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Robinet, Lettre en vers à Madame du 1er mars 1670


Le Tartuffe est mentionné comme un ouvrage de prix dans cette petite histoire.

Faute de place en ma dernière,
Je ne pus y prendre Carrière
Sur un beau Sujet que voici
Dans ce premier Chapitre-ci.

Un Tapissier, nommé Ferniste,
A la Fille d’un Orangiste,
Qu’on appelle Jeanne Damour,
Ayant, plus d’un an, fait la Cour,
Dans un Dessein de Mariage,
Et celle-ci, de cœur volage,
L’ayant, enfin, berné, joué,
Et, franchement, congédié,
Il fit ajourner l’Infidèle,
Pour avoir des Intérêts d’Elle,
A ces jours gras, ce m’a-t-on dit :
Et l’on régla ce grand Conflit,
Dans la propre Chambre Civile,
Sur deux Plaidoyers du haut style.

L’Avocat du Sieur Demandeur,
Représentait avec ardeur,
Que comme l’adverse Partie
Etait Précieuse, et demie,
Elle avait pris le long détour,
Et, dans les formes, fait l’amour,
Suivant la maxime suspecte,
De toutes celles de la Secte,
Lesquelles, jamais, ce dit-on,
Ne veulent de conclusion :
Qu’ainsi, le malheureux Ferniste,
Afin d’être un peu, Conformiste,
Avait, non pas, sans enrager,
Attendu l’heure du Berger,
Durant, tout au moins, une année :
Mais lors, qu’au lieu de l’Hyménée,
Auquel il avait prétendu,
Elle avait, son espoir tondu,
Par un Congé, rude, et sauvage,
A son amour, tout plein d’outrage :
Ce qu’attendu, pour faire court,
Il disait que Jeanne Damour
Devait lui rendre la Dépense,
(Outre tous les frais de l’Instance)
Qu’il avait fait, pendant ce temps,
Qui montait à quinze cent francs ;
A savoir près de deux cent livres,
Pour un très grand nombre de Livres,
Tant Romans qu’autres, y compris
Le Tartuffe, des plus chéris.
Item, autant, pour Sérénades,
Collations, et Promenades.
Item, cent, pour plusieurs Bouquets,
Ainsi qu’en donnent les Coquets,
Dans leurs Poursuites amoureuses,
Et deux grands Pots de Tubéreuses.
Item, cent pour un Diamant,
En œuvre, mis, artistement,
Et pour un beau Filet de Perles,
Plus grosses que des yeux de Merles.
Et les neuf cent Livres restants,
Enfin, pour la perte du Temps,
Que lui volait la bonne Pecque,
Perte, ainsi que le dit Sénèque,
Qu’on ne peut trop considérer,
Non plus que jamais, réparer.

Ce fut ce qu’on dit pour Ferniste,
Mais la Damoiselle Organiste,
Protesta, par son Avocat,
Que sa Partie était un Fat ;
Qu’elle n’avait, pour tous Régales,
Reçu de ses mains Libérales,
Que Le Tartuffe, et les deux Pots,
Dont les Oignons petits, ou gros,
Se trouvaient, encor, en nature,
Et six Bouquets, pour chose sûre,
Valant, chacun, dix sols, au plus ;
Mais que, sans Discours superflus,
Pour le Temps perdu, c’était Elle
Qui devait lui faire querelle,
Et lui demander des Dépens,
Puisqu’à Femme, un seul de ses ans,
Est plus cher, à le dire, en somme,
Que ne le sont pas dix à l’Homme.

Sur quoi, par juste Jugement,
Il fut ordonné simplement,
Que Jeanne Damour, à Ferniste,
(Lequel en demeura tout triste)
Renaîtrait Tartuffe, avec les Pots,
Et les Oignons petits, ou gros ;
Ayant été, je vous proteste,
Prononcé dessus tout le reste,
Sans adjurer dépens, ni faire,
Un Hors de Cour, et de Procès.

(Texte saisi par David Chataignier à partir des gazettes composées par Charles Robinet et La Gravette de Mayolas au cours de l'année 1670. Les gazettes de Robinet (Lettres en vers à Madame du 4 janvier au 28 juin, Lettres en vers à l'ombre royale de Madame du 5 au 26 juillet, et Lettres en vers à Monsieur du 2 août au 27 décembre) sont réunies à la fin du volume conservé sous la cote FOL- LC2- 22 à la Bibliothèque nationale de France. Les épîtres de Mayolas (Lettres en vers et en prose au roi) sont conservées à la Bibliothèque de l'Arsenal sous la cote RESERVE FOL- BL- 1126.)




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