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Robinet, Lettre du 24 janvier 1671
Dans la Lettre à Monsieur du 24 janvier 1671, Robinet fait un récit circonstancié de la représentation de Psyché à laquelle il a assisté :
- N’attendez pas, Prince charmant,
- En ce jour, aucun Compliment
- De ma Muse, votre humble Ancelle,
- Il ne faut point que je le cèle,
- Je suis d’Affaire si pressé,
- N’ayant pas, encor, commencé,
- À plus de neuf heures sonnées,
- Les Rimes, par moi, destinées,
- Sous vos auspices, au Public,
- Qui doivent narrer, ric, à ric,
- Le grand Ballet de notre Sire,
- Que je n’ai pas, à le vrai dire,
- Le temps, quasi, de me moucher.
- Je crois, que, sans vous en fâcher,
- Vous souffrirez cette licence,
- Quoiqu’elle soit contre l’Essence
- Des Exordes que je vous dois :
- Et là-dessus, de mes cinq doigts,
- Je m’en vais, à course de plume,
- Faire, non pas un gros Volume,
- Mais trois Pages, en style neuf,
- Qui seront pleines comme un œuf.
- Le dix-sept de ce mois, tout juste,
- Ce Ballet, pompeux, grand, auguste,
- Et bien digne, veramente,
- De divertir la Majesté
- Du premier Monarque du Monde,
- Tant sur la Terre, que sur l’Onde,
- Fut, pour le premier coup, dansé,
- En ce vaste Salon, dressé,
- Dans le Palais des Tuileries,
- Pour les Royales Momeries,
- Avec tant de grand Ornements,
- Si merveilleux, et si charmants,
- Tant de Colonnes, de Pilastres,
- Valant plusieurs mille Piastres,
- Tant de Niches, tant de Balcons,
- Et, depuis son brillant Plafond,
- Jusques, en bas, tant de Peintures,
- D’Enrichissements, et Dorures,
- Que l’on croit, sur la foi des yeux,
- Être en quelque Canton des Cieux.
- D’abord, comme en un Lieu champêtre,
- On voit, dans un Lointain, paraître
- Un Port, où la Mer fait flo-flo,
- Comme à Dieppe, ou Saint Malo,
- Avec de longues Kyrielles
- De Navires, et de Nacelles ;
- De l’un et de l’autre côté,
- Et, même, une vaste Cité,
- Flore, que le Printemps ramène,
- Se découvre dessus la Scène,
- En des Atours fort gracieux,
- Avec ses Nymphes, et les Dieux
- Tant des Eaux, que des Jardinages,
- Qui, pour Valets de Pied, et Pages,
- Ont des Dryades, des Sylvains,
- Des Fleuves d’Eau douce, et Marins,
- Et le reste de leur Séquelle,
- Magnifique, et non telle quelle.
- Cette Flore, qui faire florès,
- Est représentée (à peu près)
- Par l’illustre Sirène, Hilaire,
- Qui, toujours, a le don de plaire,
- Avec son angélique Voix,
- Ainsi que la première fois.
- En charmant Chacun, elle appelle
- Vénus, l’amoureuse Immortelle,
- Afin qu’elle vienne Ici-bas,
- Achever, par ses doux Appas,
- Les Plaisirs dont la Paix foisonne,
- Grâces à LOUIS, qui la donne,
- En interrompant ses Exploits,
- Qui pourraient établir ses Lois
- Chez tous les Peuples que la Terre,
- Dans sa vaste Rondeur, enserre.
- Vénus, à ses Souhaits, consent, [Madlle de Brie]
- Et, dans le même instant, descend,
- En Couche, tout à fait, divine,
- Dans une superbe Machine,
- Ayant, auprès d’elle, son Fils, [Mr le Biron]
- Qui se plaît fort, parmi les Lys,
- Avec six autres petits Drôles
- Qui savent là, très bien leurs Rôles.
- Les Grâces la suivent, aussi, [Mesdlles du Croisy et de la Thorillière.]
- Par un équitable souci,
- En d’autres Machines côtières,
- Toutes brillantes de Lumières.
- Mais, comme elle a le cœur fâché
- Des Honneurs rendus à Psyché, [Madlle de Molière.]
