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Robinet, Lettre en vers à Madame du 27 février 1667
- -Le Ballet des Muses et ses festivités :
- Notre COUR éclatante et gaie,
- Ayant à SAINT GERMAIN en LAYE
- Encor vu, Samedi dernier,
- Avec un plaisir singulier,
- Le Grand BALLET de ces NEUF BELLES
- Qu’on nomme les Doctes Pucelles,
- En partit, Dimanche matin,
- Sans oublier son beau DAUPHIN,
- Pour aller faire dans VERSAILLES
- DU CARNAVAL les FUNÉRAILLES,
- Avec tant de solennité
- Qu’il se peut dire, en vérité,
- Que l’on n’en vit jamais de telles,
- Ni si pompeuses, ni si belles,
- Et, bref, où l’on fût plus joyeux.
- MADAME, vous le savez mieux
- Que je ne puis ici le dire ;
- Aussi, ne vais-je le décrire
- Qu’en faveur des Lecteurs Amis
- À qui, certe [sic.], je l’ai promis,
- Car, ALTESSE, d’Attraits pourvue,
- Chose promise est chose due.
- D’abord qu’on fut en ce CHÂTEAU,
- Si mignon, si riant, si beau ;
- Que l’on dirait (à tous j’en jure)
- D’un PARADIS en mignature [sic],
- On trouva la TABLE du ROI
- Servie en magnifique arroi,
- Avec des COUVERTS deux fois douze,
- Tant pour lui que pour son ÉPOUSE,
- Comme aussi, MADAME, pour vous,
- Pour MONSIEUR, votre aimable ÉPOUX,
- Pour l’auguste MADEMOISELLE,
- Et, bref, pour toute la Séquelle
- Des DAMES à PRINCIPAUTÉ
- Ou de la haute Qualité.
- Je ne parle point des SERVICES
- Dont l’on faisait des Sacrifices
- Au GOÛT friand et délicat,
- Et dont la VUE et l’ODORAT
- Avaient leur part délicieuse
- Et tout à fait voluptueuse,
- Par l’Ordre éclatant et pompeux
- De ces Mets exquis et nombreux
- Et par cette Odeur ravissante
- Qu’exhalait la Viande fumante.
- Le TACT, confondu dans le Goût,
- De même y trouva son Ragoût,
- Et, pour tout dire enfin, l’OUÏE
- Y fut pleinement réjouie
- Par les Harmonieux CONCERTS
- Où l’on oyait maints nouveaux Airs.
- Le soir, ce fut la même Chère
- Et, pour une Allégresse entière,
- À ce Régale [sic] sans égale
- On ajouta de plus un BAL,
- Effaçant celui des ÉTOILES,
- Alors que, sans Ombres ni Voiles,
- Nous les voyons danser aux CIEUX
- Dans leur Éclat plus radieux.
- Notre rare et merveilleux SIRE,
- Qu’en toutes façons on admire,
- État travesti cette fois
- Moitié PERSIEN, moitié CHINOIS :
- Mais dans la PERSE et dans la CHINE
- On n’en voit point de cette Mine,
- Et chez nul des Peuples divers
- Qui composent cet UNIVERS
- On ne peut trouver un semblable
- À ce POTENTAT adorable.
- La REINE, que pour lui les DIEUX
- Ornèrent de Dons précieux
- Et firent aussi sans Seconde
- Chez tous les Habitants du Monde,
- Avait un Habit assorti,
- Ainsi que le ROI, mi-parti ;
- Et MONSIEUR avecque MADAME,
- Pareillement, de CORPS et d’Âme,
- Les deux plus beaux INDIVIDUS
- Qu’au Lien d’AMOUR on ait vus,
- Étaient, sous des Atours semblables,
- Couverts de Perles innombrables.
- La Grand SOUVERAINE D’EU, [Mademoiselle.]
- Où l’on voit tant de divin Feu,
- Était, quoi que bonne Française
- Aussi lors PERSIENNE et CHINOISE,
- Ainsi que le Reste de ceux
- Qui composaient ce Bal pompeux
- Où tous nos DIEUX et nos DÉESSES,
- Tous nos PRINCES et nos PRINCESSES,
- Et les Objets les plus poupins
- Tracèrent de leurs Escarpins
- Tout ce qu’a de rare la Danse,
- Et, pour ce Jour, c’est tout, je pense.
- Le lendemain, sur nouveaux Frais,
- Tout de plus belle on fit Florès
- Et l’on eut, après grand CONVIVE
- (Dont la Description j’esquive),
- Un CARROUSEL des plus charmants,
- Tel qu’on en voit dans les ROMANS.
- C’était devant l’ORANGERIE
- Que, pour cette Galanterie,
- Le CAMP avait été dressé
- Par un Mortel sage et versé
- En pareille Mathématique,
- Et qu’admire le plus Critique ;
- Jugez si vous direz nenni,
- Car c’est le Sieur VIGARANI.
- La REINE, ou bien la même GRÂCE,
- Se rendit en ladite Place
- Avec un nouveau VÊTEMENT
- Fait pour ce Divertissement,
- Tout bluettant de PIERRERIES,
- Parmi les riches Broderies,
- Cachant dessous un Masque alors
- De l’AMOUR mille chers Trésors.
- Cette Charmante COURONNÉE
- Était fort bien accompagnée
- De l’ALTESSE de MONTPENSIER, [Mademoiselle.]
- Dont la Taille et l’air doux et fier
- Nous dépeint bien ces AMAZONES
- Qu’autrefois on vit sur les TRÔNES.
