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Satire première
- Jacques DU LORENS, "Satire première", Les Satires de M. Du Laurens, Paris, Antoine de Sommaville, 1646
Cette satire présente plusieurs points de rencontre avec Le Tartuffe :
- armés contre ma comédie
- à deux genoux
- il faisait des soupirs
- couvrez ce sein
Avec la "Macette" de Mathurin Régnier, elle permet de prendre la mesure des lieux communs sur la fausse dévotion qui prévalent auprès des contemporains de Molière.
- Que je suis dégoûté de la plupart des hommes,
- Plus je les considère en ce temps où nous sommes ;
- Mais sur tous je hais ceux dont le semblant est doux,
- Qui n'entendent jamais la Messe qu'à genoux,
- S'ils parlent c'est de Dieu, de sa bonté suprême,
- De se mortifier, renoncer à soi-même,
- Ils disent à tous coups qu'avecque son prochain
- Il faut traiter en frère, et le cœur à la main,
- Que le monde n'est pas l'éternelle demeure,
- Et qu'il en faut partir, mais qu'on ne sait pas l'heure.
- Après avoir tenu ce langage des Cieux,
- Croirais-tu bien, MONSIEUR, qu'ils sont fort vicieux,
- Et que celui d'entre eux qui fait plus d'abstinence,
- Dont la face est plus triste, a le moins d'innocence,
- Est prêt sans marchander à faire un mauvais tour,
- Pour ne tenir parole à chercher un détour,
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- Il prend son avantage en concluant l'affaire,
- Encor que comme un Prêtre il dise son Bréviaire :
- S'il rit c'est un hasard, et ne rit qu'à demi,
- C'est avec un baiser qu'il trahit son ami,
- Plus amateur de bien que Midas ni Tantale,
- Je le vous garantis harpie originale :
- Il se laisse quasi mourir de faim chez lui,
- Mais il parle des dents à la table d'autrui ;
- Après ses Oraisons, est-il hors de l'Église,
- À son proche voisin il trame une surprise,
- Et lui rend des devoirs sous couleur d'amitié,
- Mais s'il a de l'argent il en est de moitié,
- Il flatte son esprit avec certain ramage,
- Qui l'attire, le charme et doucement l'engage ;
- Il cajole sa femme, et la prie en bigot,
- De faire le péché qui fait un homme sot ;
- Encor qu'il soit tenu plus chaste qu’Hyppolite,
- Il est aussi paillard ou plus qu'un chien d'Ermite,
- Surtout habile à prendre et le temps et le lieu
- Propres à demander la pièce du milieu ;
- Elle qui le croit saint afin de lui complaire,
- Et croyant mériter le laisse humblement faire :
- Et dehors et dedans il est tout contrefait,
- Il n'omet rien afin qu'on le croie parfait,
- À l'abord d'une femme il est froid et recule,
- Encore qu'à l'aimer il soit la canicule :
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- Au reste à l'entretien il est si papelard,
- Que vous ne diriez pas qu'il eût mangé le lard ;
- À sa douce façon et modestie extrême,
- Il paraît innocent ou l'innocence même ;
- Il porte un cœur de sang sous un dévot maintien,
- S'il prête c'est en Juif sous l'habit de Chrétien,
- Et son debteur [sic] le fuit, de même s'il faut dire,
- Qu'un voleur un Prévôt, une Nymphe un Satyre ;
- C'est le plus inhumain de tous les créanciers :
- Je le sais pour avoir été sur ses papiers.
- S'il plaide, pensez-vous, il plaide main garnie,
- Gardez vous bien de lui les jours qu'il communie ;
- C'est lors que son prochain il tâche de tromper,
- Et dans un vieux dessein s'il peut l'envelopper ;
- On le prend pour béat à sa mine, à son geste,
- Mais son discours de miel le fait juger céleste ;
- On fait tout ce qu'il veut, on ne penserait pas,
- Qu'il voulut décevoir après ce saint repas ;
- De la religion il dispute, il babille,
- Et vous fait un procès dessus un point d'aiguille,
- Humble à l'extérieur et superbe au dedans,
- Il a tout seul du faste autant que six Pédants,
- Et lui semble que Dieu ne voit pas ses fredaines,
- Ou qu'il n'ait pas de soin des affaires humaines ;
- Il se tient assuré du royaume des Cieux,
- Sous ombre qu'en priant il a fait les doux yeux :
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- Il traite avecque Dieu de ruse et de finesse,
- Et pense l'attraper ayant plus d'une Messe.
