Content-Type: text/html; charset=UTF-8

Ses yeux se sont tournés


"Là elle s'est prise à pleurer amèrement ; et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le coeur lui a manqué, et elle m'est demeurée entre les bras. [...] cela lui reprend de moment en moment et je crois qu'elle ne passera pas la journée."
L'Amour médecin, I, 6

Les symptômes du mal de Lucinde correspondent à ceux de la suffocation de matrice, si l'on en croit les traités médicaux contemporains, parmi lesquels ceux de La Framboisière (Oeuvres, 1631) (1), de Jean Liébault (Les Trois Livres et infirmités des femmes, 1649) (2), de Jean Fernel (La Pathologie, 1655) (3).

Charles Sorel, dans la nouvelle du Palais d'Angélie, attribue à la jeune Olynthe les mêmes symptômes de mélancolie amoureuse, lorsqu'on lui propose le mariage avec Spimandre (4).


(1)

Quand l'accès approche, la patiente devient pâle, stupide, morne, lâche et ne pouvant se tenir debout, se laisse tomber par terre, comme si elle était morte, pource que le courage et les jambes lui faillent. Au partir de là, elle est saisie d'un grand assoupissement et étonnement, demeurant sourde et muette, d'autant que les organes des sens sont surpris et empêchés; quelquefois elle entend bien, mais ne peut parler ; une autre fois elle rêve et dit merveilles.[...]
Si ce mal dure longtemps[...] bien qu'il semble sans danger, si est-ce qu'à chaque accès il fait courir fortune de la vie. Car, encore que plusieurs en relèvent et reviennent à elles, aucunes néanmoins meurent soudainement aux paroxysmes ou incontinent après.
(La Framboisière, "De la suffocation de matrice", Oeuvres, 1631, éd. de 1669, p. 488)

(2)

Suffocation ou étranglement de matrice est un mouvement de matrice vers les parties supérieures ou latérales, qui soudainement empêche la respiration, voix et parole à la femme,[...] les yeux sont fermés et le corps tombe incontinent sur l'épine. [...]
(J. Liébault, Les Trois Livres et infirmités des femmes, 1649, p. 409)

(3)

Entre les symptômes de la matrice, le plus fâcheux est la suffocation [...] Quand cette vapeur est parvenue jusques au cerveau, tantôt elle fait ce qu'on appelle fureur utérine, avec caquet, colère et inquiétude ou excite quelques autres sortes de folie, remplies de crainte et d'horreur; tantôt elle cause comme un profond assoupissement, qui fait tomber la personne comme si elle était frappée d'apoplexie, et demeurer sans mouvement, sans aucun sentiment et avec si peu de respiration que quelquefois on n'en remarque point du tout, comme si la femme était déjà morte et passée.
(J. Fernel, La Pathologie, 1655, p. 600-602)

(4)

Dès l’heure elle fit paraître une profonde mélancolie, qui fut suivie d’une étrange maladie d’esprit, laquelle lui prit la veille de ses noces, comme tous les parents tant de son côté que de celui de Spimandre furent chez Théliaste, et qu’ils lui donnèrent le contrat de mariage à signer. Ses yeux devinrent alors égarés ; et après s’être tue quelque temps, elle proféra des paroles si extravagantes, qu’on crut qu’elle avait perdu le jugement. Ce furent les trop profondes pensées qu’elle avait touchant Leonil, qui la réduisirent en cet état : mais cela était inconnu à tous, fors qu’à Alcidée, qui avait une extrême tristesse de ce que tout ce qu’elle avait inventé n’avait eu aucun effet.
(Le Palais d'Angélie, Paris, T. du Bray, 1622, p. 434-435)

La jeune fille s'était servie, plus tôt dans le récit, d'une feinte indisposition pour refuser de se rendre auprès de sa famille et d'assister à la discussion du contrat de mariage :

[...] elle se résolut de feindre qu’elle étoit grandement indisposée, et qu’elle n’avait pas assez de vigueur pour aller jusques à la salle pour trouver la compagnie qui y était, laquelle cependant ne pourrait rien arrêter en son absence. Cela ne lui fut pas difficile à faire, car déja les déplaisirs, les appréhensions, et les inquiétudes qui la travaillaient avaient assez ôté de couleur à son visage, pour forcer les plus incrédules à croire que son corps, par quelque concours de mauvaises humeurs, était réduit en très mauvais état.

Quand son père Theliaste la presse de venir malgré tout, la jeune fille insiste sur son état pour retarder le mariage :

À tout cela Olynthe ne répondit que par des gémissements qui persuadèrent à Theliaste qu’elle sentait quelque violente douleur : néanmoins le désir qu’il avait d’exécuter quelque chose de ce qu’il s’était proposé, fit qu’il la conjura derechef de se lever. L’état où je suis ne me le permet pas, répondit-elle avec une faible voix, je vous supplie de faire mes excuses envers ceux de qui vous parlez, et de retarder une entreprise qui maintenant est hors de saison, vu que vous seriez fâché de me donner à Spimandre en l’indisposition où je suis, et qu’il le serait aussi de m’y recevoir : Je crois que ni lui ni vous ne serez point marris d’attendre que j’aie repris mon embonpoint, afin que lorsque je l’aurai nous puissions faire de plus joyeuses noces.
(Ibid., p. 399-401)




Sommaire | Index | Accès rédacteurs