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Récit en prose et en vers de la farce des Précieuses


[Marie-Catherine DESJARDINS] Récit en prose et en vers de la farce des Précieuses, Paris, Barbin, 1660.

Ce texte, publié sans nom d'auteur, propose une relation, sous forme de prosimètre, du contenu des Précieuses ridicules, prenant pour prétexte le récit fait à une amie absente d'une représentation de la comédie.

Il ne comporte pas d'achevé d'imprimer, ce qui rend la datation précise de sa parution impossible.

Une version manuscrite substantiellement différente nous est parvenue sous le titre de l'"Abrégé de la farce des Précieuses".


RÉCIT EN PROSE ET EN VERS DE LA FARCE DES PRÉCIEUSES

À PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, dans la grand’Salle du Palais, au Signe de la Croix.
M. DC. LX.
AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PRÉFACE.

Si j’étais assez heureuse pour être connue de tous ceux qui liront ce Récit des Précieuses, je ne serais pas obligée de leur protester qu’on l’a imprimé sans mon consentement, et même sans que je l’aie su : Mais comme la douleur que cet accident m’a causée, et les efforts que j’ai faits pour l’empêcher, sont des choses dont le Public est assez mal informé, j’ai cru à propos de l’avertir que cette Lettre fut écrite à une personne de qualité, qui m’avait demandé cette marque de mon obéissance, dans un temps où je n’avais pas encore vu sur le Théâtre les Précieuses : De sorte qu’elle n’est faite que sur le rapport d’autrui, et je crois qu’il est aisé de connaître cette vérité par l’ordre que je tiens dans mon Récit ; car il est un peu différent de celui de cette Farce. Cette seule circonstance semblait suffire pour sauver ma Lettre de la Presse : mais Monsieur de Luynes en a autrement ordonné, et malgré des projets plus raisonnables, me voilà, puisqu’il plaît à Dieu, imprimée par une bagatelle ; cette aventure est assurément fort fâcheuse, pour une personne de mon humeur : mais il ne tiendra qu’au Public de m’en consoler, non pas en m’accordant son approbation (car j’aurais mauvaise opinion de lui s’il la donnait à si peu de chose). Mais en se persuadant que je n’ai appris l’impression de ma Lettre, que dans un temps, où il n’était plus en mon pouvoir de l’empêcher, j’espère cette justice de lui, et le prie de croire, que si mon âge et ma façon d’agir lui étaient connues, il jugerait plus favorablement de moi, que cette Lettre ne semble le mériter.

RÉCIT EN PROSE ET EN VERS DE LA FARCE DES PRÉCIEUSES.

MADAME,

Je ne prétends pas vous donner une grande marque de mon esprit, en vous envoyant ce Récit des Précieuses, mais au moins ai-je lieu de croire que vous le recevrez comme un témoignage, de la promptitude, avec laquelle je vous obéis, puisque je n’en reçus l’ordre de vous qu’hier au soir, et que je l’exécute ce matin. Le peu de temps que votre impatience m’a donné, doit vous obliger à souffrir les fautes qui sont dans cet ouvrage, et j’aurai l’avantage de les voir toutes effacés par la gloire qu’il y a de vous obéir promptement : Je crois même que c’est par cette raison que je n’ose vous faire un plus long discours. Imaginez vous donc, Madame, que vous voyez un vieillard vêtu comme les Paladins Français, et poli comme un habitant de la Gaule Celtique.

Qui d’un sévère et grave ton,
Demande à la jeune Soubrette
De deux filles de grand renom,
Que font vos maîtresses fillettes.

Cette fille qui sait bien comme se pratique la civilité, fait une profonde révérence au bonhomme, et lui répond humblement.

Elles sont là-haut dans leur chambre
Qui font des mouches et du fard,
Des parfums de civette et d’ambre
Et de la pommade de lard.

Comme ces sortes d’occupations n’étaient par trop en usage du temps du bonhomme, il fut extrêmement étonné de la réponse de la Soubrette, et regretta le temps où les femmes portaient des escoffions au lieu de perruques, et des pantoufles au lieu de patins.

Où les parfums étaient de fine marjolaine,
Le fard de claire eau de fontaine,
Où le talque et le pied de veau,
N’approchaient jamais du museau,
Où la pommade de la belle
Était du pur suif de chandelle.

Enfin, Madame, il fit mille imprécations contre les ajustement superflus, et fit promptement appeler ces filles, pour leur témoigner son ressentiment. Venez Magdelon, et Cathos, leur dit-il, que je vous apprenne à vivre. À ces noms de Magdelon et de Cathos, ces deux filles firent trois pas en arrière, et la plus précieuse des deux lui répliqua en ces termes.

