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Robinet, Lettre du 1er août 1671
Dans la Lettre à Monsieur du 1er août 1671, Robinet fait le récit d'une représentation de Psyché au Palais-Royal à laquelle il a assisté :
- Je ne puis, après ce Chapitre,
- Mieux continuer mon Épître,
- Que par l’Article de Psyché :
- Car quoique je l’aie couché,
- Autre part, d’une ample manière,
- Sur ce Sujet, prenant carrière,
- Lorsqu’en la Salle des Ballets,
- Il parut, avec tant d’Attraits,
- Aux yeux de notre Grand Auguste
- Il est, néanmoins, encor, juste,
- Que je reprenne le Souci
- D’en parler, derechef, ici ;
- Exprimant le Plaisir extrême
- Que j’ai ressenti dans moi-même,
- Revoyant, au Palais Royal,
- Ce beau Spectacle sans égal.
- Car, laissant là, les flatteries,
- Illec, ainsi qu’au Tuileries,
- Il a les mêmes Ornements,
- Même éclat, mêmes agréments,
- Les Airs, les Chœurs, la Symphonie
- Sans la moindre Cacophonie,
- Sont ici, comme ils étaient là.
- Vous y voyez, outre cela,
- Les divers Changements de Scène,
- Qu’on ne s’imagine qu’à peine,
- Les Mers, les Jardins, les Déserts,
- Les Palais, les Cieux, les Enfers,
- Les mêmes Dieux, mêmes Déesses,
- Soit à blondes, ou brunes Tresses.
- On y voit, aussi, tous les Vols,
- Les aériens Caracol[e]s,
- Les Machines, et les Entrées,
- Qui furent là, tant admirées.
- On y voit celle des Pleureurs,
- Où s’attendrissent tous les Cœurs,
- Celle des Cyclopes, des Fées,
- Qui sont, à merveilles, coiffées,
- Des Furies, et des Lutins,
- Qui, sur mon Dieu, sont bien mutins,
- D’Apollon, et des doctes Muses,
- Qui ne sont pas Déités buses,
- Enfin, de Bacchus, de Momus,
- Et de Mars ; et pour dire plus,
- On y voit (je m’en remémore)
- Tous les mêmes Habits, encore.
- De sorte que je ne mens point,
- En vous répétant sur ce point,
- Qu’il est vrai que ce grand Spectacle,
- Qui faisait là, crier miracle !
- Ce beau Spectacle tout royal,
- Est, encore, ici, sans égal.:
- Mais, ce qu’il faut qu’encor, je die,
- Est que la Tragi-Comédie,
- En vers de nos deux grands Auteurs [les Srs de Corneille et de Moliere]
- Qui n’ont que des Admirateurs,
- Peut, ici, partout, être ouïe,
- Aussi bien que la Symphonie,
- Et que tout ce Spectacle, enfin,
- S’y voit, aussi, de même, à plein.
- Une assez grande Damoiselle,
- Blondine, gracieuse, et belle, [Mlle de Rieux.]
- Et d’assez bon air s’agitant,
- Représente Flore, en chantant :
- Et, n’ayant guère, de pareilles,
- Charme les yeux, et les Oreilles,
- Par sa Voix, et par des Appas
- Que toutes Chanteuses n’ont pas.
- Item, Mad’moiselle de Brie,
- Qui n’est pas native de Brie,
- Y fait la Déesse Vénus,
- Mais montrant ses Membres moins nus,
- Que ladite Beauté céleste,
- Comme étant beaucoup plus modeste,
- Quoiqu’elle égale en ses Atours,
- Cette Déesse des Amours,
- Contre Psyché, moult irritée,
- De voir sa Beauté plus vantée :
- Et cette belle Actrice-là,
- Fait, certes, des merveilles là.
