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Turlupinade


"Mais à propos d'extravagants, ne voulez-vous pas me défaire de votre marquis incommode ? Pensez-vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses turlupinades perpétuelles? - Ce langage est à la mode, et l'on le tourne en plaisanterie à la cour. - Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des Halles et de la place Maubert ! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans ! et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire: "Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil", à cause que Boneuil est un village à trois lieues d'ici ! Cela n'est-il pas bien galant et bien spirituel ? Et ceux qui trouvent ces belles rencontres, n'ont-ils pas lieu de s'en glorifier ? - On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle ; et la plupart de ceux qui affectent ce langage, savent bien eux-mêmes qu'il est ridicule. - Tant pis encore, de prendre peine à dire des sottises, et d'être mauvais plaisants de dessein formé. Je les en tiens moins excusables ; et si j'en étais juge, je sais bien à quoi je condamnerais tous ces messieurs les turlupins."
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. I

""Parbleu, Chevalier, tu devrais faire prendre médecine à tes canons.- Comment? - Ils se portent fort mal. - Serviteur à la turlupinade."
L'Impromptu de Versailles, sc. IV

Le terme "turlupinade" est courant depuis le deuxième quart du XVIIe siècle. On le trouve par exemple chez Paul Scarron (1) et chez Boisrobert (2).

Charles Sorel avait usé de plaisanteries du genre dans son Berger extravagant (1627) (3).

La mode des turlupinades, ou mauvais jeux de mots, fait l'objet de débat dans plusieurs textes parus dans la seconde moitié du XVIIe siècle :

Furetière, en 1690, écrira encore que ces "méchantes pointes et équivoques" ne sont "par malheur que trop fréquents" (Dictionnaire, entrée "Turlupin").

Dans le Menagiana (7) ainsi que dans le Nouveau traité de la civilité (8) de Courtin, l'usage des jeux de mot de ce type est soumis à des règles strictes : ils doivent être dits sans que l'on affecte de faire un bon mot, et surtout, ils n'ont de valeur que s'ils manifestent un véritable esprit.


(1)

Suite à la querelle des sonnets de Job et d'Uranie:

Passe, sur un Voiture et sur un Benserade,
D'exercer la turlupinade ;
Mais de mettre avec eux Job en capilotade,
C'est envers Job trop manquer de respect.
(Scarron, "Cartel de défi sur les sonnets de Job et d'Uranie", dans Oeuvres, 1737, p. 432)

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(2)

Mon cher Esprit, ah ! quel heur et quel bien
Si tel Esprit pouvait être le mien !
Tu peux souffrir cette Turlupinade ;
Je gage, et prens pour juge Benserade,
Que, si Monmor t'avoit complimenté,
Par cette pointe il auroit debuté.
(François de Boisrobert, Épistres en vers, t. 1, 1646, Epitre XXXIV "à Monsieur Esprit", p. 220)

-- (3).

Elle demeurait dans le quartier de Saint-Honoré et non pas sans raison, puisqu’elle était honorée de tout le monde.
(éd. de 1627, Le Berger extravagant, Partie I, p. 21)

(4)

Estimer moins l'honnête et agréable conversation, que la bouffonnerie des mauvaises farces, qu'un jargon d'équivoques et de mots à deux ententes ; qu'une foule de proverbes traînés par les rues, que des pointes de turlupin, qu' on va chercher au bout du monde, et qu' on fait venir sur le théâtre à force de bras et de machines, bon dieu quelle dépravation de goût, et quelle maladie de jugement ! Scipion et Laelius en auraient dépit, s'ils ressuscitaient.
(Jean-Louis Guez de Balzac, Dissertations critiques, 1654, Dissertation 7, p. 596)

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(5) Boileau déplorera lui aussi ce fléau de la Cour

Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l'Italie en nos vers attirées.[...]
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse. [...]
Chaque mot eut toujours deux visages divers
La prose la [= la pointe] reçut aussi bien que les vers. [...]
La raison outragée enfin ouvrit les yeux
La chassa pour jamais des discours sérieux,
Et dans tous ces écrits la déclarant infâme,
Par grâce lui laissa l'entrée en l'Epigramme :
Pourvu que sa finesse, éclatant à propos,
Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots.
Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.
Toutefois à la cour les Turlupins restèrent,
Insipides plaisants, bouffons infortunés,
D'un jeu de mots grossiers partisans surannés.
Ce n'est pas quelque fois qu'une Muse un peu fine
Sur un mot en passant ne joue et ne badine,
Et d'un sens détourné n'abuse avec succès :
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès.
(Boileau, Art poétique (1674), chant II, v. 105-136)

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(6)

Le P. Bouhours, en 1675, parle encore des quolibets ou turlupinades comme de "misérables pointes" :

Pour les quolibets, depuis que notre langue est devenue raisonnable, elle les hait encore plus que les proverbes. [...] les quolibets ne sont, à proprement parler, que de misérables pointes. [...] Je ne parle pas seulement des vieux quolibets qui sont dans la bouche du petit peuple [...] Je parle des quolibets qui se font tout de nouveau, en écrivant ou en parlant, et dont ceux qui écrivent ou qui parlent se savent quelquefois bon gré.
Un écrivain qui aura l'esprit tourné au quolibet pensera être fort agréable en disant, pour se moquer d'une exclamation que son adversaire aura faite : son grand O n'est qu'un 0 en chiffre. [...] Un homme à quolibets ne manquera pas de jouer sur un nom dans des écrits injurieux. [...][Ici Bouhours cite un jeu de mot d'un ministre de Vienne]. Il faut avoir le goût bien méchant, pour trouver bon un mot de cuisine. Rien ne fait plus mal au coeur que ces allusions fades, qui n'ont ni sel ni grâce : et je ne sais si je n'aimerais point autant la plaisanterie de ce prédicateur si fameux, qui prêchant devant un grand prince, et ayant pris pour son texte omni caro foenum, commença par dire: Monseigneur, foin de vous, foin de moi, foin de tous les hommes,omni caro foenum. Mais à parler sérieusement, la turlupinade du ministre de Vienne, et celle du prédicateur de Paris se valent bien : [...] l'un et l'autre blessent la dignité de notre langue, qui ne peut souffrir qu'on plaisante mal à propos et grossièrement.
(P. Bouhours, Remarques nouvelles sur la langue française [1675], S. Mabre-Cramoisy, 1676, p. 509-511)

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(7)

On dit des allusions, des équivoques et des turlupinades qu'elles ne valent rien quand on les donne pour bonnes ; mais qu'elles sont bonnes, quand on les donne pour ne valoir rien.
(Menagiana, 1729, p. 184)

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(8)

L'autre [raillerie] qui est toute innocente, peut entrer dans la conversation des honnêtes gens : le secret n'est que de la bien tourner : car non seulement il faut avoir du feu, et imaginer heureusement,ce que l'on appelle les bons mots, mais il faut avoir l'esprit net et juste, pour leur donner un tour juste. En effet, cette raillerie ne consiste pas à faire le folâtre, l'enjoué et le rieur sans sujet ; à dire de petites pointes plates, et tirées de sujets bas et communs [...] mais à penser et à dire quelque chose de nouveau, de brillant et d'élevé, conforme à la qualité des personnes qui parlent et qui écoutent, et de le dire bien à propos.
C'est pourquoi, si par l'expérience que l'on peut en avoir faite depuis que l'on est au monde, on se sentait l'esprit pesant, il faut s'abstenir entièrement de la raillerie ; car elle retourne sur son auteur, en ce que personne n'en rit, que pour se moquer de celui qui la fait mal.
(Courtin, Nouveau traité de la civilité, chapitre XXVIII: "De la Raillerie", p. 298)

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