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Savoir s'il faut qu'un amant soit jaloux


"Enfin, ce grand débat qui s'allume entre nous,
Est de savoir s'il faut qu'un amant soit jaloux."
Les Fâcheux, II, 4 (v. 401-402)

Clymène et Orante soumettent à Eraste une des questions d'amour, dont l'examen constitue l'une des activités principales des salons.

C'est bien ainsi que sera reçue la scène II, 4 des Fâcheux : dans ses Questions d'amour, ou Conversations galantes, dédiées aux belles (1671), Charles Jaulnay se référera explicitement à la formule par laquelle Eraste fait sa réponse (1).

Une autre réponse à cette question sera également apportée, sous la forme d'une maxime d'amour, dans un passage de Don Garcie de Navarre (v. 93-98 : "plus il est jaloux, plus nous devons l'aimer").

Plus largement, Molière reprend à son compte un thème que

Le thème est également développé dans Le Dépit amoureux ("jaloux jusques en un tel point"), dans L'Ecole des femmes ("cela vient de ce qu'il est jaloux", "jaloux à faire rire"), dans Le Misanthrope ("de tout l'univers vous devenez jaloux") et dans Don Garcie de Navarre ("cette jalouse humeur").

La question est en outre abordée du point de vue de la jalousie féminine dans la réponse à une question d'amour du Recueil contenant les maximes et lois d’amour de 1666 (5).


(1)

Qui est le plus amoureux, ou celui que l'impatience emporte à voir sa maîtresse avec des hasards, ou celui que la patience retient de peur des hasards qui l'empêcheraient de la plus voir ?
R. Il y faut répondre ce que Molière décide sur la question, lequel témoigne plus d'amour, d'un jaloux ou d'un autre : le premier aime plus, mais l'autre aime bien mieux.
(Charles Jaulnay, Questions d'amour ou Conversations galantes, dédiées aux belles, Paris, Loyson, 1671,p. 22)

--

(2)

Dans Le Procès de la jalousie (Paris, Pepingué, 1661), on assiste à un dialogue entre Alcippe, mari jaloux, et sa sœur Timoclée, qui lui raconte sa propre histoire (elle-même a été mariée à un jaloux) pour le persuader de renoncer à ce sentiment :

ALCIPPE : Ignorez-vous que la jalousie est un excès d’amour ?
TIMOCLÉE : Quoi ! Vous appelez un excès d’amour ce qui porte les plus cruelles marques de la haine ?
ALCIPPE : Ah ! Ne traitez pas si mal la jalousie. N’est-ce pas le propre de l’amour de nous inspirer un ardent désir de posséder seuls ce que nous aimons, et qui peut se vanter d’avoir plus fortement ce désir que les jaloux ; que la crainte qu’ils ont de perdre ce qu’ils aiment transportent hors d’eux-mêmes, et qui remuent le Ciel et la Terre pour se le conserver ? N’est-ce pas le fait d’une amour extraordinaire d’enchaîner tellement un homme à ce qui le charme qu’il est dans des appréhensions et des transports incroyables dès lors qu’il le perd de vue ? L’amour d’un jaloux est d’autant plus admirable qu’il s’accroît à mesure que celui de ce qu’il aime diminue […]
TIMOCLÉE :[…] C’est la marque de la haine la plus obstinée de croire une personne vicieuse, quelques témoignages qu’on ait de sa chasteté ; de noircir méchamment les plus saintes actions ; de persécuter tous les innocents.
(p. 71-74)

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(3)

Dans La Défense de la jalousie (Paris, P. Rocolet, 1642) de René Bary, la question est soulevée de savoir si la jalousie est mauvaise, ou si « elle est indifférente ». Théophane fait la proposition suivante :

afin de ne point ennuyer nos Juges, je suis d’avis que nous bannissions de notre jalousie celle des ambitieux et des maris ; Et que comme celle des galants est la plus belle et la moins embarrassante, nous la prenions pour le sujet de notre dispute
(p.47).