- Mais la PRINCESSE en ce moment
- Montrait, en son Déguisement,
- Une TURQUE des mieux Vêtues,
- Car, comme j’ai les choses sues,
- Son Habit revenait à plus de dix ou douze mille Écus.
- Maintes DAMES défrancisées
- Et de la sorte turquisées
- Accompagnaient la REINE aussi,
- Lestes, non pas cossi cossi ;
- Et, dès que cette SOUVERAINE
- De se placer eut pris la peine,
- Au milieu des autres Beautés
- Séantes à ses deux Côtés,
- On ouit les fines Fanfares
- Et plaisants Tara-tanta-rares,
- Dont les Trompettes et Clairons
- Remplissaient l’Air aux environs,
- Devançant une GROSSE TROUPE,
- Laquelle avait le Vent en Poupe :
- C’était celle des CHEVALIERS,
- Ou, si l’on veut, AVENTURIERS,
- Conduits par cet auguste SIRE
- De qui le triomphant Empire
- S’étend, comme sur les HUMAINS,
- Sur la FORTUNE et les DESTINS.
- Sa noble MAJESTÉ FRANCAISE
- Était vêtue à la Hongroise
- Avec un éclat nonpareil,
- Si ce n’est Celui du SOLEIL,
- Qui sert de CORPS à la DEVISE
- Qu’à si juste Titre Elle a prise,
- Et d’ailleurs montait un Cheval
- Bien plus noble que BUCÉPHALE,
- Portant bien plus qu’un ALEXANDRE,
- Ce qu’il semblait aussi comprendre,
- Tant il montrait de fierté
- Sous cette Auguste MAJESTÉ.
- SAINT AIGNAN, ce DUC qu’on estime
- Et de qui la gloire est sublime,
- Avait devant Elle son Rang
- De digne MARÉCHAL de CAMP, [Général.]
- BRILLANT des Pieds jusqu’à la Tête,
- Et monté dessus une Bête
- Qui ne faisait que se carrer
- Et même souvent se cabrer.
- Le charmant PHILIPPE de FRANCE,
- Désignant un TURC d’importance,
- Et même plus beau que l’AMOUR,
- Ayant un Habit en ce Jour
- Plein de PERLES ORIENTALES
- Et point du tout OCCIDENTALES,
- Conservait, en très bel arroi,
- Son Rang de seul FRÈRE du ROI,
- Marchant proche de ce MONARQUE,
- Dessus un Cheval de remarque.
- Le jeune et brillant DUC d’ENGHIEN,
- Qui passait pour un INDIEN
- De très noble et riche Famille,
- Où la vertu des Héros brille,
- Côtoyait familièrement
- Ce Turc si noble et si charmant,
- Et le Reste de la Pelote,
- Dont en marge les noms je cote,
- Marchaient après, représentant,
- Sous divers Habits éclatants,
- Autant de NATIONS du MONDE,
- Dont en si grand nombre il abonde.
- Or tous ces illustres HÉROS
- Étaient suivi d’un autre GROS
- De BEAUTÉS jeunes et brillantes,
- Des plus lestes et plus galantes,
- Qu’escortaient les Jeux et les Ris,
- Aussi sur des Coursiers de Prix,
- Toutes en Mante et Capeline,
- Conduites par notre HÉROÏNE,
- Ou bien par MADAME autrement,
- Et, disant ce Nom seulement,
- Je fais d’un seul Trait la Peinture
- D’UN CHEF-D’ŒUVRE de la NATURE,
- De l’AMOUR et des autres DIEUX,
- Qu’on peut adorer ainsi qu’eux.
- Quand ces deux Troupes si pimpantes,
- Si belles et si triomphantes,
- Eurent du CAMP fait le Contour
- Pour rendre hommage tour à tour
- À la nonpareille THÉRÈSE,
- Qui le reçut tout à son aise,
- LOUIS commença le TOURNOI
- Et, selon qu’on m’en a fait foi
- Et qu’il est aisé de le croire,
- Ce cher FAVORI de la GLOIRE
- Y fit trois COURSES, d’un tel air
- Qu’on ne put assez l’admirer,
- Soit lançant le Dard à des Mores,
- Soit ensuite abattant encores [sic.]
- Des Têtes de son Pistolet,
- Soit (pour faire un Récit complet)
- En faisant choir sous son Épée
- Mainte Hure d’Hydre coupée.
- Les Seigneurs qui l’accompagnaient,
- L’imitant du mieux qu’ils pouvaient,
- Firent aussi chacun leur Course,
- Et, du JOUR la brillante SOURCE
- Commençant lors de s’éclipser
- Pour en autre Horizon passer,
- Les CHEVALIERS et CHEVALIÈRES,
- S’étant rejoints hors des Barrières,
- Firent encor le tour du CAMP
- Pour saluer tous, en leur rang,
- Derechef notre SOUVERAINE ;
- Après quoi, chacun prit la peine
- De s’épouser deçà, delà,
- Et le SOUPER suivit cela.
- Le Jour suivant, après la CHÈRE
- Qui fut encore plus que plénière,
- On balla neuf heures durant,
- Et le Concours y fut très grand
- Des MARQUES de notre LUTÈCE,
- Qu’on reçut avecque liesse
- Et qu’on traita splendidement ;
- Car, par Royal Commandement
- On avait dressé quatre Tables
- Qu’on servit de Mets délectables,
- Tous les trois jours, soir et matin,
- Voilà du CARNAVAL la fin ;
- On la vit au Cercueil de la sorte descendre
- Et dès le jour d’après, il fut réduit en cendres.
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