Bon Dieu, ces terribles paroles,
Gâteraient le plus beau Roman,
Que vous parlez vulgairement,
Que ne hantez vous les écoles,
Et vous apprendrez dans ces lieux,
Que nous voulons des noms qui soient plus précieux,
Pour moi, je m’appelle CLIMÈNE
Et ma cousine PHILIMÈNE.

Vous jugez bien, Madame, que ce changement de noms vulgaires en noms du monde précieux, ne plurent pas à l’ancien Gaulois, aussi s’en mit-il fort en colère contre nos Dames : Et après les avoir excitées à vivre comme le reste du monde, et à ne pas se tirer du commun par des manies si ridicules, il les avertit qu’il viendrait à l’instant deux hommes les voir qui leur faisaient l’honneur de les rechercher. Et en effet, Madame, peu de temps après la sortie du vieillard, il vint deux galants offrir leurs services aux Demoiselles, il me sembla même qu’ils s’en acquittaient assez bien. Mais aussi je ne suis pas Précieuse, et je l’ai connu par la manière dont ces deux illustres filles reçurent nos protestants, elles bâillèrent mille fois, elle demandèrent autant, quelle heure il était, et elles donnèrent enfin tant de marques du peu de plaisir qu’elles prenaient dans la compagnie de ces aventuriers, qu’il furent contraints de se retirer très mal satisfaits de la réception qu’on leur avait faite, et fort résolus de s’en venger, comme vous le verrez par la suite. Sitôt qu’ils furent sortis, nos Précieuses se regardèrent l’une l’autre, et Philimène rompant la première le silence, s’écria avec toutes les marques d’un grand étonnement.

Quoi ces gens nous offrent leur vœux,
Ha ma chère ! quels amoureux,
Ils parlent sans affèteries,
Ils ont des jambes dégarnies,
Une indigence de rubans,
Des chapeaux désarmés de plumes,
Et ne savent pas les coutumes,
Qu’on pratique à présent au Pays de Romans.

Comme elle achevait cette plainte, le bonhomme revint pour leur témoigner son mécontentement de la réception qu’elles avaient faites aux deux galants : Mais bon Dieu, à qui s’adressait-il ?

Comment, s’écria Philimene,
Pour qui nous prennent ces Amants
De nous compter d’abord leur peine :
Est-ce ainsi que l’on fait l’amour dans les Romans ?

Voyez-vous mon oncle, poursuivit-elle, voilà ma cousine qui vous dira comme moi, qu’il ne faut pas aller ainsi de plein pied au mariage ; Et voulez-vous qu’on aille au concubinage, interrompit le vieillard, irrité non sans doute mon Père, répliqua Climène : mais il ne faut pas aussi prendre le Roman par la queue, et que serait-ce si l’Illustre Cyrus épousait Mandane dès la première année, et l’amoureux Aronce, la belle Clelie, il n’y aurait donc ni aventures, ni combats : Voyez-vous mon père il faut prendre un cœur par les formes et si vous voulez m’écouter je m’en vais vous apprendre comme on aime dans les belles manières.

RÈGLES DE L’AMOUR.

I.

Premièrement les grandes passions
Naissent presque toujours des inclinations,
Certain charme secret que l’on ne peut comprendre,
Se glisse dans les cœurs, sans qu’on sache comment
Par l’ordre du Destin l’on s’en laisse surprendre,
Et sans autre raison, l’on s’aime en un moment.

II.

Pour aider à la sympathie
Le hasard bien souvent se met de la partie,
On se rencontre au Cours, au Temple ; dans un bal,
C’est là que du Roman on commence l’Histoire
Et que les traits d’un œil fatal
Remportent sur un cœur une illustre victoire.

III.

Puis on cherche l’occasion
De visiter la Demoiselle,
On la trouve encore plus belle,
Et l’on sent augmenter aussi sa passion,
Lors on chérit la solitude,
L’on ne repose plus la nuit,
L’on hait le tumulte et le bruit,
Sans savoir le sujet de son inquiétude.

IV.

On s’aperçoit enfin que cet éloignement
Loin de le soulager augmente le tourment,
Lors on cherche l’objet pour qui le cœur soupire,
On ne porte que ses couleurs,
On a le cœur touché de toutes ses douleurs,
Et ses moindres mépris font souffrir le martyre.

V.