Contre la jalousie. Clisante.
Il y a deux sortes d’amour, l’un est parfait, et l’autre ne l’est pas ; celui-là est accompagné d’une crainte respectueuse ; Et celui-ci d’une jalouse crainte. […] Comme la jalousie embarrasse l’esprit et l’altère, il ne faut pas s’étonner si la conduite est deffectueuse, et si elle est plus nuisible que considérable. […] le désir de savoir s’il est aimé ou s’il ne l’est pas le violente tellement qu’il qu’il suit jusques à l’Eglise celle dont la conduite lui est suspecte. Il caresse les servantes et les valets, il leur fait quantité de dons, mais ses présents sont ses ennemis : et plus il tache d’être assuré de ce dont il est incertain, et moins il réussit son entreprise […]. J’excuserais la curiosité du Jaloux si la défiance était modérée, mais elle est tellement excessive que tout ce qui lui devrait servir de remède lui sert de poison.[…] Tout l’embarrasse, ou lui déplait, Et si la jalousie trouve mille portes pour entrer en son âme, elle n’en trouve pas une pour sortir […]. Cette dangereuse passion se contracte sous titre de bienveillance, et depuis qu’elle dispose du sujet où elle est attachée, sur le mêmes fondements d’amour, elle bâtit une haine capitale. Elle diminue ce qu’elle devrait enchérir, et elle augmente ce qu’elle devrait diminuer. […] La jalousie est ennemie de la raison.
(p.49-56).

Supposons que l’un et l’autre [le jaloux et l’aimée] soient spirituelles, la crainte dont il s’agit [celle du jaloux] est désavantageuse au jaloux. Et cette vérité est si claire que c’est lui faire tort que de la prouver, elle est désavantageuse au jaloux parce qu’elle confirme l’opinion qu’a l’aimée du mérite du rival, et elle produit cet effet parce que comme l’aimée s’imagine que le jaloux la tient pour prudente, elle croit fermement qu’il n’appréhende son élection, que parce qu’il a reconnu en celui qu’il craint des qualités extraordinaires.
(p.58-59).

[les défenseurs de la jalousie] disent que comme le soleil n’est jamais sans lumière, l’amour n’est jamais sans jalousie, et que comme l’éclair est le signe de la foudre qui va éclater, la jalousie est une marque de l’amour qui va paraître vivement. Mais quoi que cette comparaison semble pressante, si est-ce qu’elle est faible, et qu’elle est plus digne de mépris que de réponse. Comme le soleil en son midi ne jette point d’ombre, l’amour en sa perfection ne souffre point d’ombrage, et comme l’éclair est le signe de la foudre qui va crever la nue, épouvanter l’ouie et faire des ravages ici-bas, Ainsi la jalousie est le signe d’un amour qui va perdre le respect et l’honneur, et qui va même exercer toutes les cruautés dont ses fureurs sont capables. […] la plupart des philosphes ont reconnu que comme la fièvre était le signe d’une vie imparfaite, la jalousie était une marque d’un amour défectueux, et que comme par le venin de la fièvre, l’on passait souvent de la vie à la mort, par celui de la jalousie, l’on passait souvent de l’amour à son contraire.
(p.64-66)

Pour la jalousie. Théophane.
[l’amant qui] n’a presque plus de jalousie [..] n’a quasi plus de désir.
(p.77)

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(4)

Véritablement il n’y a pas moins de sottise à croire qu’il n’y a plus d’amour dans un esprit quand il devient jaloux, que de penser qu’un homme n’a plus de vie parce qu’il est malade. Au contraire, comme la douleur et le sentiment ne se trouvent pas dans les morts, la jalousie aussi ne se rencontre jamais où il y a de la haine et de l’indifférence. Et il faut bien que cette passion ait quelque apparence de raison, puisque Dieu même autrefois permettait aux maris d’éprouver la fidélité de leurs femmes avec une eau qu’ils appelaient de probation ou de jalousie. Si les soupçons étaient si extravagants et si injustes, Dieu les eût défendus au lieu de les guérir par des remèdes si solennels, et eût témoigné de l’horreur plutôt que de la compassion.
(Du Bosc, L’Honnête Femme, Paris, P. Billaine, 1632, p.317-318)

il n’y a que les médiocres esprits qui soient capables de cette contagion, les excellents sont au-delà, les petits sont au deça.
(Ibid., p.331)

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(5)

Savoir qui témoigne plus d’amour de l’extrême jalousie ou de l’extrême confiance.
Quoi serez-vous toujours contente
Vous louerez-vous toujours de moi,
Votre flamme Philis n’est pas trop violente :
Car un grand amour nous tourmente
Et souvent sans raison nous donne de l’effroi,
Enfin l’extrême confiance
Est proprement indifférence.
(Recueil contenant les maximes et lois d’amour, Rouen, Jean Lucas, 1666, éd. dans le Recueil contenant un dialogue du mérite et de la fortune, Les Maximes et lois d’amour, Plusieurs lettres, billets doux et poésies, Rouen, Jean Lucas, 1667, p. 78)




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