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Pour être jouées


"Il n'est pas nécessaire de vous avertir qu'il y a beaucoup de choses qui dépendent de l'action : on sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées; et je ne conseille de lire celle-ci qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre"
L'Amour médecin, "Au lecteur"

On lit de même dans la cinquième des Conversations (1668) du chevalier de Méré :

Comme il y a des choses qui ne veulent qu'être lues, il y en a aussi qui ne sont principalement faites que pour être écoutées, comme les harangues. Si l'on veut juger de leur juste valeur, il faut considérer à quel point elles sont bonnes quand elles sont prononcées, puisque c'est là leur but.
(éd. des Oeuvres de 1692, p. 259)

L'idée avait été énoncée précédemment dans le Panégyrique de l'Ecole des femmes (1663) de Robinet :

Vous dites que le succès que ces bagatelles ont sur le théatre ne paraît point sur le papier. Je vous prie de me faire voir que les plus beaux vers aient le même effet sur le papier que sur la scène. Celui-ci : « Je vis là Ptolomée, et n’y vis point de roi », ce vers, qui est un des plus beaux du grand Pompée, a-t-il le même brillant, lorsqu’on le lit que lorsqu’il sort de la bouche de l’incomparable Montfleury ? Cet hémistiche, « Hélas ! tient-il à moi ? » qui a produit un si bel effet sur le théâtre, dans Le Faux Tibérinus, sortant de la bouche de la merveilleuse Desoeillets, a-t-il quelque chose qui en approche sur le papier ? Ne sait-on pas que toutes ces beautés s’évanouissent hors du jeu qui leur donne la vie ? Sans cela il ne serait pas nécessaire d’aller au théâtre pour avoir tout le plaisir de la comédie ; il n’y aurait qu’à lire les dramatiques, et les comédiens n’auraient qu’à chercher un autre emploi.
(p. 56-57) (1)

Elle sera formulée à nouveau dans les préfaces de deux comédies de Donneau de Visé :

La représentation étant l'âme de la comédie , je ne sais si celle ci plaira autant sur le papier, qu'elle a plu sur le théâtre, et surtout à Versailles ; où, sans être sue, elle fut jouée par un ordre absolu, et ne laissa pas d'être trouvée fort divertissante. Aussi lorsque ces pièces qui ne consistent que dans l'action, réussissent, la gloire en est autant due aux comédiens qu'à l'auteur.
(n. p.)

Le sujet m'a paru si plaisant et si propre au théâtre que je n'ai pu m'empêcher de le traiter. Peut-être qu'il ne paraîtra pas tel sur le papier, ce qu'il a de comique consistant plus dans les actions que dans les mots. Il y a un perpétuel jeu muet dans cette pièce qui, étant tiré du fond du sujet, donne un plaisir extrême à l'auditeur, et l'on ne dit presque pas un vers qui ne fasse rire dans la représentation par le chagrin qu'il donne au vicomte. Le papier ne peut représenter son inquiétude ni ses postures.
(n. p.)


(1) indication aimablement fournie par Christophe Schuwey




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