- À son petit collet de moi je le connais,
- Et m'est aussi suspect qu'aux Troyens les Danois*,[*comprendre: les Danaens ou Argiens, c-à-d. les Grecs]
- Il ne me prend jamais s'il ne me prend au gîte,
- Que dis-je il me craint plus, qu'un diable l'eau bénite ;
- Dieu merci qu'à présent il ne m'ose fâcher,
- Qu'il me fait compliment, sans pourtant m'approcher ;
- Il se doute et fait bien qu'un jour je ne le gratte,
- Moi qui suis de deux grains moins rassis que Socrate ;
- J'ai tant d'aversion pour ses mauvaises mœurs,
- Qu'un docte Médecin, qui connaît mes humeurs,
- M’assure que mon mal ne vient que d'une envie,
- De battre un hypocrite ou le priver de vie,
- « Dussiez-vous pas déjà vous en être acquitté,
- Il n'est rien ce dit-il si cher que la santé. »
- Puisqu'il vit de la sorte et qu'il tient cette voie,
- Ce n'est pas la raison que le Soleil le voie,
- Pense-t-il que celui qui gouverne les Cieux,
- Et qui nous a formez soit sourd ou n'ait point d'yeux,
- N'aurait-il jamais lu qu'il a des pieds de laine,
- C'est à dire qu'il va lentement à la peine,
- Ne sait-il pas aussi que ses bras sont de fer,
- Que peut-il à la fin espérer que l'enfer,
- Cet homme dont le cœur diffère du visage,
- Et chez qui les vertus ne sont point en usage,
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- Mais certaines façons dont le monde est pipé,
- Si d'un coup de tonnerre on le voyait frappé,
- Qui dirait sans rougir cet accident funeste
- Non de l'ire du ciel un signe manifeste ;
- Il ne mérite pas de mourir dans son lit,
- Ni d'avoir le moyen de pleurer son délit,
- Ce cafard importun avecque son teint blême,
- Plus libertin au fond qu'un moine de Thélème ;
- Toutefois dans le monde il est considéré,
- On lui fait plus d'honneur qu'il n'en eût espéré,
- Le plus farouche esprit pour lui se rend docile,
- Il ne rencontre point d'affaire difficile :
- Et passe pour dévot, mais sa dévotion
- Est entre vous et moi sujette à caution ;
- Tout ce qui la défend contre notre caprice,
- C'est qu'en ce joli siècle elle est de grand service ;
- L'univers est rempli de ces hommes fardés
- Souvent à leur profit leurs Procès sont vidés,
- Et font que leurs amis des leurs ont bonne issue,
- Je ne l'ai dit qu'à toi papier, bouche cousue.
- Bref que le bigotisme est un fort bon métier,
- Et qui rend vénérable un homme en son quartier ;
- C'est un plaisir de voir Jeanne qui bigotise
- Aller au pas ailleurs, mais au trot à l'Église,
- Grimacer en priant le visage étonné,
- Et ne point en sortir que midi n'ait sonné ;
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- Retournée au logis où chacun la révère
- Pour mieux dire la craint, c'est une autre Mégère,
- Feignant chiche qu'elle est, ses gens mourant de faim
- De pleurer ses péchés, elle pleure son pain ;
- Ce qui donne crédit ce n'est plus le mérite,
- C'est ce qu'il ne faut pas avoir peur que j'imite ;
- J'aimerais mieux mourir que d'avoir seulement
- Contraint pour sembler bon mon humeur un moment ;
- Le monde ne vaut pas qu'on use de souplesse,
- A-t-on faim de péter que par respect on vesse ;
- Le franc bigot fait tout pour gagner la faveur,
- C'est où son zèle tend, où vise sa ferveur,
- Prés de la ligne droite on connaît moins la courbe,
- Qu'au prix du vrai dévot il ne paraît qu'un fourbe,
- Qui ne le connaîtrait sitôt qu'il l'aurait vu
- Serait de jugement tout à fait dépourvu,
- Afin de m'expliquer il aurait la berlue,
- Sans clignoter des yeux jamais ne vous salue
- Et croit que pour se mettre au rang des vrais dévots
- Il ne faut que parler contre les Huguenots,
- Pourvu qu'en apparence on soit bon Catholique
- Qu'aux bonnes actions on peut faire la nique.
- Tel n'eut jamais l'esprit de ce vice infecté,
- Qui le feint pour un temps voyant l'utilité,
- Voyant qu'il règne tant, et qu'il est si commode,
- Pour la même raison qu'on s'habille à la mode ;
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- Qu'un esprit moutonnier par l'exemple s'instruit,
- Et subissant son joug en esclave le suit :
- Le bigot du bigot la requête entérine,
- Ils sont de même pâte et de même farine :
- C'est assez pour un coup le tenir sur les rangs,
- Quand j'y pense ma Muse il a trop d'adhérents,
- Je veux bien disant vrai qu' on croie que je rie,
- Ou que j'ai le cerveau troublé de rêverie.
- Si l'un de ces cafards se prétendant blessé,
- Encor qu'en lui je n'eusse aucunement pensé,
- Pour en avoir raison m'allait faire une instance
- Ce serait me livrer une mauvaise chance,
- Je ne veux voir chez moi ni diables ni sergents,
- Sans dire que ceux-ci ne soient de bonnes gens,
- Et puis savons-nous bien ce qui parfois nous pousse,
- Les plus fins repreneurs vendent fèves en gousse,
- Il s'en faut la moitié qu'un chat craigne tant l'eau,
- Que je crains seulement qu'on me nomme au barreau
- Plutôt que pour des vers on me voie en justice,
- Je fais vœu de bon cœur que ma veine tarisse.
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