Puis on déclare son amour,
Et dans cette grande journée,
Il se faut retirer dans une sombre allée,
Rougir et pâlir tour à tour,
Sentir des frissons, des alarmes :
Enfin, se jeter à genoux,
Et dire en répandant des larmes,
À mots entrecoupés, hélas je peurs pour vous.

VI.

Ce téméraire adieu, mit la Dame en colère,
Elle quitte l’Amant lui défend de la voir,
Lui que ce procédé réduit au désespoir,
Veut servir par la mort levés de la misère
Arrêtez lui, dit-il, objet rempli d’appas,
Puisque vous prononcez l’Arrêt de mon trépas.
Je veux vous obéir : Mais apprenez cruelle
Que vous perdrez dedans ce jour
L’adorateur le plus fidèle,
Qui jamais ait senti le pouvoir de l’amour.

VII.

Une âme se trouve attendrie
Par ces ardents soupirs, et ces tendres discours,
On se fait un effort pour lui rendre la vie,
De cet torrent de pleurs on fait cesser le cours,
Et d’un charmant objet la puissance suprême
Rappelé du trépas par un seul, je vous aime.

Voilà comme il faut aimer, poursuivit cette savante fille, et ce sont des règles dont en bonne galanterie, l’on ne peut jamais se dispenser. Le père fut si épouvanté de ces nouvelles maximes, qu’il s’enfuit, en protestant qu’il était bien aisé d’aimer dans le temps qu’il faisait l’amour à sa femme, et que ces filles étaient folles avec leurs règles. Sitôt qu’il fût sorti, la suivante vint dire à ses Maîtresses qu’un laquais demandait à leur parler. Si vous pouviez concevoir, Madame, combien ce mot de laquais est rude pour des oreilles Précieuses, nos Héroïnes vous feraient pitié, elles firent un grand cri, et regardant cette petite créature avec mépris. Malapprise, lui dirent-elles, ne savez-vous pas que cet officier se nomme un nécessaire ? La réprimande faite, le nécessaire entra, qui dit aux Précieuses, que le Marquis de Mascarille son Maître envoyait savoir s’il ne les incommoderait point de les venir voir. L’offre était trop agréable à nos Dames pour la refuser, aussi l’acceptèrent-elles de grand cœur : et sur la permission qu’elles en donnèrent, le Marquis entra dans un équipage si plaisant, que j’ai cru ne vous pas déplaire en vous en faisant la description. Imaginez-vous donc, Madame, que sa perruque était si grande qu’elle balayait la place à chaque fois qu’il faisait la révérence, et son chapeau si petit qu’il était aisé de juger que le Marquis le portait bien plus souvent dans la main que sur la tête : son rabat se pouvait appeler un honnête peignoir, et ses canons semblaient n’être faits que pour servir de caches aux enfants qui jouent à Clinemusette. Et en vérité, Madame, je ne crois pas que les tentes des jeunes Massagettes, soient plus spacieuses que ses honorables, canons, un brandon de glands lui sortait de sa poche, comme d’une corne d’abondance, et ses souliers étaient si couverts de rubans qu’il ne m’est pas possible de vous dire s’ils étaient de roussi de vache d’Angleterre, ou de maroquin, du moins sais-je bien qu’il avaient un demi pied de haut, et que j’étais fort en peine de savoir comment des talons si hauts et si délicats pouvait porter le corps du Marquis, ses rubans, ses canons et la poudre. Jugez de l’importance du personnage sur cette figure, et me dispensez, s’il vous plaît, de vous en dire davantage, aussi bien faut-il que je passe au plus plaisant endroit de la pièce, et que je vous dise la conversation que nos Précieux et nos Précieuses eurent ensemble.

DIALOGUE DE MASCARILLE, DE PHILIMÈNE, ET DE CLIMÈNE.

CLIMÈNE.

L’Odeur de votre poudre est des plus agréables,
Et votre propreté des plus inimitables.

MASCARILLE.

Ah je m’inscris en faux, vous voulez me railler.
À peine ai-je eu le temps de pouvoir m’habiller,
Que dites-vous pourtant de cette garniture,
La trouvez-vous congruente à l’habit.

CLIMÈNE.

C’est perdrigeon tout pur.

PHILIMÉNE.

Que Monsieur a d’esprit.
L’esprit paraît même dans la parure.

MASCARILLE.

Ma foi sans vanité, je crois l’entendre un peu,
Mesdames trouvez-vous ces canons du vulgaire,
Ils ont du moins un cart de plus qu’à l’ordinaire,
Et si nous connaissons le beau couleur de feu,
Que dites-vous du mien ?

