Content-Type: text/html; charset=UTF-8

On ne souffre point la raillerie


"Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés. [...] Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant, mais on ne veut point être ridicule."
Le Tartuffe, Préface

L'avertissement au Roman bourgeois (1666) de Furetière avait avancé le même argument dans une formulation semblable :

On sait combien la morale dogmatique est infructueuse. On a beau prêcher les bonnes maximes, on les suit encore avec plus de peine qu'on ne les écoute. Mais quand nous voyons le vice tourné en ridicule, nous nous en corrigeons, de peur d'être les objets de la risée publique. Ce qu'on pourrait trouver à redire au présent que je te fais, c'est qu'il n'y est parlé que de bagatelles, et qu'il n'instruit que de choses peu importantes. Mais il faut considérer qu'il n'y a que trop de prédicateurs qui exhortent aux grandes vertus et qui crient contre les grands vices , et il y en a très peu qui reprennent les défauts ordinaires, qui sont d'autant plus dangereux qu'ils sont plus fréquents : car on y tombe par habitude , et personne presque ne s'en donne de garde. Ne voit-on pas tous les jours une infinité d'esprits bourrus, d'importuns, d'avares, de chicaneurs, de fanfarons , de coquets et de coquettes? Cependant y a-il quelqu'un qui les ose avertir de leurs défauts et de leurs sottises, si ce n'est la comédie ou la satire ? Celles-ci, laissant aux docteurs et aux magistrats le soin de combattre les crimes, s'arrêtent à corriger les indécences et les ridiculités s'il est permis d'user de ce mot. Elles ne sont pas moins nécessaires, et sont souvent plus utiles que tous les discours sérieux. Et, comme il y a plusieurs personnes qui se passent de professeurs de philosophie, qui n'ont pu se passer de maîtres d'écoles, de même on a plus de besoin de censeurs des petites fautes, où tout le monde est sujet, que des grandes, où ne tombent que les scélérats. Le plaisir que nous prenons à railler les autres est ce qui fait avaler doucement cette médecine qui est salutaire.

Des considérations similaires avaient été formulées dans le traité des Passions de l’âme (1649) de Descartes :

De l’usage de la raillerie
Pour ce qui est de la raillerie modeste, qui reprend utilement les vices en les faisant paraître ridicules, sans toutefois qu’on en rie soi-même ni qu’on témoigne aucune haine contre les personnes, elle n’est pas une passion, mais une qualité d’honnête homme, laquelle fait paraître la gaieté de son humeur et la tranquillité de son âme, qui sont des marques de vertu, et souvent aussi l’adresse de son esprit, en ce qu’il sait donner une apparence agréable aux choses dont il se moque.
(Les Passions de l’âme, troisième partie, article 180, dans Œuvres philosophiques, t. III, éd. F. Alquié, Garnier, 1989, p. 1084)




Sommaire | Index | Accès rédacteurs