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Pas un mot qui de soi ne soit fort honnête


"Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête et si vous voulez entendre quelque autre chose, c'est vous qui faites l'ordure."
La Critique de L'Ecole des femmes, sc. III

L'idée, d'obédience stoïcienne, selon laquelle les paroles déshonnêtes ne comportent pas d'"obscénité" en elles-mêmes, est discutée

Elle se fonde sur un principe de philosophie du langage également dénoncé dans la Logique de Port Royal (3).


(1)

cette secte [les stoïciens] faisait profession de nommer toutes les choses par leur nom, soutenant que les paroles n'avaient rien de sale ni de mauvais en elles-mêmes.
(La Mothe le Vayer, "Deuxième journée" de Hexameron rustique (1670), éd. J. Beaude, Paris, Encre marine, 2005, p. 32)

Les disciples de ce philosophe [Zénon], ajouta Ménalque, se fondaient sur ce que n'y pouvant avoir de saleté ni aux choses physiques, ni aux paroles qui les interprétaient, il était aisé de conclure qu'il n'y avait rien de honteux à dire en tout ce qu'on voulait ordinairement faire passer pour tel.
(ibid., p. 43)

--

(2)

Ils [les Stoïciens] disaient que l'obscénité, pour parler ainsi, ne pouvait être que dans les mots ou dans les choses ; qu'elle n'était point dans les mots ; [...] qu'elle n'était point aussi dans les choses.
(Arnauld, Lettre à Perrault, 1694, dans Oeuvres complètes de Boileau , 1851, p. 443)

...on peut résoudre cette question célèbre entre les anciens philosophes : s'il y a des mots déshonnêtes, et que l'on peut réfuter les raisons des stoïciens, qui voulaient que l'on pût se servir indifféremment des expressions qui sont estimées ordinairement infâmes et impudentes.
Ils prétendent, dit Cicéron, dans une lettre qu'il a faite à ce sujet (1), qu'il n'y a point de paroles sales et honteuses ; car ou l'infamie (disent-ils) vient des choses, ou elle est dans les paroles ; elles ne vient pas simplement des choses, puisqu'il est facile de les exprimer en d'autres paroles qui ne passent point pour déshonnêtes ; elle n'est pas aussi dans les paroles considérées comme sons, puisqu'il arrive souvent, comme Cicéron le montre, qu'un même son signifiant diverses choses, et étant estimé déshonnête dans une signification ne l'est point en une autre.
Mais tout cela n'est qu'une vaine subtilité qui ne naît que de ce que ces philosophes n'ont pas assez considéré ces idées accessoires que l'esprit joint aux idées principales des choses ; car il arrive de là qu'une même chose peut être exprimée honnêtement par un son, et déshonnêtement par un autre [...]. Il en est de même de certains tours par lesquels on exprime honnêtement des actions qui, quoique légitimes, tiennent quelque chose de la corruption de la nature ; car ces tours sont en effet honnêtes, parce qu'ils n'expriment pas simplement ces choses, mais aussi la disposition de celui qui en parle de cette sorte, et qui témoigne par sa retenue qu'il les envisage avec peine [...].
C'est pourquoi il arrive aussi qu'un même mot est estimé honnête en un temps et honteux en un autre.
(Logique de Port-Royal, p. 100-102)

Des idées que l'esprit ajoute à celles qui sont précisément signifiées par les mots.
On peut encore comprendre sous le nom d'idées accessoires une autre sorte d'idées que l'esprit ajoute à la signification précise qui répond au mot [...] ; il en prend occasion de considérer encore dans l'objet qui lui est représenté d'autres attributs et d'autres faces [...].
(Ibid., p. 103)

-- (3)

comme les hommes ne sont maîtres que de leur langage et non pas de celui des autres, chacun a le droit de faire un dictionnaire pour soi ; mais on n'a pas le droit d'en faire pour les autres, ni d'expliquer leurs paroles par ces significations particulières qu'on aura attachées aux mots. C'est pourquoi, quand on n'a pas dessein de faire connaître simplement en quel sens on prend un mot, mais qu'on prétend expliquer celui auquel il est communément pris, les définitions qu'on en donne ne sont nullement arbitraires, mais elles sont liées et astreintes à représenter, non la vérité des choses, mais la vérité de l'usage ; et on doit les estimer fausses, si elles n'expriment pas véritablement cet usage, c'est-à-dire si elles ne joignent pas aux sons les mêmes idées qui y sont jointes par l'usage ordinaire de ceux qui s'en servent ; et c'est ce qui fait voir que ces définitions ne sont nullement exemptes d'être contestées, puisque l'on dispute tous les jours de la signification que l'usage donne aux termes.[...]
les hommes ne considèrent pas souvent toute la signification des mots, c'est-à-dire que les mots signifient souvent plus qu'il ne semble, et que, lorsqu'on en veut expliquer la signification, on ne représente pas toute l'impression qu'ils font dans l'esprit.
Car signifier, dans un son prononcé ou écrit, n'est autre chose qu'exciter une idée liée à ce son dans notre esprit, en frappant nos oreilles ou nos yeux. Or, il arrive souvent qu'un mot, outre l'idée principale que l'on regarde comme la signification propre de ce mot, excite plusieurs autres idées qu'on peut appeler accessoires [...].
(Logique de Port-Royal, 1662, chapitre 14, Paris, Belin, 1878 p. 96-97)


(1) note de l'éditeur moderne : Epistola ad diversos, IX, 22




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