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Prêchent la retraite au milieu de la cour


"Ces gens, dis-je, [...]
Qui [...] prêchent la retraite au milieu de la cour:"
Le Tartuffe, I, 5, v. 367-370

Le héros du Polyandre (1648) de Charles Sorel, se faisant passer pour dévot, prétend qu'il se livrera à des agissements semblables :

J'ai dessein aussi d'aller un jour au cours, non point en carrosse comme les mondains, mais à pied comme un pauvre hère que je suis, et de monter sur le plus haut arbre pour y faire une prédication à ceux qui passeront : « Ah ! folles gens, leur dirai-je, à quel ridicule divertissement vous amusez-vous ici ? ce que vous en faites, est-ce pour vous moquer de vous-même et de votre fragile condtion ? Qu’est-il besoin d’établir ici un cours de quelques moments, vu que toute votre vie n’est qu’un cours si bref que l’on en voit la fin, lorsque l’on ne croit être encore qu’à l’entrée ? Voulez-vous que la grande poussière qu vole ici vous fasse souvenir que vous n’êtes que poudre et que cendre ? Si vous n’en sortez qu’à la venue de la nuit, est-ce pour montrer que vous allez vous rendre au tombeau ? Mais non, vous n’êtes pas si prévoyant que de penser à ces choses. Vous ne faites de ce lieu qu’une carrière de vanité, pour montrer vos beaux carrosses et vos beaux chevaux, et pour vous montrer vous-même avec tous les déguisements et ornements ridicules que vous donnez à une chair, qui doit devenir charogne et être la pâture des vers.
(p. 362-363)

Pareil comportement était condamné dans le traité de La Fortune des gens de qualité et des gentilshommes particuliers (1663) de Callières :

A le bien prendre, la dévotion n'a rien de contraire à la gentillesse d'un courtisan, elle se doit pratiquer avec jugement comme les autres choses. Ce qui est propre à un capucin ne siérait pas à un homme de la cour ; notre piété doit être réelle et véritable et c'est en cela que consiste sa plus grande perfection. Quand nous ne l'ajustons pas à notre profesion, elle peut devenir indiscrète. Nous pouvons porter le cilice sous des habits de broderies ; pour être chaste et continent, il n'est pas besoin de fuir les ruelles des dames de qualité, leur approbation contribue souvent à notre bonne fortune et j'estime qu'il est nécessaire à un honnête homme de se bien tirer de leur conversation. C'est d'elles uue nous apprenons la bienséance, ce sont elles qui nous inspirent le désir de nous rendre agréables à tout le monde et qui par conséquent nous acheminent à la vertu. Un courtisan se rend ridicule quand il fuit les divertissements que toute la cour approuve. C'est un moyen bien détourné de faire sa fortune que de s'enfermer dans un oratoire, pendant que le Prince est à la comédie ; et je tiens qu'il fait mal sa cour d'entrer en retraite pour ne se point trouver au bal, ou son adresse et sa bonne mine lui peuvent acquérir de l'avantage et de 1'estime. Un homme scrupuleux jusque là ne doit rien prétendre à la fortune ; c'est à lui à prendre les maximes de la cour ou à la quitter. Il doit penser qu'il est fait pour la cour et non pas la cour pour lui ; s'il la trouve incompatible avec sa piété, qu'il change de destin ; sans doute le cloître est plus propre à la pratique des austérités. Pour être bon religieux il faut suivre exactement ses constitutions et sa règle ; et pour être bon courtisan, la même conséquence nous apprend qu'on doit vivre comme on vit à la Cour.
(p. 80)




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