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Robinet, Lettre en vers à Madame du 31 mai 1670


Finalement, Muta-Férague,
A sa ceinture, portant, dague,
Et, dans l’Alcoran, graudé,
Extraordinaire Envoyé,
Du Grand Seigneur, et de la Porte,
Avecque sa leste Cohorte,
Et son magnifique, et beau Train,
S’en retourne, non sans chagrin,
D’abandonner le Domicile
Qu’il occupait en cette ville,
Ainsi que plusieurs autres Lieux
Si charmants, et délicieux,
Qui servaient à ses Promenades,
Où les Naïades, et Dryades
Donnent des embellissements,
Et font de doux enchantements
Qui ne sont point, ailleurs, qu’en France,
Et pas un Palais de plaisance,
Non pas même, en tout le Pays
Des Janissaires, et Spahis,
Où l’on ne voit nuls Domiciles,
Soit dans les plus célèbres Villes,
Soit aux plus beaux endroits des champs,
Qui soient des nôtres approchant.

Le sage Monsieur de Lyonne,
Grand Serviteur de la Couronne,
Et l’un des quatre (avec éclat)
Evangélistes de l’Etat,
Plein de lumière, et de prudence,
Donna le Congé, l’Audience,
L’autre jour, à cet Envoyé,
Qui fut, de joie, extasié
De se voir, dans les mains, remettre
La charmante Dépêche, ou Lettre
De notre Auguste, au Grand Seigneur,
Ne pouvant, avec plus d’honneur,
Et plus heureuse destinée,
Voir sa Mission terminée.

Il en témoigna hautement
Son aise, et son ravissement,
Ainsi que de la Fête, et Chère
Que l’on avait daigné lui faire
En cette florissante Cour,
Dont il voulait, à son retour,
Entretenir de bonne sorte,
Ce disait-il, sa grande Porte :
Ajoutant même, et protestant,
Qu’on en serait là, tout autant,
Au Sieur Olier, qui de Lutèce, [de Nointel Conseiller au Parlement de Paris.]
Son zèle, et sa bonne conduite,
Quoi le rendent d’un grand mérite,
Lui feront, certe, soutenir,
D’une manière à l’en bénir,
A l’en louer, et, dans l’Histoire,
En éterniser la mémoire.

Depuis, lesdits deux Envoyés,
Se sont visités, festoyés,
Fait civilités, et caresses,
Témoigné de grandes tendresses,
Par des Compliments bien stylés,
Et mêmes, entre régalés
De Parfums, Boissons, Confitures,
Et d’autres friandes Pâtures ;
N’oubliant pas, dans leurs Discours,
De mêler quelques Traits, toujours,
De la Grandeur des deux Monarques,
Dont, par de glorieuses marques,
Ils ont été choisis exprès,
Pour soutenir leurs Intérêts.

Comme ledit Muta-Ferague,
Lequel n’est pas natif de Prague,
Prenait, en ce riant Séjour,
Tous les doux Ebats, tour-à-tour,
Dont plus que pas un Lieu du Monde,
La Ville de Paris abonde,
Il eût, encor, dernièrement,
Le Royal Divertissement
D’un belle Partie de Paume,
Des premiers Joueurs du Royaume,
Où Gens de haute Qualité
Se trouvèrent en quantité,
Et, mêmement, de ce beau Sexe
Par qui Cupidon, l’autre vexe :
Si qu’on louait des Chaises là,
(Homme d’honneur m’a dit cela,
Je ne sais s’il fichait la cole)
L’Ecu blanc, et demi-Pistole,
Pour ne recevoir que des coups
Dont plusieurs n’étaient point trop doux,
Soit de Balle, ou de la Prunelle
De quelque dangereuse Belle,
Coups qui, loin de faire du bien
Le plus souvent, ne valent rien.

Or le Ministre de la Porte,
Encor qu’un cœur de Turc, il porte,
Vit là des Yeux plus Turcs que lui,
Qui lui causèrent moult ennuis,
Et lui firent, en Conscience,
Perdre sa grave contenance.

Ces Yeux qui lui firent la Loi
Sont à Madame du Fresnoy,
De maintes Grâces, départie,
Que, durant toute la Partie,
Il ne fit plus rien que lorgner,
S’amusant même, à dandiner
Autour de sa belle Coiffure,
Et de sa très blanche Encolure ;
Où, des Fleurettes lui contant,
En hésitant, et marmottant,
Il prenait, parfois, la licence,
Non sans quelque concupiscence,
De porter le bout de ses doigts,
S’en excusant, en beau patois,
Sur ce qu’on pouvait, de la sorte,
Toucher les Belles de la Porte,
Sans qu’elles pussent nullement,
S’en offenser civilement.

Souffrez, donc, Mesdames Françaises,
Dames de Cour, Dames Bourgeoises,
Suivant ces beau Modèles-là,
Qu’on vous touche comme cela,
Plusieurs en aimeraient la Mode,
Et je la trouve fort commode.

Des Turcs, encor, un mot je dis,
C’est qu’ils sont, de Jeudi, partis,
Et qu’à présent, leurs nids son vides.
Vous, donc, de les voir, Gens avides,
Qui souliez, le matin, et soir,
Les visiter en leur Manoir,
Faites que leur charmante Idée,
En votre Esprit, soit bien gardée.
Car c’est, sur elle, seulement,
Que vous pourrez, si plaisamment,
Les voir manger à leur manière,
Et, surtout, faire leur Prière,
En rouant [sic.], sans cesse, les Yeux
En constipés, devers les Cieux,
En se couchant le ventre à Terre,
En se levant, après, belle erre,
En se croisant, aussi, les bras,
En marmonant haut, et puis bas,
Et faisant, dans ce dévôt Rôle,
Encor, encor mainte autre chose drôle,
Qui plaisait, bien autant, enfin,
Que l’un des Rôles d’Arlequin,
Quoi qu’en tout, il nous fasse rire
Autant, certe [sic.], qu’on puisse dire.

(Texte saisi par David Chataignier à partir des gazettes composées par Charles Robinet et La Gravette de Mayolas au cours de l'année 1670. Les gazettes de Robinet (Lettres en vers à Madame du 4 janvier au 28 juin, Lettres en vers à l'ombre royale de Madame du 5 au 26 juillet, et Lettres en vers à Monsieur du 2 août au 27 décembre) sont réunies à la fin du volume conservé sous la cote FOL- LC2- 22 à la Bibliothèque nationale de France. Les épîtres de Mayolas (Lettres en vers et en prose au roi) sont conservées à la Bibliothèque de l'Arsenal sous la cote RESERVE FOL- BL- 1126.)




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