraient pas fort avant, en jugeaient fort désavantageusement : ils pensaient, en le voyant taciturne et tranquille, jamais emporté dans les plaisirs comme sont les jeunes gens, n'ayant pas une grande facilité pour apprendre et faisant tout ce qu'on voulait, qu'il fallait qu'il n'eût point d'esprit, et il y en avait peu qui aperçussent la constance, la fermeté et na magnanimité de son âme. Mais dans peu de temps, ses vertus étant excitées par les emplois, il fit voir à tout le monde que ce que l'on appelait paresse en lui était une noble gravité qui ne s'émouvait jamais de rien ; que ce qu'on appelait timidité était une sage précaution ; et que le renom de lent et tardif, se devait changer en celui d'arrêté et de constant.
(Les Vies des hommes illustres de Plutarque, nouvellement traduites de grec en français, par M. l'abbé Tallemant, 1664, t. 5, p. 122-123.)

(source : R. Rébuffat, "Métamorphose de Fabius Cunctator : Thomas Diafoirus", Revue des Etudes Latines, 60, 1982, p. 339)




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