- Deux très agréables Pouponnes,
- Deux très ravissantes Mignonnes,
- Au plus, de six et de dix ans,
- Et qui, bref, charment tous les Gens,
- Par leurs beaux Vers et par leurs grâces,
- Y font, de Venus, deux des Grâces,
- Dont à côté, voici les Noms :
- Et deux petits Gars, fort mignons,
- En qualité d’Amours d’élite,
- Sont, pareillement, à sa Suite.
- Son Fils nommé le Dieu d’Amour,
- Qui là, devient Homme en un jour,
- Pour mieux contenter son Amante,
- Savoir Psyché, toute charmante,
- Est, comme Enfant, représenté,
- Par un, lequel, en vérité,
- S’acquitte, à miracle, du Rôle
- De ce petit céleste Drôle :
- Et comme Homme fait, et formé,
- Par ce jeune Acteur, tant aimé,
- Qui, partout, le Baron, se nomme,
- Et lequel, des mieux, joue, en somme.
- Un Zéphire fort goguenard,
- Et qui, d’aimer, sait, très bien, l’Art,
- Aide à l’Amour : et c’est, pour rire,
- Molière, qui fait ce Zéphire.
- Pour Psyché, la belle Psyché.
- Par qui, maint Cœur est alleché,
- C’est Mademoiselle Mollière,
- Dont l’air, la grâce, la manière,
- L’Esprit, et maints autres Attraits,
- Sont de vrais céphaliques Traits :
- Et qui, d’ailleurs, je vous l’avoue,
- Divinement, son Rôle joue.
- Deux Princes sont de ses Amants,
- Outre l’Amour, des plus charmants ;
- Et les Sieurs Hubert, et la Grange,
- Tiennent leur place, avec louange,
- Jouant, (faut, aussi, l’avouer)
- Autant bien qu’on puisse jouer.
- Le grand Acteur, la Thorillière,
- Fait un Roi, de Psyché, le Père :
- Et montre tout l’air d’un Héros,
- Dans son geste, et dans ses propos,
- Et si bien sa douleur exprime,
- Que, dans tous les Cœurs, il l’imprime,
- Blâmant un Oracle félon,
- Qui, plus cruel que Ganelon,
- Veut que cette Fille adorée,
- Par un Serpent, soit dévorée :
- Lequel Arrêt est rapporté,
- Et bien nettement récité,
- Par un Acteur brillant, et leste,
- Mais achevons, vite le reste.
- La belle Affligée a deux Sœurs,
- Qui, de ses maux, font leurs douceurs,
- Par un effet de Jalousie
- Dont leur Âme se sent saisie.
- Mademoiselle de Beauval,
- Cette Actrice de choix royal,
- Avec beaucoup de réussite,
- De l’un de ces Rôles, s’acquitte :
- Et Mademoiselle l’Etang,
- En l’autre, rend chacun content.
- Jupiter, termine la Pièce,
- Et remet, partout, la liesse,
- En immortalisant Psyché,
- Après avoir, un peu, prêché
- Vénus, sa trop colère Fille,
- De sa Machine qui fort brille :
- Et ce Dieu-là, c’est Du Croisy,
- Qui, hautement, couronne ainsi,
- L’Œuvre, de la belle manière.
- Mais, achevant cette Matière,
- Je dois, encore, publier,
- Et non pas, vraiment, l’oublier,
- Que l’on y voit une Mignonne
- Qui mérite qu’on la couronne,
- Et que l’on lui donne le Prix,
- (Après tout chacun, je le dis,
- Qui la bâtisse de Merveille
- Qui ne peut avoir de Pareille)
- Pour sa manière de chanter,
- Qui peut tout le monde enchanter,
- Et son aimable petit Geste,
- Qui, ma foi, paraît tout céleste,
- Et vaut que la Ville, et la Cour,
- Aille admirer ce jeune Amour.
- J’en voudrais dire davantage,
- Mais déjà, trop pleine est ma page ;
- Ainsi, je date tout au bout,
- Du premier jour du mois d’Août.
Voir les spectacles et la vie de cour dans les Continuateurs de Loret en 1671.
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