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Un duel met les gens en mauvaise posture


"Un duel met les gens en mauvaise posture"
Les Fâcheux, I, 6 (v. 279)

La condamnation du duel avait été rappelée dans plusieurs édits et déclarations royales (1).

On la retrouve dans certains textes de la littérature mondaine, tels L'Esprit de cour (1662) de René Bary (2), Les Galanteries grenadines (1672) de Mme de Villedieu (Mlle Desjardins) (3) ou de la littérature religieuse, à l'instar des Stances sur diverses vérités chrétiennes (1642) d’Arnauld d’Andilly (4).

Dans sa comédie L'Ecuyer ou les Faux Nobles mis au billon (1665), Claveret fera également allusion à l'édit sur le duel (5).


(1)

Un édit royal de 1651, promulgué par Louis XIV encore mineur, avait affirmé avec une fermeté nouvelle la nécessité de mettre un terme à la pratique du duel sur le territoire du royaume :

[ …] Nous estimons ne pouvoir plus efficacement attirer les grâces et bénédictions du Ciel sur Nous et sur nos Etats qu’en commençant nos actions, à l’entrée de notre majorité, par une forte et sévère opposition aux pernicieux désordres des duels et combats par rencontres, dont l’usage est non seulement contraire aux Lois de la Religion chrétienne et aux nôtres, mais très préjudiciable à nos sujets, et principalement à notre noblesse. […] [La] licence [dans l’application des édits précédents] s’est accrue à tel point qu’elle se rendrait irrémédiable si nous ne prenions une ferme résolution, comme nous faisons présentement, d’empêcher avec une justice très sévère, et par toutes les voies raisonnables, les contraventions faites à nos Edits et Ordonnances en une matière de si grande conséquence.
(« Edit du roi contre les duels et rencontres. Donné à Paris au mois de septembre 1651. Vérifié en Parlement, le Roy y séant, audit mois et an" dans Recueil des édits, déclarations et arrests de la cour de Parlement contre les duels, publiez depuis l'année 1599 jusques à présent, Paris : S. Cramoisy, 1660, p. 263-265)

Les sujets ont le devoir de s'opposer à toute altercation qui puisse avoir pour conséquence le recours aux armes :

« Nous […] ordonnons [à nos Sujets] […] d’apporter mutuellement les uns avec les autres tout ce qui dépendra d’eux pour prévenir tous différents, débats et querelles, notamment celles qui peuvent être suivies de voies de fait […] et d’empêcher que l’on vienne aux mains en quelque manière que ce soit : déclarant que nous réputerons ce procédé pour un effet de l’obéissance qui nous est due
(Ibid. , p. 267).

Et surtout, il est absolument interdit d'"appeler" (v. 271) quelqu'un en duel, de même que de répondre à un appel :

appréhendant qu’il ne se trouve encore des gens assez osés pour contrevenir à nos volontés si expressément expliquées, et qui présument d’avoir raison en cherchant à se venger : Nous voulons et ordonnons que celui qui s’estimant offensé, fera un Appel à qui que ce soit pour soi-même, demeure déchu de pouvoir jamais avoir satisfaction de l’offense qu’il prétendra avoir reçue ; qu’il soit banni de notre Cour, ou de son pays durant l’espace de deux ans pour le moins ; qu’il soit suspendu de toutes ses charges, et privé du revenu d’icelles durant trois ans ; ou bien qu’il soit retenu prisonnier six mois entiers, et condamné de payer un amende à l’Hôpital du lieu de sa demeure, ou de la Ville la plus prochaine, qui ne pourra être de moindre valeur que le quart de tout son revenu d’une année. Permettons à tous Juges d’augmenter lesdites peines […] Que celui qui est appelé, au lieu de refuser l’Appel et d’en donner avis à nos Cousins les Maréchaux de France, ou aux Gouverneurs, ou nos Lieutenants généraux en nos Provinces, ou aux Gentilhommes commis ainsi que nous lui enjoignons de faire, va sur le lieu de l’assignation, ou fait effort pour cet effet, il soit puni des mêmes peines de l’appellant.
(Ibid. , p. 280-281).

Dans des cas plus précis et pour les récidivistes sont prévues des peines telles que dégradation, privation de la dignité et des biens, voire condamnation à mort.

Cet édit est suivi d’une « déclaration du roi » (qui explique et précise certains points) de 1653 et d’une autre de 1657.

