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Robinet, Lettre en vers à Madame du 21 juin 1665
- Mais, passons dans cet autre LIEU
- Qui sent la Demeure d’un DIEU;
- Passons dans cette ÎLE ENCHANTEE,
- Tant renommée et tant vantée,
- Et jargonnons du grand CADEAU [Versailles.]
- Qui fut si ROYAL et si beau
- Et qui se fit dans ce Lieu même,
- La nuit du treize au quatorzième.
- Mais je vais faire un effort vain ;
- Le Pinceau me tremble en la main,
- Pensant à tant de rares choses
- Qui dans ce Cadeau sont encloses.
- Au PETIT PARC, un ART savant,
- Et qui va beaucoup plus avant
- Que la plus parfaite Industrie,
- Avait avecque Symétrie
- Produit, en huit jours seulement,
- Sans doute par enchantement,
- Tout ce qu’ici je vais vous dire.
- Un vaste Jardin d’Espaliers,
- Bien alignés et réguliers,
- Où l’on voyait dans l’enfonçure,
- Par un grand Art d’Architecture,
- Et dedans l’épaisseur d’un Bois,
- Bien plus beau que ceux d’autrefois
- Où DIANE exerçait ses armes,
- Deux longs Fuyants ou Rangs de Charmes.
- Par degrés et par escaliers,
- Dessus ces mêmes Espaliers
- Étaient trois rangs de Porcelaines,
- Par doubles et triples centaines,
- Où les plus éclatantes Fleurs
- Étalaient leurs vives couleurs.
- Aux deux côtés de ces Verdures
- Paraissaient les belles Structures
- De deux Palais délicieux,
- Qui paraissaient faits pour des Dieux,
- Et, dans le milieu de l’Enceinte
- Qui n’était point du tout succincte,
- Trois Théâtres bien décorés
- Étaient de chacun admirés.
- De doubles rangs de pareils Vases,
- Qui causaient de douces Extases,
- En ornaient la face et les bords,
- Tous remplis de brillants Trésors
- Qu’au Printemps produit Dame Flore ;
- Des Girandoles de Crystail [sic.]
- Éclairaient parmi leur émail,
- En un très bel ordre et sans nombre,
- Pour en faire dénicher l’ombre.
- D’ailleurs quantité de Cyprès,
- Sans nul égard à la dépense,
- Et tous d’une hauteur immense,
- À droite et gauche s’élevaient
- Et semblablement ravissaient.
- On voyait, de plus, quatre Arcades
- Vertes comme les Palissades,
- Tant dans le milieu qu’aux Côtés
- De ces Théâtres enchantés ;
- Et, sur le devant, faisaient face,
- Non certes sans beaucoup de grâce,
- Grand nombre de Myrtes fleuris,
- Arbres consacrés à Cypris.
- Enfin, l’on voyait des Bocages,
- Qui formaient dans de frais Ombrages,
- Des Dédales à maints contours,
- Que les ingénieux AMOURS
- Semblaient même avoir pris la peine,
- D’ériger pour leur SOUVERAINE.
- Toutes ces Beautés que je dis
- Et que GROSSO MODO j’écris,
- Lors que le Dieu de la lumière
- Eut sur nous fermé sa paupière
- Pour aller faire un autre Tour,
- Parurent dans un plus beau Jour
- Que produisaient mille grands Lustres,
- Qui rendaient les Objets illustres,
- Car l’Ombre avecque la Clarté
- Formait, en bonne vérité,
- Quelque chose plus agréable
- Et, selon moi, bien plus aimable,
- Que le plein Midi du Soleil.
- Or, dans ce Jardin nonpareil
- Toute la Cour s’étant rendue,
- De cent nouveaux charmes pourvue
- Par ses superbes Ornements,
- Par ses Perles, ses Diamants,
- Et d’autres fines Pierreries,
- De qui les Indes sont fleuries,
- On crut en ce Lieu si riant
- Mêmement voir tout l’Orient.
- Mais ce MODELE des MONARQUES,
- LOUIS, à ces brillantes Marques
- Y paraissait moins ce qu’il est
- Qu’à l’air auquel on le connaît,
- Cet air divin qui fait comprendre
- Et que César et qu’Alexandre,
- Malgré leur magnifique Nom,
- Devant lui perdent leur Renom.
- THERESE, qui peut faire honte
- À la Déesse d’AMATHONTE,
- Entrant là, par ses divins Yeux
- Remplit de charmes ces beaux Lieux
- Et VENUS, en sortant de l’Onde,
- En montra beaucoup moins au Monde.
- PHILIPPE, l’Honneur de nos Lys,
- Y surpassait aussi son Fils ;
- Et chacune de ses oeillades
- Aurait fait plus de coeurs malades.
- HENRIETTE, où la Majesté,
- S’unissant avec la Beauté,
- Montre que l’on pourrait sans peine
- En faire une admirable REINE,
- Y parut avec des Appâts
- Que les plus grand Objets n’ont pas.
- Quand ces DIVINITES visibles,
- Que je voudrais voir impassibles,
- Eurent pris séance en leur Rang,
- Ainsi que chacune la prend,
- Avec cette fine NOBLESSE,
- Tant de l’un que de l’autre Sexe,
- Qui fait leur Cour en chaque lieu,
- Dessus la Scène du milieu,
- La TROUPE plaisante et comique
- Qu’on peut nommer Moliérique [sic.],
- Dont le Théâtre est si chéri,
- Représenta le FAVORI,
- Pièce divertissante et belle
- D’une fameuse Demoiselle
- Que l’on met au rang des neufs Soeurs, [Mademoiselle des Jardins.]
