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Robinet, Lettre en vers à Madame du 21 juillet 1668
- Mais sur ce point c’en est assez :
- Sus, Muse, promptement passez
- En cette autre brillante Salle
- Qui fut la Salle Théâtrale.
- Ô le charmant Lieu que c’était !
- L’Or partout là, certe [sic.], éclatait.
- Trois rangs de riches Hautes-lices
- Décoraient ce Lieu de Délices,
- Aussi haut, sans comparaison,
- Que la vaste et grande Cloison
- De l’Église de Notre-Dame,
- Où l’on chante en si bonne gamme.
- Maintes Cascades y jouaient,
- Qui de tous côtés l’égayaient ;
- Et, pour en gros ne rien omettre
- Dans les limites de ma Lettre,
- En ce beau Rendez-vous des Jeux,
- Un Théâtre auguste et pompeux,
- D’une manière singulière,
- S’y voyait dressé pour MOLIÈRE,
- Le MOME cher et glorieux
- Du bas Olympe de nos Dieux.
- Lui-même donc, avec sa Troupe,
- Laquelle avait les Ris en croupe,
- Fit là le Début des Ébats
- De notre COUR pleine d’Appâts,
- Par un Sujet Archi-comique [MD : Georges Dandin.]
- Auquel rirait le plus Stoïque,
- Vraiment, malgré bon gré ses Dents,
- Tant sont plaisants les Incidents.
- Cette petite Comédie
- Du crû de son rare Génie
- (Et je dis tout, disant cela)
- Était aussi, par-ci, par-là,
- De beaux Pas de Ballet mêlée,
- Qui plurent fort à l’Assemblée,
- Ainsi que de divins Concerts
- Et des plus mélodieux Airs,
- Le tout du Sieur LULLY-BAPTISTE,
- Dont Maint est le Singe et Copiste.
- D’ailleurs, de ces Airs bien chantés,
- Dont les Sens étaient enchantés,
- MOLIÈRE avait fait les Paroles,
- Qui valaient beaucoup de Pistoles ;
- Car, en un mot, jusqu’en ce jour,
- Soit pour Bacchus, soit pour l’Amour,
- On n’en avait point fait de telles ;
- C’est comme dire d’aussi belles.
- Et, pour plaisir, plus tôt que tard,
- Allez voir chez le Sieur BALLARD,
- Qui de tout cela vend le Livre, [MG : Le Grand Divertissement royal de Versailles.]
- Que presque pour rien il délivre,
- Si je vous mens ni peu ni prou ;
- Et, si vous ne saviez pas où,
- C’est à l’enseigne du Parnasse ;
- Allez-y donc vite, de grâce.
- Mais revenons à nos Moutons,
- Et, pour achever, ajoutons
- Que chacun fit là des merveilles
- Qui n’eurent jamais de pareilles,
- Et qu’à l’envi, soient les Acteurs,
- Les Baladins et les Chanteurs,
- Tous en ce jour se surpassèrent
- Et bravement se signalèrent.
- Mais, entre tous ces grands zélés,
- Qui se sont si bien signalés,
- Remarquable est la THORILLIÈRE, [MG : de la Troupe du Roi.]
- Qui, près de tomber dans la Bière,
- Ayant été, durant le cours,
- Tout au plus, d’environ huit jours,
- Saigné dix fois pour une Fièvre,
- Qui dans son Sang faisait la mièvre,
- Quitta son Grabat prestement
- Et voulut héroïquement
- Du gros Lubin faire le Rôle,
- Qui sans doute était le plus drôle. [MD : Personnage de la Comédie qui fut jouée.]
- Voilà comment, en bonne foi,
- Tout conspire aux Plaisirs d’un ROI
- Qui, sans que trop de lui je dise,
- L’Empire avec Jupin divise.
- Voilà comment aux jours de Paix,
- Ayant terminé ces hauts Faits,
- Qui faisaient trembler tout le Monde
- Dessous sa Gloire sans seconde,
- Il se délasse avec éclat
- Des grands Soins qu’il prend pour l’État,
- Et qu’il est, tant en Paix qu’en Guerre,
- Le plus GRAND Prince de la Terre.
- J’oubliais les superbes Feux
- Qui brillèrent aux mêmes Lieux
- Pour conclusion de la Fête,
- Et qui, s’élevant jusqu’au Faîte
- De la suprême Région,
- Par grosse et claire Légion,
- Y semblèrent dire aux Étoiles,
- Qui montraient leurs clartés sans voiles,
- Qu’Ici-bas ce grand FILS DES DIEUX
- Régnait, à peu près ainsi qu’eux
- Règnent là-haut dans leur Empire.
- C’est tout ce que je puis écrire,
- Et, comme au bout de mon Papier,
- Je vais ma Boutique plier.
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