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Si tout cela s'est bâti de lui-même


"Je comprends fort bien que ce monde que nous voyons, n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s'est bâti de lui-même? Vous voilà vous, par exemple, vous êtes là; est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ?"
Don Juan ou le Festin de pierre, III, 1

Une argumentation semblable avait été développée pour démontrer la providence divine

Elle répondait à une idée formulée dans le De natura rerum de Lucrèce (5), fréquemment combattue dans la littérature religieuse apologétique, entre autres

mais également dans La Recherche de la vérité (1675) de Malebranche (8)


(1)
Ouvrez donc les yeux, ô mortels, contemplez le ciel et la terre, et la sage économie de cet univers; est-il rien de mieux entendu que cet édifice? est-il rien de mieux pourvu que cette famille ? est-il rien de mieux gouverné que cet empire? Ce grand Dieu qui a construit le monde et qui n'y a rien fait qui ne soit très bon, a fait néanmoins des créatures meilleures les unes que les autres. Il a fait les corps célestes qui sont immortels; il a fait les terrestres qui sont périssables, il a fait des animaux admirables par leur grandeur; il a fait les insectes et les oiseaux qui semblent méprisables par leur petitesse. Il a fait ces grands arbres des forêts qui subsistent des siècles entiers; il a fait les fleurs des champs qui se passent du matin au soir. [...]
Que si vous les voulez connaître en vous-mêmes, regardez, le corps qu'il vous a formé et la vie qu'il vous a donnée. Combien d'organes a-t-il fabriqués, combien de machines a-t-il inventées, combien de veines et d'artères a-t-il disposées, pour porter et distribuer la nourriture aux parties du corps les plus éloignées ! Et croirez-vous après cela qu'il vous la refuse ? Apprenez de l'anatomie combien de défenses il a mises au-devant du cœur, et combien autour du cerveau; de combien de tuniques et de pellicules il a revêtu les nerfs et les muscles ; avec quel art et quelle industrie il vous a formé cette peau qui couvre si bien le dedans du corps, et qui lui sert comme d'un rempart ou comme d'un étui pour le conserver.
(Premier Sermon pour le quatrième dimanche de Carême, p. 301)

(2)

N’est-il pas étrange que les gens qui combattent la religion ne viennent qu’avec des doutes, des contes frivoles, des railleries froides, attaquer dans nos esprits une vérité établie par tant de preuves si convaincantes? Vous nous opposez les rêveries de Démocrite et d'Epicure, les réflexions de quelque autre auteur, qui a ramassé je ne sais quels exemples obscurs qu'il faut croire sur sa bonne foi, et qui ne prouvent rien,suppose même qu'ils soient véritables ; et moi je vous oppose le consentement Universel de tous les siècles et de toutes les nations, j'oppose, à vos maîtres, les démonstrations des théologiens, auxquels ils ne peuvent répondre qu'en découvrant leur ignorance, je leur oppose la voix de toute la nature, tous les docteurs, toutes les académies de l'univers. Dieu, souverain maître et du ciel et de la terre, puissante main qui avez donné sa forme à la voûte céleste suspendue sur nos têtes, qui l'avez semée d'étoiles, qui avez créé le soleil et fixé tous ses mouvements , qui avez arrange toute celte machine avec tint d'art, qui en avez si bien réglé tous les ressorts, que depuis six mille ans aucun ne s'est encore démenti ; bras tout-puissant, qui soutenez cette lourde masse au milieu des airs, qui l'avez rendue féconde par la révolution si juste et si nécessaire des saisons, qui avez creusé les abîmes de l'océan, qui les avez remplis d'eaux intarissables, qui faites vivre une multitude innombrable de poissons de tant d'espèces différentes, dans ce même élément où périssent les autres animaux ; créateur éternel qui avez formé de rien cet homme dont la structure admirable se trouve propre à tant d’actions et de mouvements différents, qui lui avez donné une âme et des facultés capables de mille fonctions.
(Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés publiés par l'abbé Migne, 1844-1866, t. VII, p. 1555-1556)

(3)