PHILIMÈNE.

Tout ce qu’on en peut dire.

CLIMÈNE.

Il est du dernier beau sans mentir je l’admire.

MASCARILLE.

Ahy, ahy, ahy, ahy.

PHILIMÈNE.

Hé bon Dieu qu’avez-vous,
Vous trouvez-vous point mal ?

MASCARILLE.

Non mais je crains vos coups,
Frappez plus doucement Mesdames, je vous prie,
Vos yeux n’entendent pas la moindre raillerie,
Quoi sur mon pauvre cœur toutes deux à la fois,
Il n’en fallait point tant pour le mettre aux abois.
Ne l’assassinez plus divines meurtrières.

CLIMÈNE.

Ma chère qu’il sait bien les galantes manières.

PHILIMÈNE.

Ha c’est un Amilcar, ma chère assurément.

MASCARILLE.

Aimez-vous l’enjoué ?

PHILIMÉNE.

Oui, mais terriblement.

MASCARILLE.

Ma foi j’en suis ravi, car c’est mon caractère,
On m’appelle Amilcar aussi pour l’ordinaire,
À propos d’Amilcar, voyez-vous quelque Auteur.

CLIMÈNE.

Nous ne jouissons point encor de ce bonheur
Mais on nous a promis les belles compagnies,
Des Auteurs des Poésies choisies.

MASCARILLE.

Ah je vous en veux amener,
Je les ai tous les jours à ma table à dîner.
C’est moi seul qui vous puis donner leur connaissance :
Mais ils n’ont jamais fait de pièce d’importance,
J’aime pourtant assez le Rondeau, le Sonnet,
J’y trouve de l’esprit, et lis un bon portrait,
Avec quel plaisir, et vous que vous en semble.

CLIMÈNE.

Lorsque vous le voudrez nous en lirons ensemble :
Mais ce n’est pas mon goût, et je m’y connais mal,
On vous aimeriez mieux lire un beau Madrigal.

MASCARILLE.

Vous avez le goût fin, nous nous mêlons d’en faire,
Je vous en veux dire un qui vous pourra bien plaire,
Il est joli sans vanité,
Et dans le caractère tendre,
Nous autres gens de qualité
Nous savons tout sans rien apprendre,
Vous en allez juger, écoutez seulement.

MADRIGAL DE MASCARILLE.

Ho, ho, je n’y prenais pas garde
Alors que sans songer à mal je vous regarde,
Votre œil en tapinois vient dérober mon cœur,
Ô voleur, ô voleur, ô voleur, ô voleur.

CLIMÈNE.

Ma chère il est poussé dans le dernier galant,
Il est du dernier fin, il est inimitable
Dans le dernier touchant, je le trouve admirable,
Il m’emporte l’esprit.

MASCARILLE.

Et ces voleurs les trouvez-vous plaisants ?
Ce mot de tapinois,

CLIMÈNE.

Tout est juste à mon sens,
Aux meilleurs Madrigaux il peut faire la nique,
Et ce ho, ho, vaut mieux qu’un Poème Épique.

MASCARILLE.

Puisque cet impromptu vous donne du plaisir,
J’en veux faire un pour vous tout à loisir,
Le Madrigal me donne peu de peine,
Et mon génie est telle pour ces vers inégaux,
Que j’ai traduit en Madrigaux
Dans un mois l’histoire Romaine.

Si les vers ne me coûtaient pas davantage à faire qu’au Marquis de Mascarille, je vous dirais dans ce genre d’écrire, tous les applaudissements que les Précieuses donnèrent aux précieux ! Mais, Madame, mon Enthousiasme commence à me quitter, et je suis d’avis de vous dire en prose, qu’il vint un certain Vicomte remplir la ruelle des Précieuses qui se trouva le meilleur ami du Marquis, ils se firent mille caresses, ils dansèrent ensemble, ils cajolèrent les Dames : Mais enfin leurs divertissements furent interrompus par l’arrivée des amants maltraités, qui malheureusement étaient les Maîtres du précieux. Vous jugez bien de la douleur que cet accident causa, et la honte des Précieuses lorsqu’elles se virent ainsi bernées : suffit que la farce finit de cette sorte, et que je finis aussi ma longue lettre, en vous protestant que je suis avec tout le respect imaginable,

MADAME,

Votre très humble et très obéissante servante,
DDDDDD

(Texte saisi par David Chataignier à partir de l'exemplaire RES-YF-4382 conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale de France.)




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