Content-Type: text/html; charset=UTF-8
Pierre Corneille, Remerciement au roi
- Pierre CORNEILLE, Remerciement au roi, Paris, 1663
- REMERCIEMENT AU ROI.
- Ainsi du Dieu vivant la bonté surprenante
- Verse quand il lui plaît sa grâce prévenante,
- Ainsi du haut des Cieux il aime à départir
- Des biens dont notre espoir n’osait nous avertir.
- Comme ses moindres dons excèdent le mérite, 5
- Cette même bonté seule l’en sollicite,
- Il ne consulte qu’elle, et maître qu’il en est,
- Sans devoir à personne, il donne à qui lui plaît.
- Telles sont les faveurs que ta main nous partage,
- Grand Roi, du Roi des Rois la plus parfaite Image, 10
- Tel est l’épanchement de tes nouveaux bienfaits ;
- Il prévient l’espérance, il surprend les souhaits,
- Il passe le mérite, et ta bonté suprême
- Pour faire des heureux les choisit d’elle-même.
- Elle m’a mis au nombre, et me force à rougir 15
- De ne me voir qu’un zèle incapable d’agir,
- Son excès dans mon coeur fait des troubles étranges :
- Je sais que je te dois des voeux et des louanges,
- Que ne t’en pas offrir c’est te les dérober ;
- Mais si j’y fais effort, je cherche à succomber, 20
- Et le plus beau succès que ma Muse en obtienne,
- Profanera ta gloire, et détruira la mienne.
- Je veux bien l’immoler toute entière à mon Roi,
- Mais si je n’en ai plus, je ne puis rien pour toi,
- Et j’en dois prendre soin, pour éviter le crime 25
- D’employer à te peindre un pinceau sans estime.
- Il n’est dans tous les Arts secret plus excellent
- Que d’y voir sa portée, et choisir son talent,
- Pour moi, qui de louer n’eus jamais la méthode,
- J’ignore encor le tour du Sonnet, et de l’Ode, 30
- Mon Génie au Théâtre a voulu m’attacher,
- Il en a fait mon fort, il sait m’y retrancher,
- Partout ailleurs je rampe, et ne suis plus moi-même ;
- Mais là j’ai quelque nom, là quelquefois on m’aime,
- Là ce même Génie ose de temps en temps 35
- Tracer de ton portrait quelques traits éclatants ;
- Par eu de l’Andromède il sut ouvrir la Scène,
- On y vit le Soleil prédire à Melpomène
- Que nous verrions un jour Alexandre et César
- Ainsi que des vaincus attachés à ton Char : 40
- Ton front le promettait, et tes premiers miracles
- Ont rempli hautement la foi de mes Oracles.
- À peine tu parais les armes à la main,
- Que tu ternis les noms du Grec et du Romain,
- Tout tremble, tout fléchit sous tes jeunes années, 45
- Tu portes en toi seul toutes les Destinées,
- Rien n’est en sûreté s’il ne vit sous ta loi,
- On t’offre, ou pour mieux dire, on prend la Paix de toi,
- Et ceux qui se font craindre aux deux bouts de la Terre,
- Pour ne te craindre plus, renoncent à la guerre. 50
- Ton Hymen est le sceau de cette illustre Paix :
- Sur ces grands coups d’État tout parle, et je me tais,
- Et sans me hasarder à ces nobles amorces,
- J’attends l’occasion qui s’arrête à mes forces.
- Je la trouve, et j’en prends le glorieux emploi, 55
- Afin d’ouvrir ma Scène encore un coup pour toi.
- J’y mets la Toison d’or, mais avant qu’on la voie,
- La Paix vient elle-même y préparer la joie,
- L’Hymen l’y fait descendre, et de Mars en courroux
- Par ta digne moitié j’y romps les derniers coups. 60
- On te voyait dès lors à toi seul comparable,
- Faire éclater partout ta conduite adorable,
- Remplir les bons d’amour et les méchant d’effroi ;
- Jusques-là toutefois tout n’était pas à toi,
- Et quelques doux effets qu’eut produit ta Victoire, 65
- Les conseils du grand Jule avaient part à ta gloire.
- Maintenant qu’on te voit en digne Potentat
- Réunir en ta main les rênes de l’État,
- Que tu gouvernes seul, et que par ta prudence
- Tu rappelles des Rois l’auguste indépendance, 70
- Il est temps que d’un air encor plus élevé
- Je peigne en ta personne un Monarque achevé,
- Que j’en laisse un modèle aux Rois qu’on verra naître,
- Et qu’en toi pour régner je leur présente un Maître.
- C’est là que je saurai fortement exprimer 75
- L’Art de te faire craindre, et de te faire aimer,
- Cet accès libre à tous, cet accueil favorable,
- Qu’ainsi qu’au plus heureux tu fais au misérable :
- Je te peindrai vaillant, juste, bon, libéral,
- Invincible en la Guerre, en la Paix sans égal, 80
- Je peindrai cette ardeur constante et magnanime,
- De retrancher le luxe, et d’extirper le crime,
- Ce soin toujours actif pour les nobles projets,
- Toujours infatigables au bien de tes sujets,
- Ce choix de Serviteurs fidèles, intrépides, 85
- Qui soulagent tes soins, mais sur qui tu présides,
- Et dont tout le pouvoir, qui fait tant de jaloux,
- N’est qu’un écoulement de tes ordres sur nous :
- Je rendrai de ton nom l’Univers idolâtre,
- Mais pour ce grand chef-d’oeuvre il faut un grand Théâtre. 90
- Ouvre-moi donc, grand Roi, ce prodige des Arts,
- Que n’égala jamais la Pompe des Césars,
- Ce merveilleux Salon, où ta magnificence
- Fait briller un rayon de sa toute-puissance,
- Et peut-être animé par tes yeux de plus près, 95
- J’y ferai plus encor que je ne te promets.
- Parle, et je reprendrai ma vigueur épuisée
- Jusques à démentir les ans qui l’ont usée.
- Vois comme elle renaît dès que je pense à toi,
- Comme elle s’applaudit d’espérer en mon Roi ; 100
- Le plus pénible effort n’a rien qui la rebute,
- Commande, et j’entreprends ; ordonne, et j’exécute.
- FIN.
(Texte saisi par David Chataignier à partir de l'exemplaire conservé à la Réserve de la Bibliothèque nationale de France sous la cote RES-YE-662)
Sommaire | Index | Accès rédacteurs