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Racine, Lettre aux deux apologistes de l'auteur des Hérésies imaginaires


Cette lettre, datée du 10 mai 1666, ne fut pas publiée du vivant de Racine et parut pour la première fois dans les Oeuvres de Boileau de 1722 (Lettre XIV).

L'extrait qui suit indique que Molière a lu Le Tartuffe dans un salon au cours des semaines qui précédent.


[...]

Mais il s'ennuierait peut-être, si je le laissais plus longtemps sans l'entretenir: il faut revenir à lui, et faire tout ce que je pourrai pour le divertir. J'avoue que ce n'est pas une petite entreprise; car que dire à un homme qui ne prend rien en raillerie, et qui trouve partout des sujets de se fâcher? Ce n'est pas que je condamne sa mauvaise humeur; il a ses raisons : c'est un homme qui s'intéresse sérieusement dans le succès de vos affaires ; il voit qu'elles vont de pis en pis, et qu'il n'est pas temps de se réjouir; c'est sans doute ce qui fait qu'il s'emporte tant contre la comédie. Comment peut-on aller au théâtre, comment peut-on se divertir, lorsque la vérité est persécutée, lorsque la fin du monde s'approche, lorsque tout le monde a tantôt signé? Voilà ce qu'il pense, et c'est ce qu'allégua un jour fort à propos un de vos confrères; car je ne dis rien de moi-même.

C'était chez une personne qui, en ce temps-là, était fort de vos amies ; elle avait eu beaucoup d'envie d'entendre lire Le Tartuffe; et l'on ne s'opposa point à sa curiosité : on vous avait dit que les jésuites étaient joués dans cette comédie ; les jésuites au contraire se flattaient qu'on en voulait aux jansénistes. Mais il n'importe, la compagnie était assemblée, Molière allait commencer, lorsqu'on vit arriver un homme fort échauffé qui dit tout bas à cette personne : «Quoi ! madame, vous entendrez une comédie le jour que le mystère de l'iniquité s'accomplit, ce jour qu'on nous ôte nos mères!» Cette raison parut convaincante: la compagnie fut congédiée; Molière s'en retourna, bien étonné de l'empressement qu'on avait eu pour le faire venir et de celui qu'on avait pour le renvoyer... En effet, messieurs, quand vous raisonnerez de la sorte, nous n'aurons rien à répondre, il faudra se rendre: car de me demander, comme vous faites, si je crois la comédie une chose sainte, si je la crois propre à faire mourir le vieil homme, je dirai que non; mais je vous dirai en même temps qu'il y a des choses qui ne sont pas saintes, et qui sont pourtant innocentes.
[...]




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