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Prier Dieu, m'aimer, coudre et filer


"Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m'aimer, coudre et filer."
L'Ecole des femmes, I, 1 (v. 101-102)

Dans les années 1650, ce type de conception archaïque est tourné en dérision par des auteurs burlesques comme Du Lorens ou Scarron (1).

Telle est également la théorie développée par Dom Pèdre dans La Précaution inutile de Scarron (2) et par Dom Fadrique dans La Précaution inutile de d'Ouville (3).

Elle reste sérieusement diffusée, jusque dans les années 1670, par certains traités de morale chrétienne, comme Le Chemin de la perfection d'Arnaud d'Andilly, La Famille sainte de Cordier, ou le Traité de la jalousie d'Antoine Courtin (4).

D'autres, en revanche, comme L'Honnête femme de l'abbé Du Bosc (1632), s'en démarquent nettement (5).

Dans les milieux mondains, comme en témoigne un extrait des Muses galantes de Sorel (6), ces idées sont attribuées à "quelques uns des plus opiniâtres".

On peut mettre en relation cet idéal féminin d'Arnolphe avec son projet : "épouser une sotte est pour n'être point sot" et "femme qui compose en sait plus qu'il ne faut".

Sganarelle dans L'Ecole des maris souhaitait également que son épouse vive selon ses règles ("j'entends que la mienne vive à ma fantaisie"), qu'elle se consacre "aux choses du ménage" et qu'elle s'occupe à "tricoter quelque bas par plaisir". Ce type d'idées se trouvait également dans Le Dépit amoureux ("Ainsi que la tête est comme le chef du corps").


(1)

Jacques Du Lorens, Premières satires (1624) :

il se met de bon gré entre mains de sergens :
la femme et eux sont faits pour tourmenter les gens ;
mais, pour n' en point mentir, tous deux sont necessaires,
l' une à coudre et filer, l' autre pour les affaires.
(Livre I, satire 5)

Paul Scarron, Jodelet ou le Maître valet (1645) :

Allez vous en filer, nostre épouse future,
Plus grand Dame que vous est Madame Nature.
(IV, 4, p. 104)

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(2)

Dom Pèdre dans La Précaution inutile de Scarron est du même avis :

Toutes les femmes lui font peur et, sans considérer qu'il y en a de bonnes et de mauvaises aussi bien que les hommes, il conclut en lui-même qu'il s'en faut toujours défier, et plus encore des spirituelles que des sottes, entrant dans l'opinion de ceux qui croient qu'une femme sait plus qu'elle ne doit, quand elle sait plus que le ménage de sa maison et l'éducation de ses enfants.
(p. 238)

le Grenadin [soutenait] qu'une femme ne doit savoir qu'aimer son mari, lui être fidèle, et avoir soin de son ménage et de ses enfants [...].
(La Précaution inutile de Scarron (extrait), p. 108)

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(3)

De même, dans La Précaution inutile de d'Ouville :

[Dom Pèdre] avait toutes les raisons du monde d’en mal juger, principalement de celles qui ont beaucoup d’esprit, parce que pour avoir trop de connaissances, elles pénètrent plus que les autres dans la source du mal, trompent pour paraître fines, et deviennent le plus souvent méchantes et vicieuses. Il soutenait qu’une femme ne devait savoir autre chose que gouverner sa maison, faire son travail, prier Dieu, et élever ses enfants en sa crainte, et condamnait le surplus comme plus nuisible que nécessaire à leur réputation.
(La Précaution inutile de d'Ouville, p. 22)

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(4)

Robert Arnauld d'Andilly, Le Chemin de la perfection (1659) :

Car ce sont-là les discours que l'on nous tient d'ordinaire : cette voie est toute pleine de périls : une telle s'est perdue dans ce voyage : celle-ci se trouva trompée, et cette autre qui priait tant n'a pas laissé de tomber : c'est rendre la vertu méprisable : ce n' est pas une entreprise de femmes sujettes à des illusions : il faut qu' elles se contentent de filer sans s'amuser à chercher tant de délicatesses dans leur oraison ; et le pater noster et l'ave maria leur doivent suffire.
(Chap. 21)

Cordier, La Famille sainte (1662) :

Femmes, aimez vos maris plus que vos pères, plus que vos mères, plus que vos enfants, plus que vos biens ; mais toujours moins que Dieu.
(p. 105)

Il y a quelques vertus qui ne peuvent manquer aux femmes, qu'avec un notable intérêt de leur sexe. Comme sont la pudeur, la modestie, le silence, la garde de la maison, et l'obéissance.
(lire p. 231 et suiv.)

Courtin, Traité de la jalousie (1674) :

Cette subordination est donc tellement de l'essence du mariage que toutes les nations du monde qui n'ont eu d'autre lumière que celle de la nature, sont de tout temps convenues de rendre l'homme le maître, et même le juge souverain de la femme. Ces peuples étaient persuadés que les hommes devaient se gouverner par les lois publiques, et les femmes par les lois de leurs maris. [...] Et en effet le mari est le maître de toute la maison, et toutes ses volontés sont sans appel : son pouvoir même et son droit sont plus grands sur la famille que n'est le pouvoir du roi sur son Etat : la femme gouverne la maison, mais sous l'autorité du mari.
(p. 49-50)

Ce respect n'exclut point l'amour de la femme envers son mari : au contraire, il doit être joint à l'amour, comme si Saint Paul disait : j'ordonne que la femme non seulement aime son mari, mais aussi qu'elle le craigne et qu'elle lui porte respect comme à son maître et à son chef à qui elle doit soumission. C'est pourquoi elle doit bien se garder de l'offenser.
(p. 68-69)

Il faut qu'elle s'éloigne de toutes ces petites attaches qui contribuent à la coquetterie ; qu'elle s'emploie à des choses solides, et à la conduite de sa maison ; [...] qu'elle s'occupe à l'ouvrage, et autres choses qui donnent une idée éloignée du désordre dont on voudrait la soupçonner.
Mais surtout qu'elle évite le mensonge : car rien au monde ne contribue à donner plus d'ombrage à un mari, ni une plus mauvaise opinion de soi-même à tout le monde.
(p. 93)

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(5)

C’est une tyrannie et une coutume qui n’est pas moins injuste qu’elle est vieille de les [il s'agit des femmes] rejeter du gouvernement public et particulier, comme si elles n’étaient capables que de filer leur quenouille. Leur esprit est né pour des actions plus relevées, et si on veut prendre garde à ce qu’elles ont fait, on jugera aisément de ce qu’elles sont capables de faire.
(Du Bosc, L’Honnête Femme, Paris, P. Billaine, 1632, p. 151-152)

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(6)

Sorel, Le Nouveau Parnasse ou Les Muses galantes, dans Oeuvres diverses (1663) :

Quelques uns des plus opiniâtres disaient que c'était une grande imprudence d'avoir communiqué les Sciences à des filles qui en étaient incapables de leur nature, et qui ne devaient être employées qu'à filer et à coudre, non point à parler en public, ou à écrire et à composer des livres. [...] Que dans leurs premières applications elles avaient pu embrasser le célibat, mais que depuis qu'elles avaient écouté les douceurs et les fleurettes des Mignons de cour, on ne pouvait plus empêcher qu'elles ne devinssent évaporées, et qu'elles ne se laissassent emporter à de volages amours.
(p. 21-22)

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