Or il est certain que rien ne nous conduit, ni ne nous force si puissamment à confesser une divinité, que la considération de cet ordre admirable que nous voyons dans tout l’univers. Car les choses invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se démontrent et se donnent à connaître par la considération de ses ouvrages. [Ad. Rom. v. 20].
Que si la connaissance des choses naturelles nous mène, comme par la main, à la divinité, les médecins qui s’y appliquent par le dû de leur profession y doivent servir de guide aux autres hommes ; Et en leur particulier, la reconnaître, la confesser, et lui rendre un culte religieux ; La science de la nature montre qu’il y a un Dieu, par ses effets ; ce qu’il semble que les Saintes Lettres ne fassent pas ; elles le supposent […].
Je veux seulement dire qu’elle [la connaissance du monde] nous conduit à une première cause, qui est Dieu, duquel le monde est le temple, et où l’homme est introduit dès sa nativité, pour y contempler des natures […][en marge : Plutarque, Du repos de l’esprit] que la divine pensée a faites sensibles, pour représenter les intelligibles, ayant empreint en elles des principes de vigueur, et de mouvement ; c’est à savoir le soleil, la lune et les étoiles, et les rivières jetant toujours eau fraîche dehors ; et la terre qui envoie et fournit sans cesse la nourriture aux animaux, et aux plantes : on voit par là que les éléments, le ciel, et les astres, nous sont des miroirs, où nous devons voir l’artifice de celui qui a ordonné toutes choses.
C’est cette même voie que Galien a suivie pour y parvenir. Il n’y a point de maison, dit-il, qui n’ait son architecte […] et dirons-nous que ce tout, si bien composé n’ait pas été construit par quelque puissante intelligence ? Que ses parties qui sont si bien arrangées, ne le soient par une sagesse admirable ?
(p. 15-18)

Ainsi par un raisonnement qui monte de l’effet à la cause, nous connaissons que ces choses doivent avoir un auteur, étant incompatible qu’une chose soit cause de soi-même »
(p. 20)

Si nous considérons comme les choses vivantes se multiplient ; nous serons contraints de reconnaître que la puissance de Dieu s’y déploie tout à plein […] Que l’on considère seulement comment un arbre qui se pousse d’un simple pépin mis en terre, envoie ses racines en bas […], comment il envoie son tronc en haut, et l’enveloppe par dehors d’une écorce […].
Nous considèrerons la génération des animaux, en faisant seulement quelque réflexion sur celle de l’homme. Si nous remarquons avec exactitude, son origine et sa production, quant à la conformation de son corps, nous avouerons que c’est une chose capable de donner de l’étonnement, que de cette vertu qui est dans une matière si sale et si abjecte, il en résulte un si beau tissu de parties, qui sont si bien situées, avec un ordre qui est si convenable à chacune, et qui ont une si agréable liaison entre elles, et une si efficace disposition pour leur usage, et pour leur action. »
(p. 28-32)

(4)

Cette diversité de Figures d'Arbres, d'Animaux, de pieces d'Architecture, et autres representations qui se voient dans les Agates et dans les Petrifications sont bien quelque chose d'admirable? Il est vray; mais quoy qu'on die des formes des Animaux: Veritablement s'il n'y avoit qu'une certaine multitude de parties diversement meslées au Hazard, peutestre pourroit-on attribuer cela à la Fortune; mais que dans cette multitude innombrable il n'y en ait pas une qui ne soit de la grandeur qu'il faut, qui ne soit placée où il faut, qui ne pour n'estre pas inutile, ou pour ne pas pouvoir estre d'une d'une main tres sage, et tres intelligente, mais l'effect de la Fortune; c'est ce qui ne se concevra jamais.
(éd. de 1684, p. 146) (indication aimablement fournie par Anne-Laure Brachet)

