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Secrète mélancolie


"Mais vous plutôt, que faites-vous ici, et quelle secrète mélancolie, quelle humeur sombre, s'il vous plaît, vous peut retenir dans ces bois, tandis que tout le monde a couru en foule à la magnificence de la fête ?"
Les Amants magnifiques, I, 1

L'attitude de Sostrate correspond à celle qu'adopte un héros du roman Carmente (1666) de Mlle Desjardins :

Le seul Cléophile paraissait mélancolique au milieu de la joie générale, et regardant les préparatifs de la fête avec des sentiments différents de ceux des autres pasteurs ; à peine le jour qu’elle devait se faire commençait-il à paraître qu’il se déroba aux empressements de ses compagnons et, prenant la première route qui se présenta à ses pas, il s’enfonça dans le plus épais d’un bois.
(Oeuvres, 1720, p. 4)

Elle caractérisait aussi le comportement d'un des héros de la nouvelle Célinte (1661) de Madeleine de Scudéry, dont le prologue débute par le récit suivant :

Trois ou quatre jours après la magnifique entrée de la Reine, je fus me promener au bois de Vincennes, avec cinq ou six personnes de beaucoup de mérite [...] D'abord nous nous promenâmes quelque temps sans parler, puis tout d'un coup Lysimène s'arrêtant pour respirer l'air plus commodément : "Avouez la vérité, dit-elle en se tournant vers Mériante, vous êtes bien aise de vous voir hors du bruit et du tumulte, après avoir été forcé ces jours passés de vous y trouver par la curiosité universelle que tout le monde a eue de voir l'entrée de la Reine. - Il est vrai, répliqua-t-il, que je suis un grand ami du repos, du silence et de la solitude, et un grand ennemi de cette curiosité qui pousse tant de gens à chercher toutes les choses qui ne se peuvent voir sans foule, sans désordre et sans confusion.
(p. 1-3)

L'humeur sombre est aussi celle de Cléandre, qui ne peut prétendre aimer Palmis, princesse de haut rang (1), ou de Périnthe, qui se voit préférer son rival Abradate et finira par en mourir (2), deux personnages du Grand Cyrus (1656) des Scudéry, ainsi que celle d'Alvar dans l'Almahide (1661) des mêmes Scudéry (3).

Cette "secrète mélancolie" participe de "ce silence rêveur" auquel est adonné Euryale le héros de La Princesse d'Elide et que La Mothe le Vayer avait défini dans sa Prose chagrine (1661) comme un des critères de l'humeur atrabilaire.


(1)

Mais bien que cette Cour fût la plus belle chose du monde, Cléandre y étoit pourtant le plus malheureux Amant de toute la Terre : parce qu'encore qu'il fût adoré de toute la Cour, comme la Princesse Palmis ne savait point qu'il l'aimait, et qu'il n'osait même le lui dire ; il vivait avec un chagrin extrême ; et durant que le Prince Atys, Antaleon, Mexaris, Abradate, Adraste, Artesilas, et tous les autres de même volée se divertissaient, Cléandre seul soupirait en secret : ne pouvant toutefois s'empêcher de faire voir quelques marques de mélancolie dans ses yeux.
(4e partie, livre 1, p. 71)

(2)

Cependant Mexaris étoit au désespoir, de voir la magnificence d'Abradate, et combien toutes les Dames lui donnaient de louanges : Perinthe dans le fonds de son cœur, n'en était pas moins affligé : car ayant borné tous ses désirs, à pouvoir faire en sorte que Panthée n'aimât jamais rien, il avait une douleur extrême, de voir qu'Abradate était si aimable, et entreprenait si hautement de se faire aimer. Si bien que quelque violence qu'il se pût faire, il fut si mélancolique tout ce jour là, que Doralise s'en aperçut, et en fit même apercevoir la Princesse : qui lui en faisant la guerre, le mit dans la nécessité de lui répondre. Il lui dit donc, pour prétexter son chagrin, que la Musique faisait toujours cet effet-là en lui, sans qu'il en pût dire la raison.
(5e partie, livre I, p. 87)

(3)

Alvar s'enfonça dans un bois dont l'obscurité avait beaucoup de rapport avec sa noire mélancolie et son humeur sombre.
(t. II, p. 130)




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