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Sa naturelle paresse à soutenir la conversation


"Vous connaissez l'homme, et sa naturelle paresse à soutenir la conversation."
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. II

L'attitude de Damon correspond à celle de l'"homme de cabinet" rêveur, telle qu'elle est décrite dans la quatrième partie (1658) de la Clélie des Scudéry (1) ainsi qu'à celle de l'homme de lettres selon les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671) de Bouhours (2).

Un tel comportement est condamné dans le traité "De la conversation" du chevalier de Méré (3).

Cette propension à la "solitude purement philosophique" est présentée comme une caractéristique de l'honnête homme par La Mothe le Vayer dans son "petit traité" "De la conversation et de la solitude" (Opuscules ou petits traités, 1647) (4).


(1)

Il y en a une autre [chose] que je voudrais que je voudrais que l'on apprît à tous ceux qui ne le savent pas, qui est de penser à ce qu'on leur dit, et de n'aller pas rêver hors de propos en compagnie. Pour une petite distraction, ajouta-t-elle, je la pardonne, mais pour cet enchaînement de rêveries continuelles qu'ont certaines gens, qui ne sont jamais où on les voit, et qui ne sont même jamais en nulle part, je trouve qu'il est bon de s'en corriger. Car, quand on a tant de choses à penser, qui valent mieux que ce que l'on entend dire, il faut demeurer dans son cabinet à s'entretenir soi-même, puisqu'il y a sans doute de l'incivilité à n'écouter point du tout ce que l'on dit au lieu où vous êtes, et à compter pour rien la compagnie où l'on est, et pour moi, je suis persuadée qu’il n’y a que le murmure d’un ruisseau, et le bruit d’une fontaine, qu’on puisse écouter civilement en rêvant.
(Clélie, p. 673-674)

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(2)

les auteurs les plus polis et les plus exacts ne brillent pas toujours dans la conversation. [...] [Ils] sont trop délicats et trop chagrins ; ils ne se contentent presque jamais de ce qui se présente à eux ; ils ne disent presque rien dans les compagnies où ils se trouvent, pour trop penser à ce qu'ils veulent dire : comme ils sont accoutumés à rêver profondément, afin de bien tourner une pensée, ils sont le plus souvent distraits ; ils gardent quelquefois un silence morne dans une conversation enjouée [...].
(Entretiens d'Ariste et d'Eugène, p. 216)

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(3)

[...] quand on va dans le monde, il faut être ouvert et prêt à se communiquer ; car soit qu'on parle, on doit principalement chercher à s'y prendre en honnête homme; et je ne vois rien de plus malhonnête en compagnie que d'être recueilli et comme enfoncé en soi-même, et de ne dire qu'à regret et négligemment cela se peut, vous avez raison, ou j'en suis bien aise.
(Antoine Gombauld, chevalier de Méré, Discours de la conversation, dans Discours de l'esprit, de la conversation, des agréments, de la justesse, ou Critique de Voiture, éd. d'Amsterdam, Pierre Mortier, 1687, p. 78)

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(4)

Rien ne le peut empêcher alors d'être seul au milieu des plus grandes communautés que s'il s'était retiré dans le désert d'un bois obscur, d'une montagne inaccessible ou d'un rivage inhabité. Il y a bien plus : Sénèque veut qu'un honnête homme ne soit jamais si solitaire que quand il est dans la foule; et quoique l'autorité de ce grand personnage fût assez puissante pour faire valoir son sentiment, il se sert d'un précepte d'Epicure exprès pour cela, tunc praecipue in te ipse secede, cum esse cogeris in turba.
(La Mothe le Vayer, "De la conversation et de la solitude", Opuscules ou petits traités, 1647, éd. de 1756, II, 2, p. 235-236)




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