- Pour ses poétiques douceurs.
- Plusieurs ravissantes Entrées
- Dans la Pièce étaient insérées,
- Avecque d’excellents Concerts
- Composés d’Instruments et d’Airs ;
- Si bien que le tout pris ensemble
- Fit un bel effet, ce me semble,
- Et causa beaucoup d’enjouement ;
- Il n’en faut douter nullement.
- Après, sur le Théâtre même,
- Notre COUR, en liesse extrême,
- Ayant pris la COLLATION
- De Bonbons en profusion,
- Fit voir sa grâce et son adresse,
- Aussi bien que son allégresse
- Par maints et maints Pas figurés,
- Bien cadencés et mesurés ;
- Cela veut en bon français dire
- Que notre rare et digne SIRE
- Voulut aussi donner le BAL
- Pour augmenter ce beau Régal.
- Ainsi, la COUR bien satisfaite
- Et toute gaie fit retraite,
- Non pas encor dans son Dortoir,
- Bien qu’il fût déjà plus que soir,
- Mais dans un charmant LABYRINTHE,
- Dont tous les Détours et l’Enceinte
- Étaient de LUSTRES éclairés
- Plus que les LAMBRIS azurés
- Ne le sont aux Nuits les plus claires
- Par leurs éclatants Luminaires.
- Le BOCAGE APOLLONIEN
- En comparaison n’était rien,
- Ni la SPELUNQUE de DIANE;
- Et, sans passer pour un Profane,
- Tout aussi hardiment je dis
- Que la Caverne de THETIS,
- Que la Fable dépeint si belle,
- N’était que pure bagatelle.
- Dans ce Dédale précieux,
- Ravissant et délicieux,
- Où les AMOURS, les RIS, les GRÂCES,
- Qui de la COUR, suivaient les traces,
- Prirent plaisir à s’égarer,
- À se poursuivre et folâtrer
- Avec les ZEPHIRS délectables,
- On avait dressé quatre Tables
- Pour les quatre DIVINITES,
- À savoir les deux MAJESTES,
- Avecque MONSIEUR et MADAME,
- Dont chacun, m’a dit une Dame,
- Avait sa suite avecque soi
- En bonne couche et bel arroi,
- Surtout de diverses PRINCESSES,
- DUCHESSES, MARQUISES, COMTESSES
- Et plusieurs mignonnes BEAUTES
- Par qui les coeurs sont enchantés.
- Mais je rentre ici dans mon trouble
- Et ma peur de tantôt redouble ;
- Je ne réussirai jamais
- À vous bien décrire les Mets,
- La beauté, l’ordre, l’abondance
- Et l’illustre magnificence ;
- Cela me passe, il est certain,
- Et j’y perdrai Grec et Latin.
- Le GO�›T fut charmé par les Viandes,
- Toutes exquises et friandes,
- Et l’ODORAT par les odeurs
- Des Mets, des Parfums et des Fleurs.
- D’une autre part aussi l’OUÏE
- Le fut par la rare Harmonie
- D’un nombre infini d’ARIONS
- Et de merveilleux AMPHIONS
- Qui la comblèrent de délices
- Pendant les longs et beaux Services.
- La POMPE, enfin, l’ordre et l’éclat
- Avec lesquels le moindre plat
- Était posé dessus les Tables,
- Et les Buffets, ce n’est point Fables,
- Qui paraissaient autant d’Autels
- Consacrés à des IMMORTELS,
- Ne charmèrent pas moins la VUE
- En cette splendide Repue,
- Croyant voir le Banquet des Dieux
- Et tout l’Olympe en ces bas Lieux.
- Voilà donc déjà jusqu’à quatre
- Des cinq Sens, sans en rien rabattre,
- Qui, comme il faut, firent FLORES
- Dedans ces superbes Apprêts.
- Et, quoi ? le TACT, leur cher Confrère,
- Fut-il seul sans s’y satisfaire ?
- Non, non, il fut des plus contents,
- Car il se trouve en tous les SENS,
- Ainsi que nous l’apprend SOPHIE
- Dans sa belle PHILOSOPHIE,
- Et de cette façon il eut
- Autant de plaisir qu’il voulut,
- Et tous les autres par lui-même,
- Sentirent un plaisir extrême.
- Mais ce n’est que trop raisonner ;
- Il faut ce Discours terminer,
- Car, enfin, chacun sort de Table,
- Et de ce Lieu si délectable
- Pour retourner à Saint GERMAIN,
- Où, presques en un tournemain,
- Ou tout au moins en fort peu d’heure,
- On arrive dans la Demeure
- Ordinaire des MAJESTES,
- Avec d’innombrables clartés,
- Qui beaucoup mieux que les Étoiles
- De la Nuit dissipaient les voiles,
- Bon ! c’est, ma foi, bien rencontrer :
- Phoebus commençait d’éclairer,
- Et ce cher Dieu de la Lumière
- Était rentré dans sa Carrière,
- Ce matin-là, bien plus matin,
- Pour venir peut-être au Festin ;
- Mais, n’en déplaise à son ALTESSE
- A blonde et lumineuse Tresse,
- Il fut pourtant trop paresseux,
- Et son bel oeil dedans ces Lieux,
- Ne trouva plus que quelques restes
- Pour exercer ses Dents célestes.
(Extrait fourni par Luke Arnason)
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