- Au préjudice de ses Charmes,
- N’en pouvant cacher ses alarmes,
- Elle fait, bientôt, bande à part,
- Et restant seulette, à l’écart
- Avec son Fils, en conférence,
- Elle l’anime à sa Vengeance,
- Puis s’éclipse, jusqu’au Succès
- Qu’aura son amoureux Procès.
- Sur ce, roule une Tragédie,
- Non pas, c’est Tragi-Comédie,
- Faite par deux rares Auteurs [Srs Corneille et Molière.]
- Qui n’ont que des Admirateurs.
- Or, cet excellent Dramatique,
- Qu’ici, nullement, je n’explique,
- De crainte de prolixité,
- Est, comme très bien concerté,
- Entremêlé de huit Entrées
- Dignes d’être considérées.
- La première est de plusieurs Gens,
- Qui sont contristés, et dolents
- De voir Psyché dans la Disgrâce :
- Et qui, dansant de bonne grâce,
- Ou, chantant fort plaintivement,
- En Italien, mêmement,
- Expriment leur Deuil, à merveille,
- Et ravissent l’œil, et l’oreille.
- Une autre, de Cyclopes, suit,
- Mais, nullement, à petit bruit,
- Car n’étant pas des Gens d’extases,
- Ils achèvent de pompeux Vases
- Pour un beau Palais dont l’Amour
- Consacre à Psyché, le Séjour,
- L’aimant, et trahissant sa Mère,
- Comme un faux et malin Compère :
- Et des Fées, aux Forgerons,
- Faisant des Pas légers et prompts,
- Apportent ces Vases superbes
- Dignes des beaux Vers des Malherbes.
- Des Furies, et des Lutins,
- Poussés par de mauvais Destins,
- À leur tour, entrent en cadence,
- Et n’ont, pour motif de leur Danse,
- Que de faire peur à Psyché,
- Qui, ceci soit dit sans péché,
- Mériterait mieux les Caresses
- De beaux Galants, à blondes Tresses.
- Apollon, avec les neufs Sœurs,
- Qui plaisent fort aux Spectateurs,
- Bacchus, de même, avec sa Suite,
- À faire Brindes, bien instruite,
- Momus, avec la Sienne, aussi,
- Et Mars, lors, sans guerrier souci,
- Font, enfin, chacun, une Entrée :
- Étant venus de l’Empirée,
- Avecque leur Sire, Jupin,
- Lequel termine à la parfin [sic],
- De Vénus, et son Fils, les rixes,
- Et, par ses Soins, des plus propices,
- Rend l’Amour, Époux de Psyché,
- Dont il est, tendrement, touché.
- Lors, tous ces Dieux, et leurs Escortes,
- Qui sont de nombreuses Cohortes,
- Des Déités, jusqu’à trois cent,
- Dans ces Cohortes, paressant,
- Sur de grands et brillants Nuages,
- Disposés à triples Étages,
- Célèbrent, par de beaux Concerts,
- Par des Danses, et par des Airs,
- La Solennité de la Noce,
- Comme s’ils étaient chez Mandoce.
- La Scène, au reste, incessamment,
- Comme, par un Enchantement,
- En différents Objets, se change :
- Et, par une surprise étrange,
- On y voit, tantôt, des Palais,
- De Marbre, en un tournemain, faits :
- Puis, en moins de rien, en leur place,
- Sans qu’il en reste nulle trace,
- Des Mers, des Jardins, des Déserts,
- Enfin, les Cieux, et les Enfers.
- Mais, il me faudrait faire un Livre
- Gros comme c’il qui s’en délivre
- Chez Ballard, Imprimeur du Roi,
- (Je vous le dis de bonne foi)
- Pour tout raconter, tout déduire,
- Et, parfaitement, vous instruire
- De ce Spectacle si Royal.
- Ainsi, donc, en Auteur féal,
- D’y recourir, je vous avise.
- Mais, il faut, qu’ici, je vous dise
- Que Lundi, je vis ce Ballet,
- Grâce à Monsieur Carnavalet,
- Qui joint, par un rare avantage,
- La courtoisie au vrai courage,
- Et qui m’ayant, de très bon cœur,
- Fait, bien des fois, même faveur,
- En toute rencontre semblable,
- Me fit, par un trait amiable,
- Entrer ici, certe [sic], à gogo,
- Et, c’est-à-dire, tout de go,
- Et de manière aussi facile
- Que j’entre dans mon Domicile.
Voir Les spectacles et la vie de cour dans les Continuateurs de Loret en 1671.
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