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Savoir ce que c'est d'être honnête


"- Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une bête
Puisse jamais savoir ce que c'est d'être honnête ? [...]
Une femme d'esprit peut trahir son devoir ;
Mais il faut pour le moins qu'elle ose le vouloir ;
Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire,
Sans en avoir l'envie et sans penser le faire."
L'Ecole des femmes, I, 1 (v. 107-116)

L'idée qu'une femme sotte est plus susceptible qu'une femme d'esprit de tromper son mari est défendue par la duchesse dans La Précaution inutile (1655) de Scarron (1) et dans La Précaution inutile (1656) de d'Ouville (2).

Elle est également explicitement formulée dans L'Ecole des cocus (1661) de Dorimond (3).

L'abbé du Bosc, en 1632, défendait déjà l'éducation des femmes comme moyen pour elles de connaître la vertu et de la suivre (4).

La question était également soulevée dans le traité de Grenaille L'Honnête fille (1639-1640) (5).

En 1693, l'ouvrage de F. de Callières Du bon et du mauvais usage proposera une réflexion sur ce sujet (6).

Ce débat est celui de savoir si "épouser une sotte est pour n'être point sot", s'il faut même aller jusqu'à préférer à une belle spirituelle "une laide bien sotte" ou s'il n'est pas davantage à craindre d'"avoir toute sa vie une bête avec soi".


(1)

Dans La Précaution inutile de Scarron, la duchesse défend la position suivante :

Je vous vois dans une grande erreur [...] Et qu'entendez-vous par bien élevée ? ajouta-t-elle. J'entends honnête femme, répondit le Grenadin. Et comment une sotte sera-t-elle honnête femme, répartit la belle dame, si elle ne sait pas ce que c'est que l'honnêteté, et n'est pas même capable de l'apprendre ? comment une sotte vous pourra-t-elle aimer, n'étant pas capable de vous connaître ? Elle manquera à son devoir sans savoir ce qu'elle fait, au lieu qu'une femme d'esprit, quand même elle se défierait de sa vertu, saura éviter les occasions où elle sera en danger de la perdre.
(La Précaution inutile de Scarron (extrait), p.107)

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(2)

Et comment, lui répondit la Duchesse, voulez-vous qu’une femme sache, en quoi consiste l’honnêteté si elle ne sait pas ce que c’est d’être honnête ? Ne savez-vous pas que le sot pèche, et qu’il ne sait pas en quoi ? Une personne d’esprit sait éviter les pièges où la sotte tombe par imbécillité, et par imprudence. Je trouve votre maxime fort mauvaise, car en effet une femme avisée trouve en sa sagesse un frein bien puissant pour se retenir aux occasions, et pour ne s’oublier jamais de son devoir [...].
(La Précaution inutile de d'Ouville, p. 93-94)

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(3)

[..] je veux vous donner une bonne leçon.
Vous voulez épouser une sotte, un oison,
Une beauté stupide, une pauvre ignorante,
Pour n'être point trompé, pour qu'elle soit constante ?
Que c'est un animal méchant et dangereux
Qu'une femme ignorante et qu'il est vicieux.
Une beauté subtile, une gentille femme,
En trompant son mari saura cacher sa flamme.
Mais la niaise enfin, en l'actéonisant,
N'aura pas au besoin l'esprit assez présent
Ne saura pas non plus, en faisant la colère,
Sortir bien à propos d'une méchante affaire.
Et souvent, Capitant, une sotte fera
Son pauvre home cocu, et l'en avertira.
(sc. IV, p. 21-22, LIEN)

(4)

Dans L'Honnête femme (1632), l'abbé du Bosc écrit :

si je veux soutenir comme mon dessein m’y oblige qu’une dame doit être savante pour paraître dans les conversations, peut-être que ce sentiment offensera d’abord celui des ignorants et des stupides qui s’imaginent [sic] pour trouver de la ressemblance partout qu’une femme ne peut étudier ni lire sans oublier l’honneur et la vertu, ou pour le moins sans être en peine de se justifier. Mais ceux qui en jugent si témérairement méprisent ce qu’ils devraient désirer […] au lieu de se représenter que celles qui n’ont pas assez de jugement pour connaître le vice n’en ont pas davantage pour faire choix de la vertu, ou pour savoir préférer selon les occasions la vérité à l’apparence. Aussi ceux qui entendent quelque peu la morale ne sont pas de cet avis, puisque nous reconnaissons tous les jours dans l’expérience que la lumière de la raison est comme une vertu naturelle qui nous dispose à faire le bien presque sans étude, et que rarement nous voyons un bon esprit sans une bonne conscience. Le secours des lettres fortifie cette bonne inclination, et ceux qui se persuadent que la lecture des livres est un [sic] école pour apprendre à faire le mal avec adresse auraient meilleure grâce de croire que les Dames y trouvent plus d’armes pour se défendre que pour se blesser, et plus de moyens de vaincre que d’être vaincues.
(p.172-175)

ceux qui disent qu’elles tirent un grand avantage de leur ignorance ne font-ils pas trop d’honneur à cette niaise et ridicule simplicité de village qui d’ordinaire se défend fort mal des occasions, et qui fait peu de résistance contre l’importunité du premier qui les presse et qui les sollicite ? Ou si ce sentiment est bon, les aveugles n’auraient-ils pas bien gagné en perdant la vue, si c’était assez de fermer les yeux pour éviter un précipice ? Dans la Cour comme dans l’océan, il faut savoir les écueils si on ne veut faire naufrage, et si les Dames font le mal après l’avoir connu, on doit remettre la cause de ce malheur dans leur dessein et non pas dans leur connaissance. Autrement si toute sorte de lecture ou de science leur est interdite, on verra naître mille désordres de leurs ignorances […].
(p. 183-185)

Ceux qui se défient d’une femme quand elle sait quelque autre chose que son chapelet, vivent selon les proverbes et n’oseraient faire une chose quand on leur dit que nos ancêtres ne l’ont point pratiquée, ce sont faibles d’esprit qui méritent ce qu’ils craignent et qui fondent leurs soupçons sur les raisons mêmes qui leur devraient donner de l’assurance.
(p.187-188)

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(5)

Grenaille, dans L’Honnête fille (1639) traite également des questions suivantes :

« Combien l’esprit des femmes et des filles est dangereux » (p.20)
"Défense de l’esprit des femmes et des filles" (p.60)
"Que l’honnêteté de l’esprit ne peut subsister sans la bonté de l’esprit" (p. 122)
"Que les filles doivent avoir de l’esprit ne serait-ce que pour résister aux artifices des amoureux" (p. 138).

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(6)

En 1693, F. de Callières, dans Du bon et du mauvais usage, écrit :

Il y a des gens, dit le Duc, qui, bien loin de les [les femmes] vouloir plus savantes qu'elles ne sont, voudraient augmenter leur ignorance, et je connais des maris qui croient avoir de bonnes raisons de souhaiter que leurs femmes n'eussent jamais appris à lire et à écrire. Je les crois dans l'erreur, répondit le Commandeur : une femme bien élevée, et qui a travaillé de bonne heure à éclairer son esprit et à perfectionner sa raison, est moins capable de faillir qu'une ignorante, qui ne connaît que les mouvements d'une nature corrompue, et qui n'est point excitée à la vertu par de bons préceptes et par de grands exemples.
(p. 128-129)




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