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Ton avis est intéressé


" Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône. - Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois.".
Don Juan ou le Festin de pierre, III, 2

La question de savoir si les bienfaits peuvent être intéressés est discutée par La Mothe le Vayer dans les "petits traités"

Il en avait été également question dans le traité "Des bienfaits" de Sénèque (3)


(1)

Il y a de certaines mesures à tenir, non seulement par ceux qui reçoivent une gratification, mais encore du côté de ceux qui la font. [...] L'or n'étant pas de mise dans Sparte du temps de ce philosophe, ses habitants n'obligeaient jamais pour en profiter comme les autres Grecs, mais purement pour faire des actions d'honneur ou de justice. Leur bienfaits n'étaient jamais intéressés, non era la charità pelosa, comme on parle à Rome [...]
Je vous dirai ce que je pense qui doit être observé, soit de la part de la personne qui fait une grâce, soit du côté de celle qui la reçoit.
A l'égard du bienfaiteur, il doit surtout se souvenir que les grâces dont nous venons de parler ont reçu leur nom de la gaieté qui les doit toujours accompagner [...] Sans mentir il y a des personnes qui obligent d'une si mauvaise façon qu'on dirait presque qu'ils jettent le pain à la tête de ceux à qui ils donnent; et je parle ainsi me souvenant que de tels bienfaits, accompagnés de dureté et qui mortifient celui qui les reçoit ont été nommés panes lapidosi.
[...]
Celui qui reçoit un bienfait, quoiqu'il ne joue pas le principal personnage, n'étant que patient et que content de l'utilité de l'action, toute l'honnêteté semble regarder son bienfaiteur; ne laisse pas néanmoins d'être obligé à beaucoup de circonstances et de conditions qu'il ne peut omettre sans faillir. [...] Par-dessus tous ceux de cette nation, les Athéniens ont été diffamés de cette honteuse prostitution à demander incessamment, d'où est venue cette commune raillerie Atticus moriens porrigit manus. Nous n'en voyons que trop parmi nous qui font profession de cette chiromancie, et qui ne jugent du coeur des personnes que par la main qui leur donne. Les uns demandent bassement, quoique sans pudeur ; les autres le font avec plus d'adresse, mais avec la même importunité, employant en un besoin le fate ben voi des Italiens, qui n'est bon que dans les termes de la religion.
(éd. des Oeuvres de 1756, VII, 1, p. 236-238)

(2)

Pour obliger comme il faut, on ne doit jamais faire plaisir avec le dessein d'en retirer du profit, ni songer à la récompense d'une action, qui pour se rendre vertueuse a besoin d'être toute pure, et sans réflexion sur celui qui la fait. [...] Celui qui n'est libéral qu'à cause qu''il se promet qu'on usera de reconnaissance en son endroit, fait plutôt l'action d'un usurier que d'un homme vraiment vertueux. Aussi peut-on dire que l'obligation n'est pas grande, qui ne se contracte que par des bienfaits de cette nature et que l'amour-propre rend rétroactifs. L'intention est celle qui imprime le caractère de bonté ou de malice sur toutes nos actions.
[...]
La nature du bienfait demande une action qui se porte toute au-dehors, et qui ne rejaillisse jamais sur celui qui la fait pour y chercher son avantage.
(éd. des Oeuvres de 1756, III, 1, p. 35-39)

(3)

Depuis qu'il y a du dessein de gagner, il n'y a plus de bienfait. Je donnerai ceci, j'aurai cela. C'est une enchère.
(trad. de Malherbe, éd. de 1660, p. 166)




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