Véritablement si le monde, ainsi que nous venons de dire du corps des animaux, n'était qu'un amas ou une masse informe et indigeste des parties mêlés sans aucune disposition et sans aucun arrangement convenable, de façon qu'il ressemblât à quelque tas confus de pierres, de poutres, de chevrons, de tables, de chaux, de sable, de tuiles, etc. il semble qu'il y aurait quelque sujet de dire qu'il se serait ainsi amassé et amoncelé par hasard ; mais comme il n'est rien moins que cela, et que le monde est bien plus stable dans ses parties, plus diversifié, plus orné, et plus enrichi que le palais le mieux bâti, et le plus artistement travaillé qui puisse être ; comment se peut-il faire qu'il se trouve des hommes qui, étant persuadés qu'un palais magnifique n'est point l'ouvrage du hasard, mais un effet de la sagesse et de la conduite d'un savant architecte, ne jugent pas la même chose de la fabrique du monde ?
(éd. de 1684, p. 250-251)

(5)

nullam rem e nihilo gigni divinitus umquam.
(I, v. 150)

ce principe que nulle chose ne se fait jamais de rien.
(trad. Michel de Marolles, 1659 ; p. 9)

quas ob res ubi viderimus nil posse creari
de nihilo, tum quod sequimur iam rectius inde
perspiciemus, et unde queat res quaeque creari
et quo quaeque modo fiant opera sine divom.
(I, v. 155-158)

Mais quand nous aurons vu que nulle chose ne peut être créée du néant, qui est l'opinion que nous suivons, nous découvrirons nettement les suites, et de quoi et comment toutes choses peuvent être formées sans qu'il soit besoin de recourir au ministère des dieux.

(6)

Pour établir cette vérité, j'entreprends de détruire son contrair, l'erreur et le mensonge de ceux qui tiennent que ce que nous appelons ordre et disposition dans l'univers n'est pas un effet de cette suprême raision, de cet unique esprit, comme a dit autrefois Manile après les Stoïques, par qui toutes les parties de la nature sont assemblées ; mais une pure rencontre de la Fortune.
(n. p.)

Lucrèce abandonne tout au hasard, les plantes, les animaux, les cieux, les éléments, les mondes innombrables, les dieux et les hommes.
("Dialogue où il est prouvé contre les sectateurs d'Epicure que le monde est trop parfait pour être fait par hasard", p. 3)

Sect. II Qu'une sagesse universelle a donné l'ordre à toutes choses
Et c'est ce que raconte à tous les yeux de la terre l'ordre et la beauté des créatures, qui par un langage visible, comme l'a dit quelqu'un des Grecs, célèbre la main sage et puissante qui premièrement arrondit les cieux, étendit les campagnes et les plaines, éleva les montagnes, enfonça les vallons et par les sources, des fleuves et des fontaines, comme par des veines larges et secondes donna l'aliment nécessaire aux animaux.
(p. 6-7)

Examinez, je vous prie, quelle a été la première production de tant d'espèces, de reptiles, de poissons et d'oiseaux ; et s'il y a plusieurs mondes pour former tant d'ours et de lions, d'aigles et de milans, de dauphins, de baleines, de chênes, d'ormes et de sapins, de minéraux et de simples, combien en un seul hasard qui premièrement les mit au monde il faut supposer de hasards !
(p. 131)

Voyez un peu quelle suite et quelle force d'arguments ? une chose a été faite par hasard, donc tout ce qui est au monde, lune, soleil, étoiles, terre, mer, plantes, hommes, animaux, furent premièrement faits ainsi.
(p. 146)

(7)

L'insensé a dit en son cœur : Il n'y a point de Dieu : » Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus. Les saints docteurs nous enseignent que nous pouvons nous rendre coupables en plusieurs façons de cette erreur insensée. Il y a en premier lieu les athées et les libertins qui disent tout ouvertement que les choses vont à l'aventure, sans ordre, sans gouvernement, sans conduite supérieure. Insensés, qui dans l'empire de Dieu, parmi ses ouvrages, parmi ses bienfaits, osent dire qu'il n'est pas et ravir l'être à celui par lequel subsiste toute la nature!
(p. 119)

(8)

il est ridicule de penser ou de dire, comme Lucrèce, que le hasard a formé toutes les parties qui composent l'homme.
(II, 4, éd. de 1688, p. 140)




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