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Qui rit d'autrui


"Oui ; mais qui rit d'autrui
Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui".
L'Ecole des femmes, I, 1 (v. 45-46)

L'idée que celui qui raille ne doit pas lui-même prêter flanc à la raillerie est avancée dans L'Esprit de cour de René Bary (1662)(1).

Un certain nombre de textes contemporains de L'Ecole des femmes mettent en garde les rieurs contre les dangers de la satire.

L'idée, avancée par Chrysalde, d'un "revers de raillerie" (voir aussi, dans Le Misanthrope, "à quoi qu'en reprenant on soit assujettie") s'inscrit dans la conception, traditionnelle et plus générale, des revers de la fortune, comme l'illustre par exemple un Miroir de la cour de 1625 (4).


(1)

On dit qu'il ne faut pas que les personnes qui raillent soient sujettes à la raillerie.
(René Bary, L'Esprit de cour, 1662, 24e conversation, p. 158)

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(2)

La Mothe Le Vayer, dans le "petit traité" "Des poètes" (Derniers Petits Traités (1660), évoque le danger qui guette tout auteur de satire :

Il y a bien plus de raison à condamner ces petits ouvrages [...] où l'auteur a rendu des sujets assez sérieux tout à fait ridicules, et où il a débité des choses gaies d'elles-mêmes, à faire pitié, et à donner de l'indignation, tant l'on y voit d'impertinence. [...] Je vois [...] que la satire vous plait, où le style grossier de cet homme traitera toujours le monde fort rudement. Prenez garde néanmoins que cette façon de rimer se convertit souvent en ris amer. L'on a beau dire que les poètes n'appréhendent point la foudre parce qu'ils sont couronnés de lauriers, nous en avons vu d'aussi mal traités que s'ils eussent été foudroyés. Et celui-ci offense si lourdement de certaines personnes qu'à mon avis il ferait mieux dans sa petite fortune de grimper sur le Potosi que sur le Parnasse qui n'a point d'arbres fruitiers.
(CXLIV, VII, 2, p. 196-197)

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(3)

Au début du Ballet de la Raillerie (dansé par Sa Majesté) (1659) d'Isaac Benserade, la Sagesse et la Folie s'accordent avec la Raillerie pour chanter les plaisirs du rire satirique :

Qui de nous en bonne foi
Pourrait s'empêcher de rire ?
Je confesse que pour moi
Ce serait un grand martyre
Que de ne rire pas voyant ce que je vois.
(p. 7)

Cependant à la fin, lorsque le Ballet de la Raillerie demande l'indulgence de ses compagnons, il subit un retour de raillerie :

LE BALLET :
Que dites-vous troupe critique
De moi petit ballet comique
Qui vous ai cru donner un instant de plaisir?
Regardez mes défauts avec quelque indulgence
Chacun sans doute en a beaucoup plus qu'il ne pense
Et pour moi qui fus fait avec peu de loisir
Se peut-il que je m'en dispense ?

LA CRITIQUE :
De vieilles inventions
Tu n'est qu'un vil assemblage

LA MODE :
Tes falottes visions
Ne sont plus à notre usage.

LA CONTRARIETE :
Jamais d'aucun ballet ni les Airs ni la Danse
N'ont si mal contenté l'oreille ni les yeux.

LE DEGOUTE:
Pour moi j'espérais beaucoup mieux
Des gens de cette conséquence.
(p. 28)

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(4)

Dans un Miroir de la cour, sur lequel les revers et l’inconstance de la fortune se voyent. Adressé au sieur Théophile, pour s’en servir au temps présent (1625), on peut lire :

Marc Aurelle, Empereur de Rome, considérant la misérable condition de notre humanité, avait accoutumé de dire en soi-même s’il se pourrait trouver aucun étant en âge, aucune terre, aucun royaume, aucun siècle, auquel il se soit pu trouver homme qui s’allât vanter de n’avoir en sa vie goûté ce que c’est de la roue de Fortune […], puis il conclut. Enfin j’ai trouvé mon compte, d’autant que celui qui était riche est aujourd’hui pauvre, celui qui était hier sain, je l’ai vu aujourd’hui malade, celui qui riait hier, aujourd’hui je l’ai vu pleurer : celui qui était hier en prospérité, aujourd’hui je l’ai vu mal fortuné, celui qui était hier vif je le vois aujourd’hui en la sépulture.
(s.l.n.d.,p.12)




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