(2)

ARGESYLE :
[…]
On dit qu’il est juste, et j’en viens de demeurer d’accord, de se soulever contre toutes les actions qui tendent directement au déshonneur de Dieu et à la honte du prince, à la ruine de la patrie et à la destruction de l’homme. Mais, pour vous montrer que, hors de ces sortes d’actions le repoussement des injures est un péché, Dieu veut que nous supportions l’infirmité de notre prochain, que nous excusions la faiblesse de nos frères, et, pour dire quelque chose de plus, il veut que nous aimions nos ennemis […]
On peut dire que l’usage des duels a de très fâcheuses suites, qu’il altère la liberté des esprits, qu’il trouble le repos des familles, qu’il flétrit l’honneur des particuliers et, que par les accidents funestes qu’il cause, il dérobe des glorificateurs à Dieu, il enlève des soldats au souverain […] Si l’on me croit, l’on ne parlera désormais du duel que comme d’un aveuglement insupportable.

THEONICE
Ceux qui se mêlent de juger des choses l’appellent l’horreur de la nature, l’affaiblissement de l’état et l’opprobre de la religion.

ARGESYLE
Que pourrait-on dire en faveur d’un ambitieux qui sacrifie à un faux honneur comme à une idole le sang de ses semblables ? Que pourrait-on dire en faveur d’un insolent qui préfère la satisfaction d’une passion féroce à la déférence d’un commandement divin et au respect d’une défense royale ? […] La plupart des gens d’épée sont irréligieux et, à moins que de les ébranler d’abord par la violence des preuves, les raisons de foi font fort peu d’impressions sur eux.
(R. Bary, “Du duel”, L’Esprit de Cour, p. 58-67, LIEN)

(3)

Le Prince les exhorta à vivre bons amis, et à réserver leur courage pour la défense de leur patrie. Les combats particuliers, leur disait-il, sont des saillies de colère, qui mettent de braves gens dans un grand péril, et qui ne leur promettent guère de gloire. Toutes les occasions où on se cherche soi-même, n'apportent à mon gré, qu'une réputation douteuse, et j'estime autant un simple soldat qui s'est trouvé dans deux ou trois batailles, et autant de sièges, que le plus noble des chevaliers, qui n'aurait éprouvé fa bravoure, que contre son compatriote.
(éd. de 1673, p. 9}

(4)

CXC
De la fureur des duels
Toi qui, par le transport d’une aveugle manie,
Pour un faux point d'honneur t'abîmes dans l'Enfer,
Et trempant dans le sang ton sacrilège fer,
Crois te rendre l'éclat dont ta gloire est ternie :
Barbare, ouvre les yeux pour voir avec horreur,
Qu'un tragique démon t'inspire sa fureur,
Et te rend homicide, et bourreau de toi-même.
Ou vainqueur ou vaincu dans ces cruels combats,
Tu renonces du Ciel à la gloire suprême,
Et tu meurs, sans mourir, d'un éternel trépas.
(p. 98)

(5)

DAMON
Rends moi donc ton épée, avec ton baudrier,
Désarme-toi toi-même, et confesse à ma gloire,
Qu'à moi seul appartient Fanchon et la victoire.

CLIDAMOR
Laisse-moi mon épée.

DAMON
Aimes-tu mieux mourir?

CLIDAMOR
Il faut tout accorder, plutôt que de périr.

LICIDAS
Quel désordre est-ce ci? D'où vient un tel vacarme?
Tu l'as fort mal traité.

CLIDAMOR
C'est lui qui me désarme ;

Lui qui me vient voler mon bien et mon bonheur,
Qui me veut arracher et la vie et l'honneur ;
Lui qui, n'ignorant pas jusqu'où l'amour m'engage,
Demande effrontément Fanchon en mariage,
Me veux-tu voir souffrir un pareil traitement?

LICIDAS
J'eusse voulu te voir t'en venger autrement,
Damon, la paix est faite, et le Prince en puissance
De se faire obéir jusqu'au bout de la France ;
Il te souvient assez de ces édits cruels,
Que ce victorieux fait contre les duels,
Si l'on doit appeler de ce nom téméraire,
Les plus justes édits qu'on ait jamais pu faire,
Qu'autorisent les dieux, et qu'approuve la cour.
(III, 4, p. 57)




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