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On ne doit point songer à garder aucunes mesures


"Lorsque l'honneur est blessé mortellement, on ne doit point songer à garder aucunes mesures"
Don Juan ou le Festin de pierre, III, 4

Le ressentiment des injures, ainsi que sa conséquence extrême, la vengeance d'honneur, avaient été condamnés dans

(voir également "hommes pacifiques", "nous nous coupions la gorge ensemble" et "je suis un bon frère")


(1)

Or parce qu'il n'y a guère de préceptes de philosophie qui soient si difficiles à observer que ceux qui, non contents de modérer le ressentiment des injures, en suppriment presque jusques aux premiers mouvements, mon opinion est qu'on ne saurait y faire trop de réflexion pour se les mieux imprimer, et s'en rendre l'usage familier, puisque l'occasion de les pratiquer se présente à toutes les heures du jour.
(éd. des Oeuvres de 1756, II, 2, p. 422)

Peut-être que c'est la première fois que nous avons été offensés de celui de qui nous nous plaignons. Remettons lui donc une faute qu'il n'avait point encore faite, et que vraisemblablement il ne commettra jamais.
(ibid., p. 435)

(2)

Quoi ! tu veux qu’on se laisse mourir de regret, parce qu’un homme aura été si impertinent que de nous dire mal à propos quelque parole offensante ? Ah ! Ergaste, que je reconnais de jour en jour de choses en quoi je suis plus sage que toi. Vois-tu, mon ami, je tiens que mon honneur dépend de ma probité et de ma sagesse, et non pas de la sottise ni de l’emportement d’autrui, de quelque qualité qu’il puisse être. Si j’avais donné sujet à quelqu’un de me mépriser, en ce cas-là je serais fort affligé, non pas du mépris qu’il m’aurait fait, mais du sujet que je lui en aurais donné. Mais quand je n’y aurai point donné d’occasion et que le mépris ne viendra que de la mauvaise humeur ou de l’arrogance ou de l’impertinence d’autrui, alors je croirais lui faire trop d’honneur que d’y faire seulement réflexion. Par exemple, si je vais voir un homme et qu’il ne me reçoive pas comme il doit, si un autre ne me rend pas les civilités que je lui fais, ou si, par une malignité naturelle, quelque autre s’arrête à médire de moi sans sujet, est-ce à moi à m’affliger de sa méchanceté ou de sa malice ? Non, non, Ergaste, c’est à celui qui fait l’impertinence à s’en fâcher ; celui qui n’y contribue rien n’a sujet que de s’en rire. — Ce que dit là Célémante me paraît admirablement bien dit, repartit Philémon ; mais je voudrais, Célémante, que vous ajoutassiez encore une chose ; c’est qu’il est même, ce me semble, d’un fort honnête homme de douter toujours qu’on ait eu dessein de le mépriser, et que, bien loin d’être comme de certaines gens, qui reçoivent tout de travers et qui prennent les paroles indifférentes et quelquefois même les plus obligeantes pour des injures, il faut qu’un galant homme explique quasi toujours tout en bien et qu’il ait peine à prendre pour injures les paroles mêmes qui semblent injurieuses. Car enfin, comme il n’y a que les corps faibles et accablés de maladies qui se sentent blessés pour peu qu’on les touche, et qu’un homme fort et vigoureux ne prend pas même garde le plus souvent quand on le presse ou qu’on le heurte, de même il n’y a jamais, ce me semble, que des esprits faibles et malades qui s’offensent de tout ce qu’on leur dit ; ceux qui ont plus de force et de vigueur ne prennent pas seulement garde à la plupart de ce qui fait crier les autres. — Cependant, continua Coris, combien voyez-vous de gens qui croient que tout l’honneur du monde consiste en cette délicatesse, et qui pensent mal à propos qu’il ne faut pas se laisser dire un mot équivoque sans en pousser aussitôt l’éclaircissement à bout.
(Quatrième partie, Livre 5)
(texte numérisé par F. Rey)

(3)

S'il aime le Seigneur, lui fera-t-il l'outrage,
De détruire en fureur sa plus parfaite image?
Si le meurtre est permis pour venger son honneur,
Ou pour sauver son bien que ravit un voleur,
Ou pour d'un ennemi réprimer l'insolence,
Ou pour d'un imposteur punir la médisance ;
N'ouvre-t-on pas la porte aux meurtres odieux?
Ne met-on pas l'épée aux mains des furieux?
Et désarmant les lois n'arme-t-on pas la rage,
Pour remplir l'univers d'horreur, et de carnage?
Descendez, descendez, de votre tribunal,
Magistrats, dont le glaive est aux vices fatal,
Vous n'avez plus en main la balance d'Astrée,
Si lors que d'un affront, un homme a l'âme outrée,
Ou qu'il est déchiré par un mauvais discours,
Il peut du médisant ensanglanter les jours.
Que sont les grands Etats que de grands brigandages,
Si tout homme a le droit de venger ses outrages?
Que devient le précepte où Dieu nous a soumis,
De rendre bien pour mal, d'aimer nos ennemis?
Que serait l'Evangile avec cette licence,
Qu'une loi de fureur, de sang, et de vengeance?
Sa bénigne douceur qui défend à la main,
De faire en se vengeant, couler le sang humain,
Ne souffre pas non plus que par une imposture,
D'un calomniateur on repousse l'injure ;
Et que pour décrier un reproche inventé,
On l'imite lui-même en sa méchanceté.
Quels saints calomniés ont par la calomnie
Défendu leur vertu d'impostures ternie?
Qu'est-ce que cet honneur qu'on soutient à ce prix?
Son faux éclat doit-il enchanter les esprits ;
Doit-on ainsi s'en faire une trompeuse idole,
A qui sans y penser, son salut on immole?
Cet honneur n'est-il pas le démon des Français?
N'est-il pas l'inventeur de ces barbares lois,
Qui prennent pour valeur, une brutale audace,
Et d'un pays chrétien, font un pays de Thrace?
Par cet honneur sanglant voit-on pas massacrer,
Ceux qu'à Dieu le baptême a daigné consacrer,
Et qui doivent pour Dieu, comme pour leur patrie,
Prodiguer, s'il le faut, ou conserver leur vie?
(p. 8-9)




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